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PANEGYRIQUE DE SAINT PIERRE NOLASQUE.

franchir de sa tyrannie? Dilatez-vous: Dilatamini et vos1. Laissez sortir ce captif, laissez couler sur le prochain cet amour que vous avez pour vous-mêmes; aimez vos frères comme vous-mêmes, selon le précepte de l'Évangile 2. Ne voyez-vous pas, chrétiens, que l'amour, auparavant trop captif, commence à s'affranchir en se dilatant? Ce n'est plus un amour-propre, qui n'aime rien que soi-même; c'est un amour de société, qui aime le prochain comme soi-même : et s'il peut aller à ce point que de l'aimer plus que soi-même, le préférer à soimême, procurer son bien et son avantage aux dépens de sa liberté et de sa propre personne, comme saint Pierre Nolasque l'a pratiqué, et comme il l'a ordonné à ses religieux, amour-propre, tu es détruit jusqu'à la racine; un amour divin et céleste a succédé en ta place, qui, nous arrachant à nous-mêmes, fait que nous nous retrouvons plus parfaitement dans l'amour de JésusChrist notre Sauveur, et dans l'unité de ses membres.

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PANÉGYRIQUE

DE

SAINT VICTOR,

PRONONCÉ A PARIS, DANS L'ABBAYE DE CE NOM, EN 1657.

Mépris des idoles, conversion de ses propres gardes, effusion de son sang; trois manières dont saint Victor fait triompher Jésus-Christ. Comment nous devons l'imiter.

Hæc est victoria que vincit mundum, fides nostra.

La victoire qui surmonte le monde, c'est notre foi. 1. Joan., V, 4.

Quand je considère, messieurs, tant de sortes de eruautés qu'on a exercées sur les chrétiens, pendant l'espace de quatre cents ans, avec une fureur implacable, je méditę souvent en moi-même pour quelle cause il a plu à Dieu, qui pouvait choisir des moyens plus doux, qu'il en ait coûté tant de sang pour établir son Église. En effet, si nous consultons la faiblesse humaine, il est malaisé de comprendre comment il a pu se résoudre à souffrir qu'on lui immolât tant de martyrs, lui qui avait rejeté dans sa nouvelle alliance les sacrifices sanglants; et après avoir épargné le sang des taureaux et des boucs, il y a sujet de s'étonner qu'il se soit plu, durant tant de siècles à voir verser celui des hommes, et encore celui de ses serviteurs, par tant d'étranges supplices. Et toutefois, chrétiens, tel a été le conseil de sa providence; et je ne crains point de vous assurer que c'est un conseil de miséricorde. Dieu ne se plaît pas dans le sang; mais il se plaît dans le spectacle de la patience. Dieu n'aime pas

la cruauté, mais il aime une vertu éprouvée; et s'il la fait passer par un examen laborieux, c'est qu'il sait qu'il a le pouvoir de la récompenser selon ses mérites. Si saint Victor avait moins souffert, sa foi n'aurait pas montré toute sa vigueur; et si les tyrans l'avaient épargné, ils lui auraient envié ses couronnes. Dieu nous propose le ciel comme une place qu'il veut qu'on lui enlève et qu'on emporte de force; afin que, non contents du salut, nous aspirions encore à la gloire, et qu'étant non-seulement échappés des mains de nos ennemis, mais encore ayant surmonté toute leur puissance, nous puissions dire avec l'apôtre Hæc est victoria quæ vincit mundum, fides

nostra.

Pour prendre ces sentiments généreux s'il ne fallait que de grands exemples, j'espérerais quelque effet extraordinaire de celui de l'invincible Victor, dont la constance s'est signalée par un martyre si mémorable : mais comme ces nobles désirs ne naissent pas de nous-mêmes, recourons à celui qui les inspire, et demandons-lui son Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

