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NOTICE

SUR HENRIETTE-MARIE DE FRANCE,

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE.

HENRIETTE-MARIE était la sixième des enfants que Henri IV, roi de France, eut de son mariage avec Marie de Médicis. Elle naquit en 1609. En 1625 elle épousa Charles Ier, roi d'Angleterre, si connu par ses revers et sa mort malheureuse. Louis XIII, frère aîné de la princesse, n'avait consenti à ce mariage qu'à condition que le pape accorderait une dispense à cause de la différence de religion. Cette dispense fut accordée ; et la jeune reine, qui, aux termes du contrat de mariage, devait jouir de la plus grande liberté relativement à l'exercice du culte catholique, partit pour l'Angleterre, suivie de son confesseur, le père dé Bérulle, depuis cardinal, et de douze autres prêtres de la congrégation de l'Oratoire. Ces prêtres furent accusés de travailler secrètement à faire des prosélytes à la religion catholique, et la reine fut obligée de les remplacer par des capucins, qui déplurent comme leurs prédécesseurs.

Bientôt le feu des discordes civiles et religieuses s'alluma avec fureur; il fit de la vie de la reine d'Angleterre et de celle du roi un enchaînement de catastrophes plus tragiques les unes que les autres. En Écosse et en Angleterre on se révolta, on prit les armes, et le roi eut à combattre ses propres sujets. Dans tout le cours de cette guerre malheureuse il y eut quelques intervalles de calme et de soumission; mais les rebelles augmentant chaque jour d'audace et de puissance, le roi fut obligé de quitter Londres et de se séparer de la reine. Celle-ci alla en Hollande chercher à son époux des secours en hommes et en argent. Une furieuse tempête l'accueillit à son retour, lui fit perdre deux vaisseaux, et la rejeta sur les côtes de Hollande, d'où elle partit encore, et aborda en Angleterre. Cinq vaisseaux ennemis, avertis de sa descente, vinrent canonner le lieu où elle était retirée. Elle y courut les plus grands dangers, et dans cette occasion, comme dans toutes celles qui suivirent, montra, avec le plus grand zèle pour la cause de son époux, un courage au-dessus de son sexe et de sa fortune. Forcée de quitter encore le roi, qu'elle avait rejoint, et qu'elle

accompagnait partout, elle se réfugia à Exeter, où elle accoucha d'une fille (Henriette-Anne) qui fut depuis duchesse d'Orléans.

La reine eut à peine le temps de se rétablir de ses couches, et fut obligée de chercher en France un asile contre la fureur de ses ennemis. Sa tête était mise à prix. Il lui fallut abandonner son enfant à des mains étrangères; puis, s'embarquant pour sa terre natale, se confier encore à la mer orageuse. Là elle fut de nouveau surprise par la tempête, qui lui enleva un vaisseau; et, poursuivie à coups de canon jusque sur les côtes de France, elle y aborda enfin, après s'être vue mille fois en danger de perdre la vie. Mais en France d'autres calamités l'attendaient encore. C'était le temps des guerres de la Fronde. Souvent insultée par les frondeurs, jusque dans le Louvre où elle demeurait, elle éprouva même le besoin des choses nécessaires à la vie, et se vit forcée de demander au parlement ce qu'elle appelait elle-même une aumône pour subsister. C'est dans cette triste situation qu'elle apprit la mort du roi son mari, que Cromwell fit condamner à mort et décapiter le 9 février 1649. La reine alors ne songea plus qu'à s'assurer une retraite, pour y cacher son infortune et finir tranquillement ses jours. C'est dans cette vue qu'elle fonda à Chaillot le couvent de la Visitation : elle vint s'y établir avec le roi son fils et ses autres enfants, qu'elle faisait instruire dans la foi catholique. Enfin le calme rétabli en France, le retour de la famille royale à Paris, et peu de temps après le rétablissement inespéré de son fils Charles II au trône de ses ancêtres, lui permirent, après tant de malheurs, de goûter quelques jours sereins. Le désir de voir le roi son fils tranquille possesseur de sa couronne, et surtout l'espoir d'être utile aux catholiques, la déterminèrent à faire jusqu'à deux fois le voyage d'Angleterre, où elle reçut sur son passage tous les témoignages de la joie et de l'affection du peuple. Son dessein, en revenant en France, était de finir ses jours dans cette même retraite de la Visitation de Chaillot, où elle avait vécu d'abord. Elle avait aussi une maison à Colombe, près Paris, où elle allait passer la belle saison : ce fut là qu'elle mourut le 10 septembre 1669, âgée de soixante ans.

