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✯rité, messieurs, rien n'a jamais égalé la fermeté de son ame, ni ce courage paisible qui, sans faire effort pour s'élever, s'est trouvé par sa naturelle situation, au-dessus des accidents les plus redoutables. Oui, Madame fut douce envers la mort comme elle l'étoit envers tout le monde; son grand cœur ni ne s'aigrit ni ne s'emporta contre elle : elle ne la brave pas non plus avec fierté, contente de l'envisager sans émotion et de la recevoir sans trouble. Triste consolation, puisque, malgré ce grand courage, nous l'avons perdue! C'est la grande vanité des choses humaines. Après que, par le dernier effet de notre courage, nous avons pour ainsi dire surmonté la mort, elle éteint en nous jusqu'à ce cou rage par lequel nous semblions la défier. La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite; encore ce reste tel quel va-t-il disparoître, cette ombre de gloire va s'évanouir, et nous l'allons voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va descendre à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussiere avec les grands de la terre, comme parle Job, avec ces rois et ces princes anéantis, parini lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places. Mais ici notre imagination nous abuse encore; la mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure: notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom; même celui

de cadavre, dit Tertullien (1), parcequ'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas long-temps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue: tant il est yrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funebres par lesquels on exprimoit ses malheureux

restes!

C'est ainsi que la puissance divine, justement irritée contre notre orgueil, le pousse jusqu'au néant, et que, pour égaler à jamais les conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. Peut-on bâtir sur ces ruines? peut-on appuyer quelque grand dessein sur ce débris inévitable des choses humaines? Mais quoi, messieurs, tout est-il donc désespéré pour nous? Dieu, qui foudroie toutes nos grandeurs jusqu'à les réduire en poudre, me nous laisse-t-il aucune espérance? lui aux yeux de qui rien ne se perd, et qui suit toutes les parcelles de nos corps en quelque endroit écarté du monde que la corruption ou le hasard les jette, verra-t-il périr sans ressource ce qu'il a fait capable de le connoître et de l'aimer? Ici un nouvel ordré de choses se présente à moi; les ombres de la mort se dissipent: « Les voies me sont ouvertes à la vé<<ritable vie (1) ». Madame n'est plus dans le tombeau; la mort, qui sembloit tout détruire, a tout

(1) Cadit in originem terram, et cadaveris nomen, ex isto quoque nomine peritura, in nullum inde jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem. TERTUL. de Resurr. carnis.

(2) Notas mihi fecisti vias vitæ, PSAL. 15, V. 10.

établi: voici le secret de l'Ecclésiaste, que je vous avois marqué dès le commencement de ce discours, et dont il faut maintenant découvrir le fond.

Il faut donc penser, chrétiens, qu'outre le rapport que nous avons du côté du corps avec la nature changeante et mortelle, nous avons d'un autre côté un rapport intime et une secrete affinité avec Dieu, parceque Dieu même a mis quelque chose en nous qui peut confesser la vérité de son être, en adorer la perfection, en admirer la plénitude ; quelque chose qui peut se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et incompréhensible sagesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, espérer son éternité. De ce côté, messieurs, l'homme croit avoir en lui de l'élévation, il ne se trompera pas; car comme il est nécessaire que chaque chose soit réunie à son principe, et que c'est pour cette raison, dit l'Ecclésiaste, « que le corps a retourne à la terre, dont il a été tiré (1) », il faut par la suite du même raisonnement, que ce qui porte en nous la marque divine, ce qui est capable de s'unir à Dieu, y soit aussi rappelé. Or ce qui doit retourner à Dieu, qui est la grandeur primitive et essentielle, n'est-il pas grand et élevé? C'est pourquoi, quand je vous ai dit que la grandeur et la gloire n'étoient parmi nous que des noms pompeux, vides de sens et de choses, je

(1) Revertatur pulvis ad terram suam, unde erat. ECCL. 12, v. 7. Spiritus redeat ad Deum, qui dedit illum IBID.

regardois le mauvais usage que nous faisons de ces termes; mais, pour dire la vérité dans toute son étendue, ce n'est ni l'erreur ni la vanité qui ont inventé ces noms magnifiques; au contraire nous ne les aurions jamais trouvés si nous n'en avions porté le fonds en nous-mêmes; car où prendre ces nobles idées dans le néant? La faute que nous faisons n'est donc pas de nous être servis de ces noms; c'est de les avoir appliqués à des objets trop indignes. S. Chrysostome a bien compris cette vérité quand il a dit : « Gloire, richesses, noblesse, puissance, pour les hommes du monde ne sont que a des noms; pour nous, si nous servons Dieu, ce sont des choses: au contraire la pauvreté, la honte, la mort, sont des choses trop effectives et trop réelles pour eux; pour nous ce sont seule«ment des noms (1) », parceque celui qui s'attache à Dieu ne perd ni ses biens, ni son honneur, ni sa vie. Ne vous étonnez donc pas si l'Ecclésiaste dit si souvent, «Tout est vanité »; Il s'explique, «tout « est vanité sous le soleil (2) »,' c'est-à-dire tout ce qui est mesuré par les années, tout ce qui est emporté par la rapidité du temps. Sortez du temps et du changement, aspirez à l'éternité: la vanité ne vous tiendra plus asservis. Ne vous étonnez pas si le même Ecclésiaste (3) méprise tout en nous jusqu'à la sagesse, et ne trouve rien de meilleur que

«

(1) Hoм. 19 in Matt.

(2) ECCL. c. 1, v. 2, 14; c. 2, V. II, 17.
ECCL. c. 1, v. 17 ; C. 2, V.
12, 24.

de goûter en repos le fruit de son travail. La sagesse dont il parle en ce lieu est cette sagesse insensée, ingénieuse à se tourmenter, habile à se tromper elle-même, qui se corrompt dans le présent, qui s'égare dans l'avenir, qui, par beaucoup de raisonnements et de grands efforts, ne fait que se consumer inutilement en amassant des choses

que le vent emporte. Eh! s'écrie ce sage roi, y a-t-il rien de si vain (1) »? Et n'a-t-il pas raison de préférer la simplicité d'une vie particuliere qui goûte doucement et innocemment ce peu de biens que la nature nous donne, aux soucis et aux chagrins des avares, aux songes inquiets des ambitieux? Mais «< cela même, dit-il, ce repos, cette douceur de la vie, est encore une vanité (2)», parceque la mort trouble et emporte tout. Laissons-lui done mépriser tous les états de cette vie, puisqu'enfin de quelque côté qu'on s'y tourne on voit toujours la mort en face, qui couvre de tenebres tous nos plus beaux jours; laissons-lui égaler le fou et le sage, et même, je ne craindrai pas de le dire hautement. en cette chaire, laissons- lui confondre l'homme avec la bête. Unus interitus est homi nis, et jumentorum (3). En effet jusqu'à ce que nous avons trouvé la véritable sagesse, tant que nous regarderons l'homme par les yeux du corps, sans y démêler par l'intelligence ce secret principé

Et est quidquam tam vanum. ECCL. c. 2, v. 19. (2) Vidi quod hoc quoque esset vanitas. ECCL. c. 2, v. 1, 2; c. 8, v. 10.

(3) ECCL. c. 3, v. 19.

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