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de la dignité sacerdotale; elles ont leurs limites et leurs lois, mais des limites qui ne sont pas les mêmes dans les différents pays, mais des lois qui fléchissent, comme celles de l'étiquette, en temps de guerre, en face d'un suprême danger. La dignité, la convenance sacerdotale sont, comme la modestie, parure du prêtre : elle est toujours, elle est rarement la même.

Nous en convenons volontiers. La véritable dignité cléricale ne doit pas, ne veut pas être violée. Le premier service que le prêtre rendra à la cause populaire, c'est de rester prêtre et de grandir dans son sacerdoce. Plus il sera grand, par la foi, par la piété, par la sagesse, par l'éclat des vertus sacerdotales, plus il sera utile. S'il s'éloignait, au contraire, de la tradition, du respect dû à l'autorité, de la mesure; s'il était moins prêtre pour être plus social, il blesserait les intérêts qu'il voulait servir.

Faut-il tracer une frontière entre les occupations permises et les occupations défendues? La besogne n'est pas toujours aisée, la ligne de démarcation ondulera parfois, suivant les hommes et suivant les pays. Ailleurs, les mœurs semblent plus libérales et plus larges; chez nous, elles paraissent plus sévères, plus facilement ombrageuses. Un prêtre français sera tenu à plus de réserve que son confrère d'Allemagne ou de Belgique.

Mais, les uns comme les autres distingueront, dans les œuvres économiques et sociales, un côté spirituel, un côté matériel.

Le côté matériel ne les concerne pas ou les concerne beaucoup moins. Personne au monde ne demande au prêtre d'être jardinier, forestier, vigneron, laboureur, moins encore d'être notaire ou banquier. Les opérations financières, qu'il les fasse pour lui ou pour d'autres, lui sont particulièrement périlleuses. Lors même que son désintéressement serait absolu, on le verra difficilement vendeur ou acheteur, commis aux écritures commerciales. En telles occurrences, la dignité sacerdotale serait vraiment amoindrie. On peut toutefois excepter les modestes opérations d'une caisse rurale, faites sous la responsabilité commune des associés.

Mais les institutions économiques ont leur côté spirituel;

elles intéressent l'esprit et le cœur. Là, le prêtre a ses entrées.

Elles intéressent l'esprit.

Elles confinent à la théologie, au droit naturel, aux exigences de la justice et à celles de la charité. Des cas de conscience qui surgissent à chaque instant, le prêtre n'est-il pas le premier à connaître?

Il peut parler. N'est-ce pas son devoir, une partie de son devoir de répéter et de traduire les enseignements pontificaux, puisque le pape ne parle que pour être entendu? S'il doit porter la lumière sur un point, c'est sur celui que les ténèbres envahissent. Or, la nuit se fait et recouvre les notions les plus nécessaires et les plus élémentaires de la propriété, de la justice, de la fortune, du travail, du

repos.

Il peut écrire. On voudrait presque dire qu'il le doit : son grand ministère est la parole, mais la parole souvent n'arrive aux oreilles contemporaines, aux oreilles des ouvriers, que par le livre et le journal. Qu'elle refuse de suivre ces chemins parce qu'ils sont nouveaux, parce qu'ils sont difficiles, combien ne l'entendront pas, et périront! C'est pourquoi beaucoup, au moins dans les pays étrangers, ont choisi la presse comme la chaire de leur enseignement. Par elle, le Verbe de Dieu a secoué ses chaînes, Verbum non alligatum, et il a porté la vérité totale, sociale et religieuse. Les institutions économiques intéressent le cœur.

Il est nécessaire d'éclairer les esprits, il est plus nécessaire de toucher les cœurs, c'est là que se trouvent les solutions dernières; pour les avancer, les bons, les généreux feront plus que les savants ou les habiles. Au fond des choses, les lois économiques obéissent à des raisons que la raison ne comprend pas. M. Périn, concluant ses savantes recherches sur la règle de leur mouvement, montrait dans le sacrifice leur suprême ressort. C'est dire que la religion, que les prêtres tiennent ici place d'honneur.

Ils peuvent l'occuper sans briser la tradition, sans changer l'ordre de leurs études, sans abaisser les sciences divines à l'égal des sciences humaines; en un mot, sans modifier l'allure ordinaire de leurs travaux. Peut-être tous ne feront

ils pas ce que faisaient leurs pères, ils feront ce que leurs pères feraient s'ils étaient à notre place.

On dira que l'abus est à redouter; je n'en disconviens pas; mais où n'est-il pas à redouter? Je veux bien que l'on craigne les conseils téméraires de ceux qui recommandent l'action, mais à condition de craindre les conseils timides de ceux qui recommandent l'inaction; en réalité, ceux-ci nous ont fait plus de mal que ceux-là. Ce serait injuste, en général, de reprocher au clergé français de sortir trop souvent de la sacristie; on lui reprocherait, avec plus de justice, de s'y enfermer. S'il fallait comparer les péchés d'action aux péchés d'omission, les péchés d'omission surpassent, et de beaucoup, les péchés d'action. Le peuple catholique a été lésé dans son droit et trompé dans son besoin, non point parce que son clergé a été trop loin, mais parce qu'il s'est arrêté trop tôt.