Louis XIV fit transporter son corps à Saint-Denis, et son cœur au couvent de la Visitation à Chaillot, où elle avait choisi sa sépulture. Quarante jours après, le duc d'Orléans son gendre (Monsieur ) et la princesse Henriette sa fille (Madame) lui firent faire un service solennel, où Bossuet, pour lors évêque de Condom, prononça son oraison funèbre.

Bossuet avait près de quarante-deux ans lorsqu'il fut nommé à l'évêché de Condom. La reine d'Angleterre (Henriette de France) était morte presque subitement trois jours auparavant à Colombe, près de Paris, dans une maison de campagne où elle allait ordinairement passer les beaux jours de l'automne.

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La mort de cette princesse devint une grande époque dans la vie de Bossuet elle ouvrit à son génie une nouvelle carrière; et, dès qu'il y fut entré, il fut ce que nul autre n'a été après lui. Bossuet est resté pour l'Oraison funèbre ce qu'Homère est encore pour la poésie épique, le modèle que tous leurs successeurs cherchent à imiter, et n'aspirent pas même à égaler.

Jamais un plus beau sujet ne pouvait s'offrir à l'éloquence que l'histoire d'une reine, « fille, femme et mère de tant de rois, dont les catastrophes avaient rempli tout l'univers, et dont la vie seule offrait toutes « les extrémités des choses humaines. »

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Louis XIV jugea que Bossuet seul pouvait remplir tout ce que l'on devait attendre d'un tel sujet. Bossuet fit plus : il alla au delà de ce que l'imagination aurait osé espérer du sujet et de l'orateur même. Il a montré dans l'Oraison funèbre de la reine d'Angleterre jusqu'où la pensée et la parole de l'homme peuvent s'élever, sans qu'il leur soit peut-être jamais donné de s'élever plus haut.

Cette Oraison funèbre a été pendant plus d'un siècle le sujet de la méditation profonde des hommes religieux et des hommes d'État. Jamais l'alliance de la religion et de la politique, le danger des innovations religieuses, et les terribles conséquences des maximes anarchiques, n'avaient été présentés sous des caractères plus frappants. On ne savait, en la lisant, si on devait plus admirer le pontife qui parle au nom du ciel, ou le sage politique qui annonce aux rois et aux peuples que « toutes les révolutions sont « causées, ou par la mollesse ou par la violence des princes.

Mais depuis que par une déplorable conformité nous nous sommes vus en présence des mêmes catastrophes, Bossuet ne se montre plus à nous comme un orateur ou un historien: on croit entendre la voix d'un prophète; toutes ses paroles semblent animées de cette inspiration sacrée qui annonçait à la nation juive et à ses rois une longue suite de calamités.

L'exorde de cette Oraison funèbre est peut-être le plus imposant qui ait jamais ouvert un discours religieux, comme la péroraison de celle du grand Condé est la plus magnifique conception de l'éloquence ancienne et moderne. Le texte seul de cette Oraison funèbre en expose tout le sujet : et quel sujet !

Ce fut par l'Oraison funèbre de la reine d'Angleterre que Bossuet se montra en France le créateur de l'éloquence funèbre, comme il avait donné dans ses sermons les plus nobles modèles de l'éloquence de la chaire, et telle a été l'influence de son génie pour la gloire de l'Église gallicane, que

CHEF-D'OEUV. DE BOSS. T. I.

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ses successeurs dans l'une et dans l'autre carrière sont restés les premiers orateurs sacrés de l'Europe chrétienne.

Bossuet a été véritablement créateur de l'éloquence funèbre, quoiqu'il y ait eu des oraisons funèbres avant Bossuet; mais personne avant lui n'avait donné à la religion un caractère si auguste, à la raison un accent si éloquent, à la politique autant de profondeur, à l'histoire autant de majesté. Personne n'avait encore parlé et écrit comme Bossuet; personne n'avait trouvé comme lui le sublime de l'expression dans le sublime de la pensée, et l'art singulier de donner quelquefois à la pensée encore plus de grandeur par la simplicité de l'expression : et comme l'antiquité ne pouvait offrir aucun modèle d'un genre d'éloquence qui ne peut appartenir qu'à la religion des chrétiens, les orateurs qui ont succédé à Bossuet dans la chaire funèbre n'ont pu renouveler encore les merveilles qu'il avait créées. Quelque opinion que l'on puisse avoir du mérite des Sermons de Bossuet, il est au moins certain que si Bourdaloue et Massillon sont les premiers des prédicateurs, les Oraisons funèbres le placeront toujours au premier rang des orateurs.

(Le cardinal DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, liv. m.)

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