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PANÉGYRIQUE

DE

SAINT THOMAS DE CANTORBÉRY,

PRONONCÉ DANS L'ÉGLISE DE SAINT-THOMAS DU LOUVRE EN 1668.

Motifs de la résistance de saint Thomas à l'égard de son prince. Sa conduite toujours sage, toujours respectueuse au milieu des violentes persécutions qu'il a à souffrir. Succès de ses combats pour la discipline. Admirable changement que produit sa mort dans ses ennemis; zèle qu'elle inspire à ses frères. Usage que les ecclésiastiques doivent faire de leurs priviléges, de leurs biens et de leur autorité, pour ne pas exposer l'Église aux blasphèmes des libertins.

In morte mirabilia operatus est.

Il a fait des choses merveilleuses dans sa mort.
Eccl., XLVIII, 15.

Les mystères de Jésus-Christ sont une chute continuelle; et tant qu'il a vu devant soi quelque nouvelle bassesse, il n'a jamais cessé de descendre. Il se compare lui-même dans son Évangile à un grain de froment qui tombe1; et en effet, il est allé toujours tombant, premièrement du ciel en la terre, de son trône dans une crèche de là par plusieurs degrés il est tombé jusqu'à l'ignominie du supplice, jusqu'à l'obscurité du tombeau, jusqu'à la profondeur de l'enfer. Mais comme il ne pouvait tomber plus bas, c'était là aussi le terme fatal de ses chutes mystérieuses ; et ce cours d'abaissements étant rempli, c'est de là qu'il a commencé de se relever couronné d'honneur et de gloire.

:

Ce que notre chef a fait une fois en sa personne sacrée, tous les jours il l'accomplit dans ses membres; et le mar

I Joann., XII, 24.

tyr que nous honorons, nous en est un illustre exemple. Saint Thomas, archevêque de Cantorbéry, s'étant trouvé engagé, pour les intérêts de l'Église, dans de longs et fâcheux démêlés avec un grand roi, avec Henri II, roi d'Angleterre, on l'a vu tomber peu à peu de la faveur à la disgrace, de la disgrâce au bannissement, du bannissement à une espèce de proscription, et enfin à une mort violente. Mais la Providence divine, ayant Jâché la main jusqu'à ce terme, a fait commencer de là son élévation. Elle a honoré de miracles le tombeau de cet illustre martyr; elle a mené à ses cendres un roi pénitent; elle a conservé les droits de l'Église par le sang de ce saint évêque, persécuté injustement pour sa cause, et tirant sa gloire de ses souffrances. Elle m'a donné lieu de dire de lui ce que l'Ecclésiastique a dit d'Élisée, que « sa mort a opéré des miracles: » In morte mirabilia operatus est. Mais afin de vous découvrir toutes ces merveilles, demandons l'assistance du Saint-Esprit par l'entremise de Marie. Ave.

C'est une loi établie, que l'Église ne peut jouir d'aucun avantage qui ne lui coûte la mort de ses enfants; et que, pour affermir ses droits, il faut qu'elle répande du sang. Son Époux l'a rachetée par le sang qu'il a verse pour elle, et il veut qu'elle achète par un prix semblable les grâces qu'il lui accorde. C'est par le sang des martyrs qu'elle a étendu ses conquêtes bien loin au delà de l'empire romain; son sang lui a procuré et la paix dont elle a joui sous les empereurs chrétiens, et la victoire qu'elle a remportée sur les empereurs infidèles. Il paraît donc qu'elle devait du sang à l'affermissement de son autorité, comme elle en avait donné à l'établissement de sa doctrine; et ainsi la discipline, aussi bien que la foi de l'Église, a dû avoir des martyrs.

C'est pour cette cause, messieurs, que votre glorieux patron a donné sa vie. Nous avons honoré ces derniers jours le premier martyr de la foi; aujourd'hui nous célébrons le triomphe du premier martyr de la discipline: et afin que tout le monde comprenne combien ce martyre a été semblable à ceux que nous ont fait voir les anciennes persécutions, je m'attacherai à vous montrer que la mort de notre saint archevêque a opéré les mêmes merveilles dans la cause de la discipline, que celle des autres martyrs a autrefois opérées lorsqu'il s'agissait de la croyance.

