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l'autre elle s'est montrée toujours invincible. Tant qu'elle a été heureuse, elle a fait seutir son pouvoir au monde par des bontés infinies; quand la fortune l'eut abandonnée, elle s'enrichit plus que jamais elle-même de vertus: tellement qu'elle`a perdu pour son propre bien cette puissance royale qu'elle avoit pour le bien des autres ; et si ses sujets, si ses alliés, si l'église universelle a profité de ses grandeurs, elle-même a su profiter de ses malheurs et de ses disgraces plus qu'elle n'avoit fait de toute sa gloire. C'est ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de très haute, très excellente, et très puissante princesse HenrietteMarie de France, reine de la Grande-Bretagne.

Quoique personne n'ignore les grandes qualités d'une reine dont l'histoire a rempli tout l'univers, je me sens obligé d'abord à les rappeler en votre mémoire, afin que cette idée nous serve pour toute la suite du discours. Il seroit superflu de parler au long de la glorieuse naissance de cette princesse; on ne voit rien sous le soleil qui en égale la grandeur. Le pape saint Grégoire a donné dès les premiers siecles cet éloge singulier à la couronne de France, qu'elle est autant au-dessus des autres couronnes du monde, que la dignité royale surpasse les fortunes particulieres (1). Que s'il a parlé en ces termes du temps du roi Childebert, et s'il a élevé si haut la race de Mérovée, jugez ce qu'il auroit dit du sang de S. Louis et de Charlemagne.

(1) Lib. 6, ep. 6.

Issue de cette race, fille de Henri-le-Grand et de tant de rois, son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre placé qu'un trône eût été indígne d'elle. A la vérité elle eut de quoi satisfaire à sa noble fierté, quand elle vit qu'elle alloit unir la maison de France à la royale famille des Stuart, qui étoient venus à la succession de la couronne d'Angleterre par une fille de Henri VII, mais qui tenoient de leur chef, depuis plusieurs siecles, le sceptre d'Écosse, et qui descendoient de ces rois antiques dont l'origine se cache si avant dans l'obscurité des premiers temps. Mais si elle eut de la joie de régner sur une grande nation, c'est parcequ'elle pouvoit contenter le desir immense qui sans cesse la sollicitoit à faire du bien. Elle eut une magnificence royale, et l'on eût dit qu'elle perdoit ce qu'elle ne donnoit pas. Ses autres vertus n'ont pas été moins admirables. Fidele dépositaire des plaintes et des secrets, elle disoit que les princes devoient garder le même silence que les confesseurs, et avoir la même discrétion. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n'a douté de sa parole, ni désespéré de sa clémence. Quelle autre a mieux pratiqué cet art obligeant, qui fait qu'on se rabaisse sans se dégrader, et qui accorde si heureusement la liberté avec le respect? Douce, familiere, agréable autant que ferme et vigoureuse, elle savoit persuader et convaincre aussi-bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l'autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitoit les affaires ; et une main si habile eût sauvé l'état, si l'état eût pu être sauvé. On ne peut assez louer la magna.

nimité de cette princesse. La fortune ne pouvoit rien sur elle; ni les maux qu'elle a prévus, ni ceux qui l'ont surprise, n'ont abattu son courage. Que dirai-je de son attachement immuable à la religion de ses ancêtres? Elle a bien su reconnoître que cet attachement faisoit la gloire de sa maison aussi-bien que celle de toute la France, seule nation de l'univers qui, depuis douze siecles presque accomplis que ses rois ont embrassé le christianisme, n'a jamais vu sur le trône que des princes enfants de l'église. Aussi a-t-elle toujours déclaré que rien ne seroit capable de la détacher de la foi de S. Louis. Le roi son mari lui a donné jusqu'à la mort ce bel éloge, qu'il n'y avoit que le seul point de religion où leurs cœurs fussent désunis; et, confirmant par son témoignage la piété de la reine, ce prince très éclairé a fait connoître en même temps à toute la terre la tendresse, l'amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son épouse incomparable.

