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ses droits sacrés, elle n'avait point voulu attirer à soi les droits et l'autorité de l'Église1. Ainsi rien n'a retenu la violence des esprits féconds en erreurs : et Dieu, pour punir l'irréligieuse instabilité de ces peuples, les a livrés à l'intempérance de leur folle curiosité; en sorte que l'ardeur de leurs disputes insensées, et leur religion arbitraire, est devenue la plus dangereuse de leurs maladies.

Il ne faut point s'étonner s'ils perdirent le respect de la majesté et des lois, ni s'ils devinrent factieux, rebelles et opiniâtres. On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids, qui seul est capable de tenir les peuples. Ils ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire ; et on ne leur laisse plus rien à ménager, quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion. C'est de là que nous est né ce prétendu règne de Christ, inconnu jusques alors au christianisme, qui devait anéantir toute royauté, et égaler tous les hommes; songe séditieux des indépendants, et leur chimère impie et sacrilége. Tant il est vrai que tout se tourne en révoltes et en pensées séditieuses, quand l'autorité de la religion est anéantie! Mais pourquoi chercher des preuves d'une vérité que le Saint-Esprit a prononcée par une sentence manifeste? Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie, de se retirer

1

Henri VIII avait cru donner à l'autorité royale plus de force et d'étendue en concentrant toute la puissance spirituelle et temporelle; mais il est à remarquer que c'est précisément depuis cette époque que la puissance royale s'est affaiblie en Angleterre, et que le roi d'Angleterre n'est plus que le premier magistrat de la nation; et Bossuet en donne la raison. On énerve la religion, etc. (B.)

2 C'est ainsi qu'on lit dans les cinq premières éditions: la est ajouté mal à propos dans les suivantes.

du milieu d'eux, et par là de les livrer aux guerres civiles. Écoutez comme il parle par la bouche du prophète Zacharie: « Leur âme, dit le Seigneur, a varié envers « moi, » quand ils ont si souvent changé la religion, « et

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je leur ai dit : Je ne serai plus votre pasteur, » c'està-dire je vous abandonnerai à vous-mêmes, et à votre cruelle destinée et voyez la suite : « Que ce qui doit <«< mourir aille à la mort; que ce qui doit être retranché <«< soit retranché; » entendez-vous ces paroles? « et que <«< ceux qui demeureront, se dévorent les uns les autres. >> O prophétie trop réelle, et trop véritablement accomplie ! La reine avait bien raison de juger qu'il n'y avait point de moyen d'oter les causes des guerres civiles qu'en retournant à l'unité catholique qui a fait fleurir durant tant de siècles l'église et la monarchie d'Angleterre, autant que les plus saintes églises et les plus illustres monarchies du monde. Ainsi quand cette pieuse princesse servait l'Église, elle croyait servir l'État ; elle croyait assurer au roi des serviteurs, en conservant à Dieu des fidèles. L'expérience a justifié ses sentiments; et il est vrai que le roi son fils n'a rien trouvé de plus ferme dans son service que ces catholiques si haïs, si persécutés, que lui avait sauvés la reine sa mère. En effet, il est visible que puisque la séparation et la révolte contre l'autorité de l'Église a été la source d'où sont dérivés tous les maux on n'en trouvera jamais les remèdes que par le retour à l'unité, et par la soumission ancienne. C'est le mépris de cette unité qui a divisé l'Angleterre. Que si vous me demandez comment tant de factions opposées, et tant de sectes incompatibles, qui se devaient apparemment détruire les unes les autres, ont pu si opiniâtrément

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1 Anima eorum variavit in me, et dixi: Non pascam vos : quod moritur, moriatur; et quod succiditur, succidatur; et reliqui devorent unusquisque carnem proximi sui. (ZACH., XI, 8 et seq.)

conspirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez apprendre.

Un homme s'est rencontré1 d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique, capable de tout entreprendre et de tout cacher, également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance; mais au reste si vigilant et si prêt à tout2, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées; enfin un de ces esprits remuants et audacieux, qui semblent être nés pour changer le monde. Que le sort de tels esprits est hasar