Maximes césariennes ou régaliennes, théologie inspirée de Jansénius, habitudes gallicanes, libéralisme pharisaïque, injuste défiance et prompte susceptibilité de l'opinion, toutes ces causes ont le même résultat; elles ont exercé une sorte de dépression sur l'âme de nos prêtres, au point de la rendre timide à l'excès. On dirait parfois qu'ils sont des exilés à l'intérieur, qu'ils n'ont pas droit à la même part d'air, de lumière et de vie que les autres citoyens. L'homme qui sait le mieux parler est celui dont on réclame le silence; l'homme dont le travail est le plus nécessaire est le même que l'on condamne au repos.

Faut-il attendre un plus grave péril pour briser ce cercle étroit? L'heure n'est-elle pas venue de faire avec une tranquille confiance tout le bien qui est à faire?

Si le clergé avait besoin d'être fortifié en présence d'un devoir élargi, assez d'exemples l'animeraient et l'encourageraient.

Exemple de la papauté. Le suprême pasteur ne s'est pas contenté d'interpréter les Écritures et d'instruire le peuple catholique sur les vérités cataloguées dans le symbole. Ému par la fréquente violation du droit naturel, attentif aux souffrances imméritées du troupeau réuni sous sa houlette, et du troupeau plus nombreux qui vit loin de son bercail, il

a parlé comme le Docteur de l'Église et comme le Père de la famille humaine, éclairant d'une vive lumière les points les plus obscurs des problèmes économiques. Si une intervention est défendue, pourquoi a-t-il franchi, et avec un tel éclat, les limites du magistère ordinaire ?

Exemple des missionnaires. Que de fois, obligés de faire des hommes avant de faire des chrétiens, ils ont enseigné l'agriculture, les arts mécaniques, les lois des sociétés policées, en même temps qu'ils prêchaient l'Evangile.

Exemple des saints, des moines, défricheurs de la forêt, conservateurs du trésor des lettres antiques, prédicateurs de la guerre, de la croisade ou de la ligue, fondateurs de la corporation, organisateurs du crédit, non par goût, mais par nécessité, chaque fois qu'un extraordinaire péril réclamait un extraordinaire secours.

Exemple des peuples étrangers, de nos voisins d'Allemagne et de Belgique. Là, sous la conduite de leurs évêques, ne faisant qu'un avec le peuple catholique, par les journaux qu'ils ont rédigés, par les congrès qu'ils ont assemblés, par les institutions qu'ils ont fondées, les prêtres, au nom du droit des citoyens et du droit supérieur de l'Évangile, ont montré combien l'Église est utile, combien elle est nécessaire à la cité en péril.

Je conclus.

L'autorité du Saint-Siège, le malheur des temps, l'espoir du bien à faire, recommandent l'œuvre économique et sociale. Elle est non point l'ennemie de l'œuvre politique, mais son amie, son alliée.

Sagement comprise, fidèle à la vraie tradition, loin d'amoindrir le prestige du sacerdoce, elle lui donne un nouvel éclat en l'appelant à de nouveaux services.

Aussi, grâce aux résultats qu'elle a obtenus, grâce à ceux qu'elle prépare, elle a le droit, en se présentant aux membres du clergé, d'espérer le concours de plusieurs et la bienveillance de tous.

HENRI LEROY.

LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE

AU XIX SIÈCLE 1

Cet ouvrage est le second volume de la Bibliothèque de théologie historique. L'auteur malheureusement est mort avant d'avoir mis la dernière main à son œuvre ; et M. Bainvel, qui s'est chargé de publier le manuscrit, n'a pas cru devoir compléter ce qui restait inachevé, ni préciser ce qui demandait une mise au point plus exacte. Je le regrette, pour ma part; personne n'était mieux préparé que lui pour cette tâche délicate. Et le livre y eût considérablement gagné. Tel qu'il est, c'est un précieux résumé qui rendra de grands services.

Essayer déjà une histoire du Mouvement théologique au dixneuvième siècle pouvait paraître un peu prématuré. Les faits sont si près de nous; la perspective sera-t-elle suffisante pour permettre d'y voir clair et juste? Est-on bien sûr de rester impartial? Et surtout échappera-t-on au reproche de ne rien apprendre de nouveau à ceux qui ont atteint un certain âge? L'entreprise était périlleuse assurément; et je ne voudrais pas dire que le travail de M. Bellamy satisfera tous les critiques; est-il possible de plaire à tout le monde? Il me semble du moins qu'on aimera à y louer l'impartialité et la claire sobriété d'exposition. Ce n'est pas un mince mérite que de traiter d'un ton égal, sans malignes allusions et sans jugements trop personnels, certaines questions brûlantes et actuelles. Il y a bien quelque mérite encore à savoir supprimer le détail inutile qui ennuierait, et à dire juste ce qu'il faut pour faire revivre dans la mémoire tous les souvenirs importants. L'ouvrage de Bellamy me paraît avoir ces mérites.

Il se divise en deux parties. La première étudie les grandes phases du Mouvement théologique au dix-neuvième siècle : une période de décadence (1800-1830); une période de renaissance.

1. Bellamy, la Théologie catholique au dix-neuvième siècle. Paris, Beauchesne, 1904. In-8.

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