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rable. L'arrêt du conseil, du 30 août 1777, sur les priviléges, parut. C'est le premier acte qui ait statué d'une manière générale sur les droits des auteurs.

Il autorisa l'auteur qui obtiendroit le privilége de son ouvrage en son nom à le vendre chez lui, et à jouir de son privilége lui et ses hoirs à perpétuité, pourvu qu'il ne le cédât à aucun libraire, auquel cas sa durée seroit réduite, par le seul fait de la cession, à la vie de l'auteur. Après l'expiration du privilége d'un ouvrage ou la mort de l'auteur, tous libraires et imprimeurs pouvoient obtenir la permission d'en faire une édition sans que cette permission pût empêcher aucun autre d'en obtenir une semblable.

Ces dispositions excitèrent les plus vives plaintes de la part des libraires, qui croyoient y voir la perte du monopole qu'ils exerçoient en vertu des priviléges perpétuels; elles en excitèrent aussi de la part des auteurs, qui jugèrent qu'il étoit contraire à leurs intérêts de ne pouvoir céder temporairement l'autorisation d'imprimer et de vendre leurs ouvrages.

C'est à la suite de ces réclamations qu'intervint l'arrêt du conseil du 30 juillet 1778, qui déclara, d'une part, que les priviléges ne pourroient être moindres de dix ans, et, de l'autre, qu'un auteur qui auroit obtenu le privilége de son ouvrage pourroit en faire faire plusieurs éditions par divers imprimeurs, sans que les traités qu'il feroit pour les imprimer ou les vendre pussent être réputés cession de son privilége.

Les libraires, accoutumés à considérer les priviléges comme des propriétés perpétuelles et transmissibles, ne furent point satisfaits, et les arrêts furent déférés au parlement, qui ordonna qu'il lui en seroit rendu compte par les gens du roi. Ce compte lui fut présenté par l'avocat général Séguier dans les audiences des 10, 17 et 31 août 1779.

Il exposa que, bien que ce fût la première fois qu'il eût été parlé de la propriété des auteurs et des droits de leur postérité, cette propriété paroissoit évidente; que jusqu'à la fin du règne de Louis XV on avoit accordé des continuations de priviléges à tous ceux qui étoient propriétaires du manuscrit original; qu'il en étoit résulté des droits auxquels les nouveaux arrêts portoient atteinte, et que c'étoit au parlement à reconnoître le parti qu'on devoit adopter entre une liberté indéfinie et une propriété exclusive.

L'avocat général ne prit d'ailleurs aucune conclusion. Le parle

ment ne se prononça point, et les règlemens de 1777 et de 1778 se maintinrent en vigueur jusqu'à la révolution de 1789."

Les priviléges de toute nature ayant été alors abolis, la défaveur attachée à ce nom s'étendit aux concessions faites par lettres du prince aux auteurs, imprimeurs et libraires. Une nouvelle législation devint indispensable.

des

La première loi sur cette matière est celle du 19 janvier 1791, concernant les théâtres; elle porte, article 2, que les ouvrages auteurs morts depuis cinq ans et plus sont une propriété publique, que les ouvrages des auteurs vivans ne pourront être représentés sans leur consentement, et que leurs héritiers et cessionnaires seront propriétaires de leurs ouvrages durant cinq années après la mort de l'au

teur.

Cette loi fut rendue sur le rapport de Chapelier. Il commença par établir que la propriété des auteurs est la plus sacrée, quoique d'un genre différent des autres propriétés, et il conclut que, «< comme il est juste que les hommes qui cultivent le domaine de la pensée tirent quelque fruit de leur travail, il faut que pendant leur vie, et quelques années après leur mort, personne ne puisse sans leur consentement disposer du produit de leur génie. Mais aussi, ajoutoit-il, après le délai fixé la propriété du public commence, et tout le monde doit pouvoir imprimer, publier les ouvrages qui ont contribué à éclairer l'esprit humain. Voilà ce qui s'opère en Angleterre, pour les auteurs et le public, par des actes que l'on nomme tutélaires; ce qui se faisoit autrefois en France par des priviléges que le roi accordoit, et ce qui sera dorénavant fixé par une loi, moyen beaucoup plus sage, et le seul qu'il convienne d'employer. »>

Cette loi ne profita qu'aux auteurs dramatiques. Ce ne fut qu'en 1793 qu'on s'occupa des autres auteurs qui étoient restés sans garantic depuis l'abolition des priviléges de publication.

