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cependant ne rien affirmer trop vite, et avant de reconnaitre définitivement le monopole de la spontanéité intellectuelle, examiner à loisir les titres que les autres activités mentales ont à faire valoir contre lui.

(A suivre.)

VICTOR POUCEL.

L'INIQUE SÉPARATION 1

DÉVOLUTION

DES BIENS

Comme il était facile à prévoir, le « Bloc » a cherché une compensation à la victoire remportée par l'opposition durant la Semaine sainte. Le projet de loi a subi, au titre II, des remaniements notables. Mais que l'on considère les dispositions maintenues ou les dispositions corrigées, l'impression est la même : la défiance de l'Église, la peur d'être taxé de cléricalisme, la nécessité de suivre sans en avoir l'air une majorité qu'on est impuissant à discipliner, expliquent à merveille toute l'attitude du gouvernement et de la commission.

A tous deux le souvenir de la discussion du titre II de la loi doit être humiliant et amer du jour au lendemain, du commencement à la fin d'une même séance, des textes ont été improvisés, hasardés, abandonnés, repris, amendés, comme si personne, parmi les meneurs du « Bloc »>, n'était capable de savoir ou de dire à quoi il fallait s'arrêter.

Malgré cette déliquescence parlementaire, on a fini par régler la question de la dévolution des biens. Nous allons voir comment.

I

La vérité contraint de dire que, parmi les nouveautés introduites dans la loi, les libérales sont en petit nombre et d'inspiration privée.

C'est l'opposition qui a eu l'idée de faire, par l'article 4, une place discrète à la hiérarchie dans les conditions légales prévues pour les associations cultuelles. Et personne n'a oublié le rôle éclatant et décisif joué par M. Ribot, en ces

1. Cf. Études, 5 mai 1905, p. 388.

débats qui ont abouti à faire reconnaitre qu'il y avait pour chaque culte des « règles générales » dont il était impossible même à des anticléricaux de ne pas tenir compte 1.

C'est l'opposition encore qui a rappelé, au gouvernement qui l'oubliait, le souci des dettes que pourraient laisser après eux les établissements du culte dissous. Engagée avant Pâques sur le principe même de cette obligation de probité2, la bataille recommença après les vacances sur l'application de ce principe. Le corps à corps fut âpre parfois et quelque temps incertain.

On se rappelle que le gouvernement et la commission s'étaient d'abord refusés à admettre une responsabilité quelconque de l'État 3. A la réflexion ils se mirent à élaborer un texte et voici ce qu'ils proposèrent à la Chambre.

Là où les associations cultuelles revendiqueront l'actif des fabriques, elles seront tenues de leurs dettes et emprunts. Jusqu'au jour où elles auront versé le dernier sol dû, l'État leur fera abandon des « biens productifs de revenus >> qui devraient lui faire retour d'après l'article 4 bis. Et s'il s'agit d'annuités à payer pour dettes afférentes aux édifices religieux, les associations n'y seront obligées que dans la « proportion du temps où elles auront l'usage de ces édifices ». En même temps qu'elles limitaient les cas où l'État aurait à solder des créances, ces dispositions témoignaient d'un effort d'équité à l'égard des associations cultuelles. Elles avaient donc chance d'agréer à gauche et à droite.

Quant à l'hypothèse où l'État devrait se charger des dettes, le projet la définissait en ces termes :

Le revenu global desdits biens [faisant retour à l'État] reste affecté au payement du reliquat des dettes régulières et légales de l'établissement supprimé, lorsque aucune association cultuelle n'aura recueilli le patrimoine de cet établissement...

On ne peut imaginer, si on n'y a assisté, à quels débats passionnés et confus ces quatre lignes ont donné lieu. Il a fallu deux séances pour établir leur sens orthodoxe. Quel

1. Études, 5 mai 1905, p. 412.
2. Journal officiel, 18 avril 1905,

496. p.

