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X. Le Hibou.

Un jeune hibou, qui s'était vu dans une fontaine, et qui se trouvait plus beau, je ne dirai pas que le jour, car il le trouvait fort désagréable, mais que la nuit, qui avait de grands charmes pour lui, disait en lui-même : J'ai sacrifié aux Grâces, Vénus a mis sur moi sa ceinture dans ma naissance; les tendres Amours, accompagnés des Jeux et des Ris, voltigent autour de moi pour me caresser. Il est temps que le blond Hyménée me donne des enfants gracieux comme moi; ils seront l'ornement des bocages et les délices de la nuit. Quel dommage que la race des plus parfaits oiseaux se perdît ! heureuse l'épouse qui passera sa vie à me voir! Dans cette pensée, il envoie la corneille demander de sa part une petite aiglone, fille de l'aigle, reine des airs. La corneille avait peine à se charger de cette ambassade : Je serai mal reçue, disait-elle, de proposer un mariage si mal assorti. Quoi ! l'aigle, qui ose regarder fixement le soleil, se marierait avec vous qui ne sauriez seulement ouvrir les yeux tandis qu'il est jour! C'est le moyen que les deux époux ne soient jamais ensemble, l'un sortira le jour, et l'autre la nuit. Le hibou, vain et amoureux de lui-même, n'écouta rien. La corneille, pour le contenter, alla enfin demander l'aiglone. On se moqua de sa folle demande. L'aigle lui répondit : Si le hibou veut être mon gendre, qu'il vienne après le lever du soleil me saluer au milieu de l'air. Le hibou présomptueux y voulut aller. Ses yeux furent d'abord éblouis, il fut aveuglé par les rayons du soleil, et tomba du haut de l'air sur un rocher. Tous les oiseaux se jetèrent sur lui, et lui arrachèrent ses plumes. Il fut trop heureux de se cacher dans son trou, et d'épouser la chouette, qui fut

On lit roi dans toutes les éditions; mais Fénelon a écrit reine. La Fontaine, liv. 11, fable VIII, dit: On fit entendre à l'aigle, enfin, QU'ELLE avail tort; liv. XII, fable x1 : L'aigle, REINE des airs; et l'Académie, jusqu'en 1740, au mot Aigle, le fait de tout genre. (Édit. de Vers.)

une digne dame du lieu. Leur hymen fut célébré la nuit, et ils se trouvèrent l'un et l'autre très-beaux et très-agréables. Il ne faut rien chercher au-dessus de soi, ni se flatter sur ses avantages.

XI. L'Abeille et la Mouche.

Un jour, une abeille aperçut une mouche auprès de sa ruche. Que viens-tu faire ici ? lui dit-elle d'un ton furieux Vraiment, c'est bien à toi, vil animal, à te mêler avec les reines de l'air! Tu as raison, répondit froidement la mouche on a toujours tort de s'approcher d'une nation aussi fougueuse que la vôtre. Rien n'est plus sage que nous, dit l'abeille : nous seules avons des lois et une république bien policée; nous ne broutons que des fleurs odoriférantes; nous ne faisons que du miel délicieux, qui égale le nectar. Ote-toi de ma présence, vilaine mouche importune, qui ne fais que bourdonner, et chercher ta vie sur des ordures. Nous vivons comme nous pouvons, répondit la mouche : la pauvreté n'est pas un vice; mais colère en est un grand. Vous faites du miel qui est doux, mais votre cœur est toujours amer; vous êtes sages dans vos lois, mais emportées dans votre conduite. Votre colère, qui pique vos ennemis, vous donne la mort ; et votre folle cruauté vous fait plus de mal qu'à personne. Il vaut mieux avoir des qualités moins éclatantes, avec plus de modération.

XII. Le Renard puni de sa curiosité.

Un renard des montagnes d'Aragon, ayant vieilli dans la finesse, voulut donner ses derniers jours à la curiosité. Il prit le dessein d'aller voir en Castille le fameux Escurial qui est le palais des rois d'Espagne, bâti par Philippe II. En ar

rivant il fut surpris, car il était peu accoutumé à la magnificence; jusqu'alors il n'avait vu que son terrier, et le poulailler d'un fermier voisin, où il était d'ordinaire assez mal reçu. Il voit là des colonnes de marbre, là des portes d'or, des bas-reliefs de diamant. Il entra dans plusieurs chambres, dont les tapisseries étaient admirables: on y voyait des chasses, des combats, des fables où les dieux se jouaient parmi les hommes; enfin l'histoire de don Quichotte, où Sancho, monté sur son grison, allait gouverner l'île que le duc lui avait confiée. Puis il aperçut des cages où l'on avait renfermé des lions et des léopards. Pendant que le renard regardait ces merveilles, deux chiens du palais l'étranglèrent. Il se trouva mal de sa curiosité.

