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M. Briand est généreux. A vrai dire, la loi de 1901 avait supprimé le clergé régulier. La loi qui s'élabore supprime virtuellement le clergé séculier. Ne pouvant pas, du même coup, détruire les fidèles, la loi leur permet encore de se grouper, comptant leur faire la vie si dure, qu'eux aussi disparaîtront à leur tour. En tout cas, l'Etat ne reconnait plus de ministres du culte. Il ne dit pas quelle attitude il prendra vis-à-vis des évêques qu'il ne nommera plus, qu'il laissera encore << à la disposition » des associations régionales. Sans doute, il ne le sait pas très bien lui-même. Les événements le forceront à se prononcer. Ignorer les ministres du culte, tout en voulant régir le culte, est, en effet, impossible. Par la force des choses, l'État les rencontrera, usurpant, dira-t-il, une autorité illégale, exerçant, à vrai dire, une mission. légitime et sacrée. S'il ne les veut pas connaître, il les devra supprimer, par l'exil, la prison, sinon plus radicalement. Aussi bien, la destruction de l'Église est-elle le dessein avoué de ceux qui parlent de séparation, et ils seront amenés, malgré eux, à accomplir ce dessein, parce que les associations cultuelles, qu'ils tolèrent, ne sont pas l'Eglise, et que la hiérarchie, qu'ils ne tolèrent pas, appartient à l'essence de l'Église.

La guerre s'ensuivra. Aussi, les auteurs du projet de séparation commettent-ils un vrai crime politique. Ils compromettent définitivement toute chance d'union nationale. Ils allument la plus funeste des guerres civiles, la guerre religieuse. Il y a deux ans, ils déclaraient eux-mêmes la séparation impossible. Ils sentaient qu'en dénonçant le Concordat, ils risquaient d'ébranler la République, «< d'amener la fin du monde », disait Gambetta. Ils sont, aujourd'hui, emportés par un courant plus fort qu'eux; et, au risque de ruiner la République et la France, ils décident, d'un cœur léger, ce saut dans l'inconnu que sera le régime de la séparation. Mais l'histoire ne fait que recommencer, et les persécutions auxquelles ont abouti les réglementations ecclésiastiques, risquées par la Constituante et le Directoire', indiquent à

1. Paul Dudon, la Séparation jacobine (Études, 5 novembre 1904); Hippo

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quelles inévitables vexations aboutiront, fatalement, nos actuels séparatistes. La constitution civile du clergé, de 1790, et les décrets de l'an IV réglementaient l'Église à la façon de nos législateurs d'aujourd'hui. En même temps qu'ils feignaient d'ignorer l'Église, ils lui imposaient une discipline qu'elle ne pouvait accepter. Si paisibles soient-elles, les consciences finissent par regimber, et, de ce jour, naît la persécution violente. « Le martyre, disait M. WaldeckRousseau, est un anachronisme!» « Si les temps héroïques sont passés, ajoute M. Briand, le temps des martyrs l'est aussi. » Les temps héroïques ne sont point passés, ni les temps barbares, et je ne donne pas cinq ans, au régime qui appliquera la séparation, pour nous les ramener.

Ceux qui, plus tard, écriront l'histoire de notre époque, établiront, s'ils le peuvent, à qui incombe la responsabilité des désastres qui se préparent. Dès maintenant, ayons le courage de dire notre pensée. Celui qui tente de ruiner, en France, l'Église catholique, c'est, évidemment, l'éternel ennemi de Dieu, servi par des sectes qui ne se déguisent plus. Mais aujourd'hui, comme en 1790, il n'eût point atteint si rapidement son but, s'il n'avait pas été servi par d'inconscients complices. Louis XVI signa la constitution civile, et, actuellement, combien de dupes ont, par naïveté, fait le jeu des niveleurs, en acceptant, sans trop se plaindre, leurs premières démolitions?

Est-ce à un défaut d'intelligence, est-ce à un défaut de caractère qu'il faut attribuer l'indifférence égoïste qui a accueilli ces premières ruines? Les religieux sont tombés. A-t-on assez compris que le droit était indivis, que la violation d'un droit entraînait, et justifiait, la violation de tous les autres? Comme on s'est résigné à voir brûler la maison du voisin, tant qu'on espérait sauver la sienne! Triste calcul, que Dieu n'a pu bénir. Aussi bien, l'incendie, une fois allumé, devait-il tout dévorer. Et, encore aujourd'hui, à la veille de la mort civile de l'Église catholique, quelles incurables naïvetés persistent dans bien des esprits! On attend des miracles; on

lyte Prélot, la Séparation, déclaration de guerre à l'Eglise (Ibid., 20 décembre 1904).

se fie aux plus menteuses et aux plus vagues promesses. Aucune leçon ne parvient à instruire.

On a laissé l'ennemi prendre, une à une, toutes les positions avancées. « Je n'en veux pas à la place, disait-il ; je n'en veux qu'à ces méchants remparts démodés, qui la masquent. Qu'à cela ne tienne; prenez les remparts! » Il assaille la place maintenant, et on ne comprendra la manœuvre qu'après que tout sera conquis.