3. Ibid., p. 497, 498.

ques-uns les jugeaient inacceptables en quelque sens que ce fût tels M. Augagneur, M. Balitrand, M. Bepmale et même M. Lacombe, lequel fut pourtant une minute d'accord avec M. Ribot. On peut mettre à part l'opinion de M. Buisson qui, dans un moment d'oubli, rompit son habituel silence pour faire une glose hégélienne de l'expression : « revenu global 2 ». Parmi ceux qui suivent avec attention les débats et comprennent ce dont on parle, il n'y avait aucun doute que l'État n'interviendrait que subsidiairement, après que l'actif propre des fabriques aurait déjà été employé à payer les dettes; il n'y avait aucun doute non plus qu'il ne s'agissait que des dettes régulières. Le texte le disait formellement. Mais quelques-uns estimaient que l'État ne pouvait s'engager ultra vires, et quelques autres auraient voulu que chaque créancier fût payé uniquement sur le boni — suffiprovenant de la fabrique à qui il avait fait

sant ou non des avances.

M. Ribot prenait les choses avec une honnêteté moins mesquine. Dans sa pensée, le mieux aurait été de vendre tous les biens faisant retour à l'État par le jeu de l'article 4 bis, de constituer avec ce capital une caisse où l'on aurait puisé tout de suite jusqu'à l'apurement complet du passif des fabriques. L'opération ainsi comprise eût été rapide; on aurait évité des difficultés d'écriture et de gestion qu'amènera nécessairement l'accumulation de biens dont le revenu seul sera disponible; le gouvernement, à supposer que cette liquidation laissât un surplus, aurait pu en disposer immédiatement. Mais s'il ne plaisait pas à la Chambre d'entrer dans cette voie, M. Ribot acceptait le texte de la commission. L'apurement serait plus long et peut-être même plus aléatoire. Mais au moins l'État ne se déroberait pas à son devoir et les créanciers ne seraient pas exposés, par la séparation, à être payés en monnaie de faillite 3.

M. Ribot n'étant pas du « Bloc », les députés à mentalité combiste il en existe toujours - avaient une peine extrême

1. Journal officiel, 18 mai, p. 1757; 19 mai, p. 1777.

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à voter un texte accepté par lui. Et ils cherchaient péniblement à déduire leurs raisons, sans parvenir à en trouver de plausibles.

Le plus singulier dans l'affaire, c'est que le ministre, au risque de rendre inexplicable la rédaction de l'article, assurait avec tranquillité aux disputeurs échauffés qu'ils étaient bien bons de s'animer de la sorte: la question n'existait pas, elle ne pouvait exister; chiffres en main, il était évident que le revenu des fabriques était plus que suffisant pour éteindre toutes leurs dettes '.

C'était à n'y rien comprendre. Car si M. Bienvenu-Martin était sûr de ses dires, pourquoi, d'accord avec la commission, montrait-il tant de répugnance à engager la responsabilité de l'État ? Celui-ci hasardait, tout au plus, d'offrir une garantie inutile. Une pareille offre n'était guère compromettante, et il y avait manière de le faire, sans aucun air de charlatanisme.

Mais il était manifeste que pour la majorité la question ne se posait pas ainsi. Dans le fond des âmes inquiètes, il y avait autre chose, des soupçons vagues et d'autant plus irrésistibles. En face de ce deuxième paragraphe de l'article 4 ter, la gauche ressemblait à un attelage ombrageux qui refuse de passer un pont. Et la nuit vint, le soir du 17 mai, sans que la frayeur fût dissipée ni le pont franchi.

Le lendemain, les cochers ministériels mirent en œuvre tous leurs << trucs » les plus habiles. Pour caresser les oreilles de l'attelage, fort sensible aux accents belliqueux, M. Briand commença, d'une voix de club, quelques tirades un peu lourdes, quoique passionnées. Il était étrange que, l'Église se piquant d'être une école de vertu et de solidarité, les siens, au lieu de s'empresser fraternellement au secours les uns des autres, n'eussent point honte de rejeter sur les épaules du maudit État laïque le fardeau des dettes du culte. Le gouvernement voulait bien payer les dettes criardes de quelques communes, trop petites pour qu'il pût s'y former une association cultuelle. C'était un acte de bonne politique et de loyauté. Mais il ne pouvait aller au delà sans être dupe;

1. Journal officiel, 18 maí, p. 1757.

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