XIII. Les deux Renards.

Deux renards entrèrent la nuit par surprise dans un poulailler; ils étranglèrent le coq, les poules et les poulets: après ce carnage, ils apaisèrent leur faim. L'un, qui était jeune et ardent, voulait tout dévorer; l'autre, qui était vieux et avare, voulait garder quelques provisions pour l'avenir. Le vieux disait: Mon enfant, l'expérience m'a rendu sage; j'ai vu bien des choses depuis que je suis au monde. Ne mangeons pas tout notre bien en un seul jour. Nous avons fait fortune; c'est un trésor que nous avons trouvé, il faut le ménager. Le jeune répondit : Je veux tout manger pendant que j'y suis, et me rassasier pour huit jours car pour ce qui est de revenir ici, chansons! il n'y fera pas bon demain; le maître, pour venger la mort de ses poules, nous assommerait. Après cette conversation, chacun prend son parti. Le jeune mange tant, qu'il se crève, et pent à peine aller mourir dans son terrier. Le vieux, qui se croit bien plus sage de modérer ses appétits et de vivre d'économie, veut le lendemain retourner à sa proie, et est assommé par le maître.

Ainsi chaque âge a ses défauts: les jeunes gens sont fougueux et insatiables dans leurs plaisirs ; les vieux sont incorrigibles dans leur avarice.

XIV. Le Dragon et les Renards.

Un dragon gardait un trésor dans une profonde caverne; il veillait jour et nuit pour le conserver. Deux renards, grands fourbes et grands voleurs de leur métier, s'insinuèrent auprès de lui par leurs flatteries. Ils devinrent ses confidents. Les gens les plus complaisants et les plus empressés ne sont pas les plus sûrs. Ils le traitaient de grand personnage, admiraient toutes ses fantaisies, étaient toujours de son avis, et se moquaient entre eux de leur dupe. Enfin il s'endormit un jour au milieu d'eux ; ils l'étranglèrent, et s'emparèrent du trésor. Il fallut le partager entre eux : c'était une affaire bien difficile, car deux scélérats ne s'accordent que pour faire le mal. L'un d'eux se mit à moraliser: A quoi, disait-il, nous servira tout cet argent? un peu de chasse nous vaudrait mieux : on ne mange point du métal; les pistoles sont de mauvaise digestion. Les hommes sont des fous d'aimer tant ces fausses richesses: ne soyons pas aussi insensés qu'eux. L'autre fit semblant d'être touché de ces réflexions, et assura qu'il voulait vivre en philosophe comme Bias, portant tout son bien sur lui. Chacun fait semblant de quitter le trésor : mais ils se dressèrent des embûches et s'entre-déchirèrent. L'un d'eux en mourant dit à l'autre, qui était aussi blessé que lui: Que voulais-tu faire de cet argent? La même chose que tu voulais en faire, répondit l'autre. Un homme passant apprit leur aventure, et les trouva bien fous. Vous ne l'êtes pas moins que nous, lui dit un des renards. Vous ne sauriez, non plus que nous, vous nourrir d'argent, et vous vous tuez pour en avoir. Du moins, notre race jusqu'ici a été assez sage pour ne mettre en usage aucune

monnaie. Ce que vous avez introduit chez vous pour la commodité fait votre malheur. Vous perdez les vrais biens, pour chercher les biens imaginaires.

XV. Le Loup et le jeune Mouton.

Des moutons étaient en sûreté dans leur parc; les chiens dormaient ; et le berger, à l'ombre d'un grand ormeau, jouait de la flûte avec d'autres bergers voisins. Un loup affamé vint, par les fentes de l'enceinte, reconnaître l'état du troupeau. Un jeune mouton sans expérience, et qui n'avait jamais rien vu, entra en conversation avec lui: Que venez-vous chercher ici ? dit-il au glouton. L'herbe tendre et fleurie, lui répondit le loup. Vous savez que rien n'est plus doux que de paître dans une verte prairie émaillée de fleurs, pour apaiser sa faim, et d'aller éteindre sa soif dans un clair ruisseau : j'ai trouvé ici l'un et l'autre : que faut-il davantage? J'aime la philosophie qui enseigne à se contenter de peu. Est-il donc vrai, repartit le jeune mouton, que vous ne mangez point la chair des animaux, et qu'un peu d'herbe vous suffit ? Si cela est, vivons comme frères, et paissons ensemble. Aussitôt le mouton sort du parc dans la prairie où le sobre philosophe le mit en pièces et l'avala.

Défiez-vous des belles paroles des gens qui se vantent d'être vertueux. Jugez-en par leurs actions, et non par leurs discours.

XVI. Le Chat et les Lapins.

Un chat, qui faisait le modeste, était entré dans une garenne peuplée de lapins. Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu'à s'enfoncer dans ses trous. Comme le nouveau venu était au guet auprès d'un terrier, les députés de la nation lapiue, qui avaient vu ses terribles griffes, comparurent dans

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