Le décret du 9 juillet pourvut à cette nécessité; il fut rendu sur la demande du comité d'instruction publique, qui rappela les principes exposés dans le rapport de Chapelier, mais qui, tout en proclamant comme lui la propriété des auteurs, n'établit cependant qu'un droit temporaire en faveur de leurs héritiers.

Cette loi, qui est encore aujourd'hui celle de la matière, s'applique à toutes les productions des lettres et des beaux-arts.

Elle déclare « que les auteurs d'écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit

exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république, et d'en céder la propriété en tout ou en partie. »

L'art, 2 porte que « leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs.» Le décret du 5 février 1810, contenant règlement sur la librairie et l'imprimerie, étendit, dans son titre III, les dispositions de la loi de 1793. « Il garantit le droit de propriété à l'auteur et à sa veuve pendant leur vie, si les conventions matrimoniales de celle-ci lui en donnent le droit, et à leurs enfans pendant vingt ans, » au lieu de dix que la loi précédente avoit accordés.

Tel est l'état actuel de la législation Aucun acte directement relatif aux droits des auteurs n'a été rendu sous les règnes de Louis XVIII et de Charles X.

Cependant les progrès de l'industrie et l'activité du commerce avoient répandu dans toutes les classes de la société une aisance jusqu'alors inconnue. On tentoit dans tous les genres de vastes entreprises, et la librairie avoit multiplié avec une étonnante rapidité la réimpression des ouvrages de tous nos grands écrivains. Une prodigieuse quantité de pièces nouvelles faisoient la fortune des auteurs et des comédiens. Dans cet état de prospérité générale, on songea aux familles des auteurs, et la pensée d'améliorer leur situa tion se présenta et fut saisie avec la vivacité qu'inspirent en France toutes les pensées généreuses. Une commission fut, en 1825, chargée de préparer un projet de loi, et s'en occupa avec un zèle qu'on ne sauroit trop louer. On ne donna à cette époque aucune suite à son travail, qui a été imprimé avec le procès-verbal de ses séances en I volume in-4.

En 1836, une nouvelle commission, présidée par notre honorable collègue M. le comte de Ségur, eut une semblable mission.

Ces deux commissions, composées de savans magistrats, d'hommes de lettres et d'artistes les plus distingués, avoient commencé, l'une et l'autre, par déclarer que la propriété littéraire étoit, ainsi que s'étoient exprimés l'avocat général Séguier en 1779, et les rappor¬ teurs des lois de 1791 et 1793, la plus intime, la plus sacrée, la plus digne de la protection des lois. La conséquence de cette déclaration devoit être de lui appliquer toutes les règles qui concernent le droit absolu de propriété ; mais les discussions les plus approfondies les ont conduites à revenir au système mitigé qui avoit précédemment prévalu.

En effet, un ouvrage, tant qu'il reste dans les mains de son auteur, a le caractère d'une propriété mobilière ordinaire. L'auteur peut le garder, le donner, le vendre, le détruire, en user, en un mot, comme il l'entend; mais, dès qu'il l'a livré au public, la société acquiert un droit sur l'ouvrage; il devient une sorte de pro→ priété indivise entre l'auteur et la société. L'un et l'autre doivent jouir de la part qui leur est afférente : l'auteur, du produit de son œuvre, le public, du plaisir, ou de l'instruction qu'elle lui procure. Cette indivision ne doit porter aucun préjudice à l'auteur. Si la publication de son œuvre a modifié la nature de sa propriété, elle ne l'en a pas dépouillé ; il a renoncé au droit de la détruire, mais non à ce qu'elle a d'utile. Ainsi le droit exclusif d'en autoriser les diverses publications qui pourront en être faites lui appartient incontestablement pendant sa vie. La loi est ainsi plus favorable aux anteurs qu'aux inventeurs de procédés mécaniques, auxquels elle ne reconnoît qu'un droit temporaire dont le terme est déterminé par le brevet d'invention qui leur est accordé. Plus généreuse envers les productions que la pensée livre à la presse, ce n'est point à la période de cinq, de dix ou de quinze ans qu'elle borne la jouissance des auteurs; elle la garantit pour leur vie entière, non par suite d'un droit naturel constituant une véritable propriété, mais par l'effet d'une juste concession.