Comme c'est le dessein du Fils de Dieu de n'avoir dans sa compagnie que des esprits courageux, il ne leur propose aussi que de grands objets et des espérances glorieuses; il ne leur parle que de victoires, partout il ne leur promet que des couronnes, et toujours il les entretient de fortes pensées. Entre tous les fidèles de JésusChrist, ceux qui se sont le plus remplis de ces sentiments, ce sont les bienheureux martyrs, que nous pouvons appeler les vrais conquérants et les vrais triomphateurs de l'Église. Encore que leurs victoires aient des circonstances sans nombre qui en relèvent l'éclat, néanmoins la gloire qu'ils se sont acquise dépend principalement de trois choses, dont la première est la cause de leur mar

tyre, la seconde le fruit, la troisième la perfection. La cause de leur martyre, ç'a été le mépris des idoles. Le fruit de leurs souffrances et de leur martyre, ç'a été la conversion des peuples; et enfin ce qui en fait la perfection, c'est qu'ils ne se sont pas épargnés eux-mêmes, et qu'ils ont signalé leur fidélité par l'effusion de leur sang. Voilà ce que j'appelle la perfection, suivant cette parole de l'Évangile : « Il n'y a point de charité plus grande « que de donner sa vie pour ceux qu'on aime : » Majorem charitatem nemo habet, ut animam suam ponat quis pro amicis suis 1.

C'est, ce me semble, de ces trois chefs que se doit tirer principalement la gloire des saints martyrs, et c'est aussi sur ce fondement que je prétends appuyer, messieurs, celle de l'invincible Victor, patron de cette célèbre abbaye. Il fut produit devant les idoles par l'ordre des juges romains, afin qu'il leur offrit de l'encens; et non content de le refuser avec une fermeté inébranlable, d'un coup de pied qu'il leur donne, il les renverse par terre. C'est pour cette cause qu'il a enduré de si cruels supplices. Mais c'est peu pour le Dieu vivant qu'on ait fait tomber à ses pieds des idoles muettes et inanimées; c'est une trop faible victoire : ce qui le touche le plus, c'est que les hommes, ses vives images, sur lesquels il a empreint les traits de sa face, adorent ces images mortes, par lesquelles une ignorance grossière a entrepris de figurer sa divinité. Victor généreux, Victor, après avoir détruit ces vains simulacres, travaille à lui gagner les hommes, ses vivantes images; Victor s'y applique de toute sa force; et j'apprends de l'historien de sa vie que, pendant qu'il a été prisonnier, il a heureusement converti ses gardes, il a fidèlement confirmé ses frères. Peut-il mieux

1. Joan., XV, 13.

servir Dieu, et avec plus de fruit, que de travailler si utilement à retenir ses troupes dans la discipline, et même à les fortifier de nouveaux soldats pendant que la puissance ennemie tâche de les dissiper par la crainte? C'est le fruit de cet illustre martyre; mais ce qui en a fait la perfection, c'est que l'invincible Victor, non content d'avoir si bien conduit au combat la milice du Fils de Dieu, a encore payé de sa personne, en mourant our l'amour de lui dans des tourments sans exemple, et lui a sacrifié sa vie. C'est ainsi qu'il a surmonté le monde; et ce qu'il prétend par cette victoire, c'est de faire triompher Jésus-Christ.

En effet vous triomphez, ô Jésus! et Victor fait éclater aujourd'hui votre souveraine puissance sur les fausses divinités, sur vos élus, sur lui-même sur les fausses divinités, en les détruisant devant vous; sur ceux que vous avez choisis, en les affermissant dans votre service; et enfin sur lui-même, en s'immolant tout entier à votre gloire. C'est ce qu'a fait le grand saint Victor, c'est ce qui doit aujourd'hui vous servir d'exemple; et Dieu veuille que je vous propose avec tant de force les victoires de ce saint martyr, que vous soyez enflammés de la même ardeur de vaincre le monde!

PREMIER POINT.

Quel est ce concours de peuple que je vois fondre de toutes parts en la place publique de Marseille? quel spectacle les y attire? quelle nouveauté les y mène? Mais quel est cet homme intrépide que je vois devant cette idole, et que l'on presse, par tant de menaces, de lui présenter de l'encens, sans pouvoir fléchir sa constance ni ébranler sa résolution? Sans doute c'est cet illustre Victor, la fleur de la noblesse de Marseille, qui, étant

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