En effet, pour ne pas vous laisser longtemps en suspens, comme les martyrs qui ont combattu pour la foi ont affermi, par le témoignage de leur sang, cette foi que les tyrans voulaient abolir; calmé par leur patience la haine publique, qu'on voulait exciter contre eux en les traitant comme des scélérats; confirmé par leur constance invincible les fidèles, qu'on avait dessein d'effrayer par le terrible spectacle de tant de supplices; en sorte que, profitant des persécutions, ils les ont fait servir, contre leur nature, à l'établissement de leur foi, à la conversion de leurs ennemis, à l'instruction et à l'affermissement de leurs frères : ainsi vous verrez bientôt, chrétiens, que des effets tout semblables ont suivi la mort du grand archevêque de Cantorbéry; et la suite de cet entretien vous fera paraître que le sang de ce nouveau martyr de la discipline a affermi l'autorité ecclésiastique, qui était violemment opprimée; que sa mort a converti les cœurs indociles des ennemis de la discipline de l'Église; enfin, qu'elle a échauffé le zèle de ceux qui sont préposés pour en être les défenseurs. Voilà ce que j'ai dessein de vous faire entendre dans les trois parties de ce discours.

PREMIER POINT.

Pour bien entendre le sujet des fameux combats du grand saint Thomas de Cantorbéry pour l'honneur de l'Église et du sacerdoce, il faut considérer avant toutes choses quelques vérités importantes, qui regardent l'état de l'Église ce qu'elle est, ce qui lui est dû, et ce qu'elle doit; quels droits elle a sur la terre, et quels moyens lui sont donnés pour s'y maintenir. Je sais que cette matière est fort étendue, et pleines de questions épineuses: mais comme la décision de ces doutes dépend d'un ou deux principes, j'espère qu'en laissant un grand embarras de difficultés fort enveloppées je pourrai vous dire en peu de paroles ce qui est essentiel et fondamental, et absolument nécessaire pour connaître l'état de la cause pour laquelle saint Thomas a donné sa vie. J'avance donc deux vérités qui expliquent parfaitement, si je ne me trompe, l'état de l'Église sur la terre. Je dis qu'elle y est comme une étrangère, et qu'elle y est toutefois revêtue d'un caractère royal, par la souveraineté toute divine et toute spirituelle qu'elle y exerce. Ces deux vérités éclaircies nous donneront par ordre la résolution des difficultés que j'ai proposées.

Et premièrement, l'Église est dans le monde comme une étrangère: cette qualité fait sa gloire. Elle montre sa dignité et son origine céleste, lorsqu'elle dédaigne d'habiter la terre: elle ne s'y arrête donc pas, mais elle y passe; elle ne s'y habitue pas, mais elle y voyage. Ce qu'elle appréhende le plus, c'est que ses enfants s'y naturalisent, et qu'ils ne fassent leur principal établissement où ils ne doivent avoir qu'un lieu de passage. Mais nous comprenons plus facilement cette qualité d'étrangère, si nous faisons en un mot la comparaison de

l'Église de Jésus-Christ avec la Synagogue ancienne. Il n'y a personne qui n'ait remarqué que les livres sacrés de Moïse, outre les préceptes de religion, sont pleins de lois politiques, et qui regardent le gouvernement d'un État. Ce sage législateur ordonne du commerce et de la police, des successions et des héritages, de la justice et de la guerre, et enfin de toutes les choses qui peuvent maintenir un empire. Mais le prince du nouveau peuple, le législateur de l'Église, a pris une conduite opposée. Il laisse faire aux princes du monde l'établissement des lois politiques; et toutes celles qu'il nous donne, et qui sont écrites dans son Évangile, ne regardent que la vie future. D'où vient cette différence entre l'ancien et le nouveau peuple, si ce n'est que la Synagogue devant avoir sa demeure et faire son séjour sur la terre, il fallait lui donner des lois pour y établir son gouvernement; au lieu que l'Église de Jésus-Christ voyageant comme une étrangère parmi tous les peuples du monde, elle n'a point de lois particulières touchant la société politique; et il suffit de lui dire généralement ce qu'on dit aux étrangers et aux voyageurs, qu'en ce qui regarde le gouvernement, elle suive les lois du pays où elle fera son pèlerinage, et qu'elle en révère les princes et les magistrats: Omnis anima potestatibus sublimioribus subdita sit1. C'est le seul commandement politique que le Nouveau Testament nous donne..

Cette vérité étant supposée, si vous me demandez, chrétiens, quels sont les droits de l'Église, qu'attendezvous que je vous réponde, sinon qu'elle a sans doute de grands avantages et des prétentions glorieuses; mais que celui dont elle attend tout, ayant dit que son royaume n'est pas de ce monde, tout le droit qu'elle

Rom., XIII, 1. — Joann., XVIII, 36.
CHEFS-D'OEUV. DE BOSS. T. I.

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