On s'est demandé si ce droit exceptionnel ne devroit pas s'éteindre avec la vie des auteurs. La société ne devroit-elle pas, au moment de leur décès, entrer dans la plénitude des droits qu'elle tient de la publicité donnée à l'ouvrage? C'est ce que beaucoup de bons esprits ont pensé. Mais, a-t-on dit, si l'on restreint ainsi les droits des auteurs, que devient le bienfait? Vous ne leur laisseriez que ce qu'il est impossible de leur ravir, vous ne leur accorderiez aucun avantage, et leur postérité resteroit après eux dans le besoin. Verra-t-on de sang-froid un descendant de Corneille réduit, peut-être, à demander l'aumône à la porte du théâtre où depuis deux siècles on applaudit Cinna? et d'abord un semblable malheur peut-il être å craindre de nos jours? ne pourrions-nous pas invoquer de nombreux exemples qui prouvent la sollicitude de nos princes, celle du public et celle de la loi, en faveur des veuves ou des descendans d'hommes qui ont honoré la France par leurs talens? Il ne faut point trop se préoccuper des écrivains dont le pays s'enorgueillit; ils forment une exception. Qu'il naisse des Corneille, la fortune ne leur

rable. L'arrêt du conseil, du 30 août 1777, sur les priviléges, parut. C'est le premier acte qui ait statué d'une manière générale sur les droits des auteurs..

Il autorisa l'auteur qui obtiendroit le privilége de son ouvrage en son nom à le vendre chez lui, et à jouir de son privilége lui et ses hoirs à perpétuité, pourvu qu'il ne le cédât à aucun libraire, auquel cas sa durée seroit réduite, par le seul fait de la cession, à la vie de l'auteur. Après l'expiration du privilége d'un ouvrage ou la mort de l'auteur, tous libraires et imprimeurs pouvoient obtenir la permission d'en faire une édition sans que cette permission pût empêcher aucun autre d'en obtenir une semblable.

Ces dispositions excitèrent les plus vives plaintes de la part des libraires, qui croyoient y voir la perte du monopole qu'ils exerçoient en vertu des priviléges perpétuels; elles en excitèrent aussi de la part des auteurs, qui jugèrent qu'il étoit contraire à leurs intérêts de ne pouvoir céder temporairement l'autorisation d'imprimer et de vendre leurs ouvrages.

C'est à la suite de ces réclamations qu'intervint l'arrêt du conseil du 30 juillet 1778, qui déclara, d'une part, que les priviléges ne pourroient être moindres de dix ans, et, de l'autre, qu'un auteur qui auroit obtenu le privilége de son ouvrage pourroit en faire faire plusieurs éditions par divers imprimeurs, sans que les traités qu'il feroit pour les imprimer ou les vendre pussent être réputés cession de son privilége.

Les libraires, accoutumés à considérer les priviléges comme des propriétés perpétuelles et transmissibles, ne furent point satisfaits, et les arrêts furent déférés au parlement, qui ordonna qu'il lui en seroit rendu compte par les gens du roi. Ce compte lui fut présenté par l'avocat général Séguier dans les audiences des 10, 17 et 31 août 1779.

Il exposa que, bien que ce fût la première fois qu'il eût été parlé de la propriété des auteurs et des droits de leur postérité, cette propriété paroissoit évidente; que jusqu'à la fin du règne de Louis XV on avoit accordé des continuations de priviléges à tous ceux qui étoient propriétaires du manuscrit original; qu'il en étoit résulté des droits auxquels les nouveaux arrêts portoient atteinte, et que c'étoit au parlement à reconnoître le parti qu'on devoit adopter entre une liberté indéfinie et une propriété exclusive.

L'avocat général ne prit d'ailleurs aucune conclusion. Le parle

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