'La première expression de ce portrait contient un des secrets particuliers du style de Bossuet: Un homme s'est rencontré. Un autre écrivain aurait pu dire : « Cromwell était un de ces prodiges de scélératesse qui apparaissent de temps en temps dans l'univers comme d'effrayants phénomènes, etc. » Il aurait bien dit, mais comme tout le monde peut bien dire, Bossuet dit tout cela d'un seul mot: Un homme s'est rencontré; et, de plus, il dit mieux, parce qu'il fait entendre avec ce seul mot ce qu'il y a de plus extraordinaire, et qu'il y monte l'imagination. Voilà ce que j'appelle la langue de Bossuet: on en trouverait des traits à toutes les pages, et souvent en foule et pressés les uns sur les autres. (L. H.) - Bossuet n'a pas nommé une seule fois Cromwell. Il fait mieux ; il le montre à tous les esprits; il le rend présent à tous les regards; il lui laisse tous les lauriers qui ombrageaient son front tant de fois victorieux, et il arrache le masque qui couvrait tant de crimes et d'hypocrisie : c'est la plus noble vengeance du génie et de la vertu. (B.) - Cette modération de Bossuet est d'autant plus remarquable, que l'éloge funèbre de la veuve de Charles Ier fut prononcé en 1669, onze ans seulement après la mort de Cromwell, et dix ans après le rétablissement de Charles II sur le trône : c'est-à-dire, quand depuis deux lustres révolus la mémoire de Cromwell était livrée au jugement de l'histoire, et que son cadavre avait été exhumé, traîné sur la claie dans les rues de Londres, pendu, et enterré au pied du gibet. (M.)

2 Prêt à tout signifie plutôt une disposition de l'âme, qui attend le malheur sans crainte, qu'une attention de l'esprit, qui ne peut être ni surprise ni prévenue. (BATTEUX.)

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Bossuet emprunte ici quelques traits à Salluste, qui avait dit, en

deux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste! Mais aussi que ne font-ils pas, quand il plaît à Dieu de s'en servir! Il fut donné à celui-ci de tromper les peuples, et de prévaloir contre les rois1. Car, comme il eut aperçu que dans ce mélange infini de sectes, qui n'avaient plus de règles certaines, le plaisir de dogmatiser sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par là, qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux. Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom. Ceux-ci, occupés du premier objet qui les avait transportés, allaient toujours sans regarder qu'ils allaient à la servitude; et leur subtil conducteur, qui en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète aussi bien que le soldat et le capitaine, vit qu'il avait tellement enchanté le monde, qu'il était regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance, commença à s'apercevoir qu'il pouvait encore les pousser plus loin. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, ni ses fameuses victoires dont la vertu était indignée 3, ni cette longue tran

parlant de Catilina: Animus audax, subdolus, varius ; cujus rei libet simulator ac dissimulator; et ailleurs: Nunquam super industriam ejus fortuna fuit. (F.)

1 APOC., XIII, 5, 7.

2 Cromwell ne se servit pas seulement de son épée, il se servit aussi de sa plume, tantôt pour combattre ses adversaires, tantôt pour aigrir les partis, et pousser les choses jusqu'aux excès dont il avait besoin pour parvenir à ses desseins.

3 Voilà un mot qui n'est point dans les anciens. Le victa Catoni de Lucain est emphatique et impie; la vertu indignée des victoires de Crom well est aussi simple que vrai. (V.)

quillité qui a étonné l'univers. C'était le conseil de Dieu d'instruire les rois à ne point quitter son Église. Il voulait découvrir, par un grand exemple, tout ce que peut l'hérésie; combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu'un pour être l'instrument de ses desseins, rien n'en arrête le cours; ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. « Je << suis le Seigneur, dit-il par la bouche de Jérémie; c'est << moi qui ai fait la terre avec les hommes et les animaux, « et je la mets entre les mains de qui il me plaît. Et «< maintenant j'ai voulu soumettre ces terres à Nabucho« donosor, roi de Babylone, mon serviteur1. » Il l'appelle son serviteur, quoique infidèle, à cause qu'il l'a nommé pour exécuter ses décrets. « Et j'ordonne, << poursuit-il, 'que tout lui soit soumis, jusqu'aux ani<«< maux2: » tant il est vrai que tout ploie et que tout est souple quand Dieu le commande. Mais écoutez la suite de la prophétie : « Je veux que ces peuples lui obéissent, et « qu'ils obéissent encore à son fils, jusqu'à ce que le « temps des uns et des autres vienne 3. » Voyez, chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées : Dieu détermine jusques à quand doit durer l'assoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde.

1

Tel a été le sort de l'Angleterre. Mais que, dans cette

Ego feci terram, et homines, et jumenta quæ sunt super faciem terræ, in fortitudine mea magna et in brachio meo extento ; et dedi eam ei qui placuit in oculis meis. Et nunc itaque dedi omnes terras istas in manu Na

buchodonosor, regis Babylonis, servi mei. ( JEREM., XXVII, 5, 6.)

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Insuper et bestias agri dedi ei, ut serviant illi. (Ibid.)

3 Et servient ei omnes gentes, et filio ejus, donec veniat tempus terræ ejus et ipsius. (Ibid., 7.)

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