Dieu, qui rapporte tous ses conseils à la conservation de sa sainte église, et qui, fécond en moyens, emploie toutes choses à ses fins cachées, s'est servi autrefois des chastes attraits de deux saintes héroïnes pour délivrer ses fideles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut sauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piege imprévu et inévitable à l'aveugle brutalité d'Holopherne. Les graces pudiques de la reine Esther eurent un effet aussi salutaire, mais moins violent. Elle gagna le cœur du roi son mari, et fit d'un prince infidele un illustre protecteur du peuple de Dieu. Par un conseil à-peu-près semblable, ce grand

Dieu avoit préparé un charme innocent au roi d'Angleterre dans les agréments infinis de la reine son épouse. Comme elle possédoit son affection (car les nuages qui avoient páru au commencement furent bientôt dissipés), et que son heureuse fécondité redoubloit tous les jours les sacrés liens de leur amour mutuel, sans commettre l'autorité du roi son seigneur, elle employoit sou crédit à procurer un peu de repos aux catholiques accablés. Dès l'âge de quinze ans elle fat capable de ces soins; et seize années d'une prospérité accomplie, qui coulerent sans interruption avec l'admiration de toute la terre, furent seize années de douceur pour cette église affligée. Le crédit de la reine obtint aux catholiques ce bonheur singulier et presque incroyable d'être gouvernés successivement par trois nouces apostoliques, qui leur apportoient les consolations que reçoivent les enfants de Dieu de la communication avec le saint-siege. Le pape saint Grégoire, écrivant au pieux empereur Maurice, lui représente en ces termes les devoirs des rois chrétiens: « Sachez, Ô grand empereur, que la souveraine puissance vous est accordée d'en haut, afin que la vertu soit aidée, que les voies du ciel soient élargies, et que « l'empire de la terre serve l'empire du ciel » (1). C'est la vérité elle-même qui lui a dicté ces

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(1) Ad hoc enim potestas dominorum meorum pietati cœlitus data est super omnes homines, ut qui bona appetunt adjuventur, ut cœlorum via largius pateat, ut terrestre regnum cœlesti regno famuletur. GREG. lib 2. epist. 62, Maur. Aug.

belles paroles. Car qu'y a-t-il de plus convenable à la puissance que de secourir la vertu? à quoi la force doit-elle servir, qu'à défendre la raison? et pourquoi commandent les hommes, si ce n'est Dieu soit obéi? Mais sur-tout il faut pour faire que remarquer l'obligation si glorieuse que ce grand pape impose aux princes d'élargir les voies du ciel, Jésus-Christ a dit dans son évangile: Combien est étroit le chemin qui mene à la vie! et voici ce qui le rend si étroit. C'est que le juste, sévere à luimême, et persécuteur irréconciliable de ses propres passions, se trouve encore persécuté par les injustes passions des autres, et ne peut pas même obtenir que le monde le laisse en repos dans ce sentier solitaire et rude où il grimpe plutôt qu'il ne marche. Accourez, dit saint Grégoire, puissances du siecle, voyez dans quel sentier la vertu chemine, doublement à l'étroit, et par elle-même, et par l'effort de ceux qui la persécutent: secourez-la, tendez-lui la main, puisque vous la voyez déja fatiguée du combat qu'elle soutient au-dedans contre tant de tentations qui accablent la nature humaine; mettez-la du moins à couvert des insultes du dehors: ainsi vous élargirez un peu les voies du ciel, et rétablirez ce chemin, que sa hauteur et son âpreté rendront toujours assez difficile.

Mais si jamais l'on peut dire que la voie du chrétien est étroite, c'est, messieurs, durant les persėcutions; car que peut-on imaginer de plus malheureux que de ne pouvoir conserver la foi sans s'exposer au supplice, ni sacrifier sans trouble, ni chercher Dieu qu'en tremblant? Tel étoit l'état

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