Mais que faire? D'abord, voir le péril; se bien rendre compte que la nouvelle constitution civile de l'Église, élaborée sous prétexte de séparation, est un leurre, d'où sortira la persécution violente; qu'en la faisant, l'État s'arroge, sur l'organisation de l'Église, un droit qu'il n'a pas; qu'on ne peut, par conséquent, coopérer à son œuvre, le pape seul, qu'on ne consulte pas, ayant autorité pour traiter, de ce point, avec la puissance civile. La rupture du Concordat étant une question que le pape s'est justement réservée, l'attitude antiséparatiste semble dictée à tout catholique.

Que si les représentations du bon sens ne peuvent empêcher cette séparation sacrilège, il faut s'attendre à ce que le pape reprenne certaines des concessions faites au premier consul, et qu'il décide ce que doit être, en France, l'Église dont la mort civile aura été prononcée. Il serait, d'ici là, téméraire de préjuger de ses desseins, et notre devoir doit se borner à nous faire des cœurs forts et fidèles, prêts à toutes les conséquences d'une lutte, dont personne ne peut prévoir ni la durée, ni les excès.

Qui dit lutte, ne dit pas défaite. La liberté qu'on refuse à l'Église, les catholiques la devront reconquérir. On compte sans eux; on en veut faire les ilotes de l'État nouveau. Ils devront, par leurs efforts intelligents, se créer une vie sans entraves, peu gémir sur les ruines, et encore moins pleurer, mais rebâtir leur cité, la fondant sur le droit commun. Cette séparation, décidée malgré eux, et qui leur vaudra des jours amers, ils la devront rendre sincère. Plus salariés, soit! mais, alors, plus attachés d'aucune façon, libres, d'une liberté qui coûtera à acquérir, mais qu'on emportera, si l'on sait, si l'on veut y mettre le prix. Ce sera l'œuvre de demain.

On ne saurait assez, en attendant, secouer la multitude, qui semble anesthésiée, l'avertir des ruines, même matérielles, qu'entraînera cette pseudo-séparation, préparer, dans les paroisses, les éléments d'une association fidèle, noyau des groupements futurs. Le plan de l'ennemi étant de priver l'Église surtout de ministres et de ressources, il faut que les catholiques avisent aux moyens d'assurer le recrutement et l'entretien des uns, la libre possession des autres. Des associations, distinctes des dangereuses associations cultuelles, ne devront-elles pas s'établir, pour soutenir l'œuvre de la propagation et de la défense de la foi à l'intérieur? Et, dès maintenant, ne serait-il pas opportun d'en préparer le mécanisme?

Mais l'initiative de ces mesures appartient à des chefs qui savent, de reste, leur devoir, et qu'il n'est pas dans notre intention, ni dans notre rôle, de vouloir conseiller. Nous n'avons voulu, dans ces pages, qu'essayer, par un cri d'alarme, d'éveiller quelques-uns des nombreux catholiques qui attendent la mort en dormant. Si la vue nette du danger paraît, à certains, du pessimisme, je dirai qu'un peu de ce pessimisme aurait bien fait d'entrer, il y a deux ans, dans les conseils du tsar Nicolas II.

PIERRE SUAU.

N. B.

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Cet article était imprimé, quand nous avons eu la joie de lire la lettre écrite par les éminentissimes cardinaux français à M. le président de la République, le 28 mars dernier.

LA RÉDACTION.

A QUI APPARTIENNENT LES ÉGLISES?

La perspective de la séparation des Églises et de l'État, de la rupture prochaine du Concordat, soulève une foule de questions délicates et difficiles, dont la solution importe beaucoup non seulement au bonheur et à la prospérité du pays, mais, on peut le dire, à sa paix intérieure, à sa sécurité, et peut-être à son existence.

Il est pourtant une de ces questions, et non pas des moins graves, qui n'aurait jamais dû être soulevée, car elle est simple, et la plus vulgaire honnêteté suffit pour la résoudre, mais notre gouvernement a-t-il encore quelque probité, quand il s'agit des catholiques?

C'est la question de la propriété des biens ecclésiastiques.

Dans le projet de loi sur la séparation des Églises et de l'État, tel qu'il est présenté par la commission de la Chambre, d'accord avec le gouvernement, il est dit (titre III, art. 10): « Les édifices antérieurs au Concordat, qui servent à l'exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises, chapelles de secours, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent la propriété de l'Etat, des départements ou des communes. >>

Nous n'examinerons pas quel est le vrai et légitime propriétaire des temples et des synagogues. C'est affaire aux protestants et aux juifs. Ils sauront sans doute défendre leur propriété. Plaise à Dieu que les catholiques le sachent aussi bien !

Le projet de loi dit donc que les édifices du culte antérieurs au Concordat, sont la propriété de l'État. Ici, le mot État doit signifier l'ensemble des citoyens français, car je ne pense pas que l'État-autorité veuille s'arroger cette propriété. N'en

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