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les gibets, et dans toutes les places publiques, de ses enfants immolés pour la gloire de l'Évangile.

Durant ce temps, messieurs, il y avait des chrétiens sur la terre, il y avait de ces hommes forts qui, étant nourris dans les proscriptions et dans les alarmes continuelles, s'étaient fait une glorieuse habitude de souffrir pour l'amour de Dieu. Ils croyaient que c'était trop de délicatesse, que de rechercher le plaisir et en ce monde et en l'autre : regardant la terre comme un exil, ils jugeaient qu'ils n'y avaient point de plus grande affaire que d'en sortir au plus tôt. Alors la piété était sincère, parce qu'elle n'était pas encore devenue un art: elle n'avait pas encore appris le secret de s'accommoder au monde, et de servir au négoce des ténèbres. Simple et innocente qu'elle était, elle ne regardait que le ciel, auquel elle prouvait sa fidélité par une longue patience. Tels étaient les chrétiens de ces premiers temps; les voilà dans leur pureté, tels que les engendrait le sang des martyrs, tels que les formaient les persécutions. Maintenant la paix est venue, et la discipline s'est relâchée : le nombre des fidèles s'est augmenté, et l'ardeur de la foi s'est ralentie; et, comme disait éloquemment un ancien, « l'on t'a vue, ô Église catholique, affaiblie « par ta fécondité, diminuée par ton accroissement, et « presque abattue par tes propres forces : » Factaque es, Ecclesia, profectu tuæ fœcunditatis infirmior, atque accessu relabens, et quasi viribus minus valida'. D'où vient cet abattement des courages? C'est qu'ils ne sont plus exercés par les persécutions. Le monde est entré dans l'Église, on a voulu joindre Jésus-Christ avec Bélial; et de cet indigne mélange, quelle race enfin nous est née ? Une race mêlée et corrompue, des demi-chrétiens, des

Salvian. adv. Avar., lib. I, p. 218.

chrétiens mondains et séculiers, une piété hâtarde et falsifiée, qui est toute dans les discours et dans un extérieur contrefait.

O piété à la mode, que je me moque de tes vanteries et des discours étudiés que tu débites à ton aise pendant que le monde te rit! Viens, que je te mette à l'épreuve. Voici une tempête qui s'élève, voici une perte de biens, une insulte, une contrariété, une maladie : tu te laisses aller au murmure, pauvre piété déconcertée; tu ne peux plus te soutenir, piété sans force et sans fondement. Va, tu n'étais qu'un vain simulacre de la piété chrétienne; tu n'étais qu'un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans le feu, mais qui s'évanouit dans le creuset. La vertu chrétienne n'est pas faite de la sorte: Aruit tanquam testa virtus mea1. Elle ressemble à la terre d'argile, qui est toujours molle et sans consistance jusqu'à ce que le feu la cuise et la rende ferme : Aruit tanquam testa virtus mea. Et s'il est ainsi, chrétiens; si les souffrances sont nécessaires pour soutenir l'esprit du christianisme, Seigneur, rendez-nous les tyrans, rendez-nous les Domitiens et les Nérons.

Mais modérons notre zèle, et ne faisons point de vœux indiscrets; n'envions pas à nos princes le bonheur d'ètre chrétiens, et ne demandons pas des persécutions que notre lâcheté ne pourrait souffrir. Sans ramener les roues et les chevalets, sur lesquels on étendait nos ancêtres, la matière ne manquera pas à la patience. La nature a assez d'infirmités, le monde a assez d'injustice, sa faveur assez d'inconstance, il y a assez de bizarrerie dans le jugement des hommes, et assez d'inégalité dans leurs humeurs contrariantes. Apprenons à goûter ces amertumes; et quelque sorte d'afflictions que Dieu

Ps. XXI, 16.

nous envoie, profitons de ces occasions précieuses, et ménageons-en avec soin tous les moments.

