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apte à saisir les principes, voilà tout ce qui est en notre pouvoir. Nous dirons, autant qu'il est en nous, ce que doit être le maître, les qualités qu'il doit offrir à son élève, celles que l'élève réunira pour que l'enseignement porte fruit, bref, la manière dont l'un peut seconder les efforts de l'autre et les amener à bonne fin.

Les lignes qui précèdent servaient d'Introduction à un petit essai que nous avons publié, il y a longtemps déjà, sur la même matière '. Nous l'avons reproduit, à peu près intact, dans le travail que nous publions aujourd'hui. Nos idées sont restées les mêmes sur l'objet dont nous traitons, mais elles se sont élargies et développées dans les proportions de l'expérience que nous avons acquise dans une période de quinze années d'enseignement. Nous rendre utile est, aujourd'hui comme alors, notre unique désir.

Paris, août 1858.

' CONSEILS ET PRÉCEPTEs sur la manière d'enseigner et d'étudier la langue française en Allemagne, petite brochure de 57 pages. Neff, éditeur, 1843.

Stuttgart, Faul

ÉTUDE ET ENSEIGNEMENT

DE

LA LANGUE FRANÇAISE

A L'ÉTRANGER.

CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES.

I.

Du choix d'un maître.

Jules Janin dit quelque part : « Il n'y a guère que les mathématiques que l'on ne puisse pas ensei<< gner sans les avoir apprises. >> Ces paroles de l'illustre critique sont l'expression d'une grande vérité, que confirme l'observation de tous les jours. Mais il y a enseignement et enseignement. L'un est sérieux, l'autre dérisoire; l'un a un but, dont il nous rapproche incessamment, l'autre est un vaisseau en dérive, qui va se briser sur les écueils. Hélas! de combien l'en

seignement dérisoire du français n'est-il pas plus fréd'un maître. quent, à l'étranger, que l'enseignement sérieux !

Du choix

Parcourez l'Europe, visitez les plus modestes petites villes du continent, partout vous trouverez, en grande majorité, les gens qui font semblant, les uns d'étudier, les autres d'enseigner notre belle langue française; vous en trouverez qui l'étudient depuis des années sans en savoir autant que sait de latin, chez nous, un élève de sixième; vous trouverez (et maintenant étonnez-vous encore de quelque chose!) des maîtres de langue française ne parlant point français, et, fort probablement, ne pensant pas davantage.

Un des pays de l'Europe où la langue française est le plus maltraitée, c'est l'Allemagne. Chaque année l'Allemagne envoie en France de nouvelles immigrations, avides de connaître ces belles contrées et de posséder notre idiome. Négociants en herbe, artistes, gens de lettres, publicistes, chacun veut passer au moins quelques lunes dans l'atmosphère de la Mecque occidentale, chacun veut faire ce pèlerinage, admirer de ses propres yeux les merveilles de la capitale des arts et des sciences, avoir été à Paris!..... Chaque année aussi, l'Allemagne voit poindre de ces hommes, nous dirions rares s'il n'y en avait tant, qui, en un laps de vingt à trente mois (absolument ce qu'un garçon tailleur met à faire son tour de France), ont absorbé tous les trésors de la langue française, et viennent en gratifier leur patrie reconnaissante.

En Russie, les choses ne se passent pas tout à fait de même. A part un assez grand nombre, il est vrai,

Du choix

de gouvernantes indigènes pour tout faire, les instituteurs russes de naissance qui enseignent le français d'un maître. forment comparativement un chiffre assez modeste. Mais, en revanche, de quels éléments hétérogènes et discordants ne se compose pas la cohorte des étrangers, Français, Suisses, Belges, Savoisiens, etc., etc., etc., qui professent la langue française sur l'étendue de cet. immense empire! On est venu en Russie pour faire des chapeaux, apprêter des soieries, dorer au feu, découper des gants ou des biftecks, et, la chapellerie ayant chômé, la fabrique nous ayant congédié, le vifargent nous ayant fait renoncer à la dorure, la débauche au métier de queux, voilà nos chapeliers, apprêteurs, doreurs, gantiers et chefs, métamorphosés en marchands de participes, comme ils s'intitulent ironiquement, sous l'impression du malaise que leur fait éprouver cette profession improvisée.

La langue française étant devenue, dans les pays étrangers, une mode pour bien du monde, chacun veut en attraper un brimborion. Mais, si toutes les bourses peuvent avoir la même capacité, toutes sont loin d'être également bien garnies. Et cependant les maîtres, quelles que soient leurs modestes prétentions, doivent être payés. Que faire alors? Il ne reste d'autre parti que le bon marché. Cela fait que tout le monde se place, et que tout le monde est peu satisfait. Et il ne peut en être autrement. Quand on a passé sa jeunesse à étudier tout autre chose que l'alignement des mots et l'agencement des phrases, il est difficile de se mettre à régenter avec succès des marmots, et à enseigner

Du choix

une langue. Le français que montrent1 de pareils insd'un maître tituteurs sied aussi bien, dans la bouche de leurs élèves,

que les chapeaux confectionnés d'après les journaux de modes parisiennes sur la tête des élégantes, dans les petites villes de l'intérieur de la Russie. Ridicule par-ci, ridicule par-là.

Nous avons connu, quelque part à l'étranger, un chapelier qui, le matin, donnait des leçons de sa langue, l'après-midi repassait ses chapeaux, et, le soir, préparait ses leçons du lendemain. Arrivé dans le pays pour orner les têtes à sa manière, le brave homme a eu le bon sens de retourner à ses galettes, et, dit-on, il ne s'en trouve pas mal. Lorsque, à son établi, il pérore sur les connaissances nécessaires à un maître de langue française, il ne manque jamais de répéter cette phrase, qui est comme stéréotypée sur ses lèvres : « Au jour d'aujord'hui, il faut d'abord bien savoir ses <«< dix parties du discours. » Et, tout fier, il pose pour un moment son carreau, et promène sur son auditoire un regard plein d'une majestueuse assurance.

Nous avons également connu, dans la même ville, un individu qui, se mêlant aussi du commerce de participes, était parvenu à se placer dans une famille très-distinguée. Un beau jour cependant, le dé

Un personnage occupant une éminente position à Varsovie avait l'habitude de se faire présenter les étrangers qui arrivaient en Pologne et de leur demander ce qui les amenait dans le pays. « Je viens montrer ma langue, dit un jour un Ah! lui fut-il à l'instant répliqué, vous venez nous montrer votre langue; eh bien, moi, je vous montre la langue russe. » Et une langue d'un demi-pied, étalée aux yeux de ce quidam ébahi, prouva d'une manière irrésistible qu'i! avait trouvé son maître.

nouveau venu.

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