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PRÉFACE

L'ouvrage que je soumets aujourd'hui au jugement bienveillant du public, est le fruit de plusieurs années vouées à l'exploration de l'Asie Mineure.

Lorsqu'en 1845 je revins de la frontière de la Chine, où l'ordre du gouvernement impérial de Russie m'avait appelé, j'éprouvai aussitôt le besoin de me livrer à l'accomplissement d'un projet, qui eut constamment à mes yeux toute l'importance d'une entreprise utile à la science, et tout le charme d'une tâche sympathique, puisqu'il me transportait encore une fois au milieu de ces régions entourées de la double auréole du plus beau soleil du Midi, et des plus prestigieux souvenirs du passé. D'ailleurs, il m'a toujours paru que, dans l'état actuel des sciences, qui ne s'accommodent plus de ces courses rapides à travers des contrées lointaines, comme on en faisait jadis, l'Asie Mineure était peut-être le seul pays de l'Orient, où l'explorateur isolé fût à même d'obtenir des résultats qui puissent répondre aux exigences sévères de notre époque.

En effet, si parmi les vastes régions du continent asiatique, il en est beaucoup que nous ignorons complétement, presque aucune ne se prête encore aujourd'hui aux travaux de l'homme privé, vu les circonstances politiques ou topographiques dans lesquelles elles se trouvent, et qui nécessitent, ou les efforts réunis de plusieurs savants, ou l'assistance protectrice et officielle d'un gouvernement.

Traversées de temps à autre par quelques rares voyageurs, qui ne sauraient rapporter de leurs fugitives pérégrinations que des matériaux fragmentaires, ces contrées ne pourront fournir à l'Europe des renseignements d'un intérêt solide, que lorsqu'elles seront devenues l'objet d'une exploration, faite dans de tout autres conditions. Tant qu'on ne les connaissait que de nom, on devait attacher du prix aux notions les plus incomplètes, qui du moins avaient le mérite d'en constater ou d'en modifier l'existence encore pour ainsi dire apocryphe; mais depuis que

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ce premier pas est fait, le public est naturellement devenu plus exigeant, et des explorations à la façon de Marco Paolo, de Plan Carpin, de Rubruquis, etc., ne peuvent plus avoir de l'importance, qu'autant qu'elles abordent des questions qui, dans certaines parties du continent asiatique, sont en ce moment, encore tout aussi inaccessibles (du moins pour l'explorateur isolé) qu'elles l'étaient à l'époque de ces hardis pèlerins.

Ainsi, on ne se contenterait plus aujourd'hui d'apprendre encore une fois après eux, que telle contrée de l'intérieur de l'Asie a des montagnes, des fleuves et des villes, ou qu'il y fait très-froid ou trèschaud, mais on voudra voir exprimer ces données sur une carte levée à l'aide d'observations astronomiques, et embrassant l'ensemble d'un pays distinctement délimité par la nature; de mime on n'acceptera des renseignements sur la végétation, la faune et la constitution géologique de ces contrées, qu'autant qu'ils se trouveront formulés d'une manière rigoureusement scientifique, qui permette de se rendre compte des objets dont on parle, et de les comparer à ceux qui ont été constatés ailleurs.

Pour faire des études de cette nature, il faut avant tout pouvoir y consacrer un temps plus ou moins considérable, et avoir la possibilité de les effectuer à l'aide de procédés scientifiques usités aujourd'hui.

C'est le seul mode d'exploration qui, dans l'état actuel des sciences, et avec l'esprit éminemment pratique de notre siècle, puisse être applicable à l'Asie. Les rapsodies, les compilations et les observations à vol d'oiseau ont fait leur temps, et d'ailleurs ont déjà fourni tout ce qu'on pouvait en attendre. L'Europe ne voit désormais dans le grand monde asiatique que deux catégories de régions, savoir: celles qui ne sont pas encore mûres pour une exploration qui puisse la contenter, et celles pour lesquelles l'heure de la conquête a déjà sonné, et que le panthéon de la science est prêt à recevoir dans son enceinte, et à enregistrer dans ses cadres, sinon comme une acquisition immuable et partaitement définie, mais du moins comme une première prise de possession, basée sur des titres positifs, imprescriptibles, et qui ne peuvent que se développer et se consolider avec le temps.

Parmi les contrées qui figurent dans cette seconde catégorie, l'empire Ottoman joue le ròle le plus important; car, grâce aux progrès d'une réforme salutaire, qui ont placé la Sublime-Porte à la tête du monde.

asiatique, cet empire est le seul qui soit vraiment ouvert aux missionnaires de la science; ce n'est que là qu'avec plus ou moins de succès, ils peuvent réaliser les conditions auxquelles il est permis aujourd'hui de satisfaire aux rigoureuses exigences de notre siècle, en donnant non plus des notions détachées, mais un tableau général de l'état physique de toute une contrée, tableau qui seul peut servir de base à la solution d'une foule de questions, dont la connaissance est indispensable non-seulement aux savants de profession, mais encore aux hommes d'État, en leur fournissant des éléments positifs, sans lesquels ils ne pourront jamais raisonner ou agir avec connaissance de cause.