Le ferons-nous, mes frères, le ferons-nous? nous réjouirons-nous dans les opprobres? nous plairons-nous dans les contrariétés? Ah! nous sommes trop délicats, et notre courage est trop mou. Nous aimerons toujours les plaisirs, nous ne pouvons durer un moment avec JésusChrist sur la croix. Mais, mes frères, s'il est ainsi, pourquoi baisons-nous les os des martyrs? pourquoi célébrons-nous leur naissance? pourquoi écoutons-nous leurs éloges? Quoi! serons-nous seulement spectateurs oisifs? quoi! verrons-nous le grand saint Victor boire à longs traits ce calice amer de sa passion, que le Fils de Dieu lui a mis en main; et nous croirons que cet exemple ne nous regarde point, et nous n'en avalerons pas une seule goutte : comme si nous n'étions pas enfants de la croix! Ah! mes frères, gardez-vous d'une si grande insensibilité. Montrez que vous croyez ces paroles : << Bienheureux ceux qui souffrent persécution1! » et ces autres non moins convaincantes : « Celui qui ne se hait « pas soi-même, et qui ne porte pas sa croix tous les « jours, n'est pas digne de moi2. »

Ah! nous les croyons, ô Sauveur Jésus : c'est vous qui les avez proférées. Mais si vous les croyez, nous ditil, prouvez-le-moi par vos œuvres. Ce sont les souffrances, ce sont les combats, c'est la peine, c'est le grand travail, qui justifient la sincérité de la foi. Seigneur, tout ce que vous exigez de nous est l'équité même : donnez-nous la grâce de l'accomplir; car en vain entreprendrions-nous par nos propres forces de l'exécuter: bientôt nos efforts impuissants ne nous laisseraient que la confusion de notre superbe témérité. Soutenez donc, ô Dieu

Matth., v, 10. — Ibid., x, 38.

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PANÉGYRIQUE DE SAINT VICTOR.

tout-puissant, notre faiblesse par votre Esprit-Saint! Faites-nous des chrétiens véritables, c'est-à-dire des chrétiens amis de la croix : accordez-nous cette grâce par les exemples et par les prières de Victor votre serviteur, dont nous honorons la mémoire; afin que l'imitation de sa patience nous mène à la participation de sa couronne. Amen.

PANÉGYRIQUE

DE

L'APOTRE SAINT PAUL.

Comment le grand apôtre, dans ses prédications, dans ses combats, dans le gouvernement ecclésiastique, est-il toujours faible, et triomphe-t-il de tous les obstacles par ses faiblesses mêmes.

Placeo mihi in infirmitatibus meis: cum enim infirmor, tunc potens sum.

Je ne me plais que dans mes faiblesses; car lorsque je me sens faible, c'est alors que je suis puissant.

II. Cor., XII, 40.

Dans le dessein que je me propose de faire aujourd'hui le panégyrique du plus illustre des prédicateurs, et du plus zélé des apôtres, je ne puis vous dissimuler que je me sens moi-même étonné de la grandeur de mon entreprise. Quand je rappelle à mon souvenir tant de peuples que Paul a conquis, tant de travaux qu'il a surmontés, tant de mystères qu'il a découverts, tant d'exemples qu'il nous a laissés d'une charité consommée, ce sujet me paraît si vaste, si relevé, si majestueux, que mon esprit, se trouvant surpris, ne sait ni où s'arrêter dans cette étendue, ni que tenter dans cette hauteur, ni que choisir dans cette abondance; et j'ose bien me persuader qu'un ange même ne suffirait pas pour louer cet homme du troisième ciel.

Mais ce qui m'étonne le plus, c'est que cet amour mêlé de respect que je sens pour le divin Paul, et duquel j'espérais de nouvelles forces dans un ouvrage qui tend à sa gloire, s'est tourné ici contre moi et a con

CHEFS-D'OEUV. DE BOSS.-T. I.

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