Plus l'explorateur s'éloigne de l'enceinte de l'empire Ottoman, plus il est forcément relégué dans la voie de simples constructeurs d'itinéraires, de collecteurs ou de touristes, à moins de se trouver favorisé par une entreprise faite sur une grande échelle, sous le patronage d'un gouvernement'.

Or, au milieu des magnifiques provinces qui composent cet empire, aucune ne réunit, comme l'Asie Mineure, autant d'éléments d'attraction et d'intérêt; car, sans parler de l'importance politique que lui assigne son incomparable position, importance que l'on ne pourra d'ailleurs apprécier dans toute son étendue, que lorsqu'elle aura été analysée et déterminée par les sciences exactes, cette région s'adresse non-seulement à toutes les branches des connaissances humaines, mais aussi à toutes les facultés de l'esprit et de l'âme.

C'est cette universalité d'intérêt, et surtout le prestige qu'elle exerce sur l'imagination, qui expliquent en partie pourquoi cette contrée, qui depuis des siècles déjà est l'objet de tant de doctes pèlerinages, se présente encore, sous plus d'un rapport, comme une véritable terra incognita.

1. L'exemple de plusieurs explorations récentes faites avec succès dans des contrées placées en dehors de l'empire Ottoman ne saurait atténuer la portée de notre assertion, vu que la plupart de ces explorations ont été effectuées dans des régions soumises soit à l'influence européenne, comme par exemple l'Hymalaya, les Indes, l'ile de Java, etc., soit à l'action indirecte de l'empire Ottoman qui a pu servir aux explorateurs de point de départ, et leur fournir des éléments d'une assistance morale et souvent matérielle; car dans le monde asiatique, le Sultan tend de plus en plus à imprimer à ses protégés un certain caractère d'inviolabilité qui naturellement est encore bien loin de réaliser l'auréole dont le léopard britannique entoure partout ceux qui se trouvent placés sous son égide, talisman pour le moins aussi puissant que le prestige qu'exerçait jadis le titre sacré de Civis romanus.

ce premier pas est fait, le public est naturellement devenu plus exigeant, et des explorations à la façon de Marco Paolo, de Plan Carpin, de Rubruquis, etc., ne peuvent plus avoir de l'importance, qu'autant qu'elles abordent des questions qui, dans certaines parties du continent asiatique, sont en ce moment, encore tout aussi inaccessibles (du moins pour l'explorateur isolé) qu'elles l'étaient à l'époque de ces hardis pèlerins.

Ainsi, on ne se contenterait plus aujourd'hui d'apprendre encore une fois après eux, que telle contrée de l'intérieur de l'Asie a des montagnes, des fleuves et des villes, ou qu'il y fait très-froid ou trèschaud, mais on voudra voir exprimer ces données sur une carte levée à l'aide d'observations astronomiques, et embrassant l'ensemble d'un pays distinctement délimité par la nature; de mime on n'acceptera des renseignements sur la végétation, la faune et la constitution géologique de ces contrées, qu'autant qu'ils se trouveront formulés d'une manière rigoureusement scientifique, qui permette de se rendre compte des objets dont on parle, et de les comparer à ceux qui ont été constatés ailleurs.

Pour faire des études de cette nature, il faut avant tout pouvoir y consacrer un temps plus ou moins considérable, et avoir la possibilité de les effectuer à l'aide de procédés scientifiques usités aujourd'hui.

C'est le seul mode d'exploration qui, dans l'état actuel des sciences, et avec l'esprit éminemment pratique de notre siècle, puisse être applicable à l'Asie. Les rapsodies, les compilations et les observations à vol d'oiseau ont fait leur temps, et d'ailleurs ont déjà fourni tout ce qu'on pouvait en attendre. L'Europe ne voit désormais dans le grand monde asiatique que deux catégories de régions, savoir: celles qui ne sont pas encore mûres pour une exploration qui puisse la contenter, et celles pour lesquelles l'heure de la conquête a déjà sonné, et que le panthéon de la science est prêt à recevoir dans son enceinte, et à enregistrer dans ses cadres, sinon comme une acquisition immuable et partaitement définie, mais du moins comme une première prise de possession, basée sur des titres positifs, imprescriptibles, et qui ne peuvent que se développer et se consolider avec le temps.

Parmi les contrées qui figurent dans cette seconde catégorie, l'empire Ottoman joue le ròle le plus important; car, grâce aux progrès d'une réforme salutaire, qui ont placé la Sublime-Porte à la tête du monde

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