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cinq ans après, il termine avec ce hardi mo nument de la poésie française, les quatre premiers chants du Lutrin. Chaque année est marquée par les productions de son génie. Le passage du Rhin, le traité du sublime, lcs épîtres sur le vrai, sur le bonheur, sur les douceurs de la campagne, paroissent tour à tour et losque toutes les nations lettrées l'ont nommé Le Poëte Français, il n'a pas encore fini son 8. lustre. Dans le même tems il adresse à Racine sa belle épître sur l'utilité des enncmis; il public les derniers chants du Lutrin, poëme incomparable dans notre langue, où il a prodigué tous les trésors de cet art poétique dont il a le premier découvert les secrets. Les héros de ce poëme, dit Laharpe, y ont une figure dramatique, une tête, une attitude pittoresques, et le poëte y place toujours à propos le trait comique qui réduit à la vérité la grandeur héroïque de ses personnages.

Quoique ces chefs d'oeuvres eussent depuis long-tems marqué sa place à l'Académie française, on n'oublioit pas que dans ses satyres il avoit immolé plusieurs académiciens au ridicule; mais c'est une erreur de croire qu'il fut élu par ordi e de Louis XIV. A la mort de Colbert, deux membres de l'Académie demandèrent à Despréaux s'il accepteroit la place que ce grand

ministre y laissoit vacante. Quoique sensible à une telle prévenance, il ne voulut point contrarier les vues de Lafontaine son ami, qui alors étoit en quelque sorte disgracié, à cause de son attachement inviolable pour le Surintendant Fouquet, et qui cependant sollicitoit les honneurs du fauteuil académique. Despréaux laissa done nommer Lafontaine, mais peu de tems après il remplaça M. de Bezons, conseiller d'état. Il est vrai que le Roi qui avoit choisi Despréaux pour écrire avec Racine l'histoire de son règne, fut soupçonné d'avoir été mécontent de la préférence donnée à Lafontaine, car il différa, sans en dire les motifs, de confirmer le choix de l'Académie; mais enfin, après la campagne du Luxembourg, il approuva la nomination des deux nouveaux académiciens.

Boileau, malgré son titre d'historiographe de France, ne paroit point avoir écrit sur l'histoire de son pays. Il passa même plusieurs années sans rieu publier, et quand Perrault de l'Académie, éleva la fameuse querelle sur la prééminence des anciens et des modernes, Boileau sembla n'y vouloir prendre aucune part, malgré son enthousiasme pour l'antiquité. C'est au sujet de son silence dans cette occasion que le Prince de Conti, dont la mort inspira depuis le chefd'œuvre de J.-B. Rousseau, dit plaisamment

qu'il éc iroit sur le fauteuil académique de Boileau: « Tudors, Brutus! » Enfin le vieux lion de la littérature s'éveille, et terrasse Perrault dans l'arène où il s'étoit si imprudemment cngagé.

Il avoit cependant publié peu d'années auparavant son ode sur la prise de Namur : et presque sexagénaire il avoit composé contre lcs. femmes cette satyre fameuse et plaisante, où règne une étonnante variété de portraits, où il sut nuancer les couleurs les plus diverses. pour en faire un tableau presque parfait. Ces deux pièces réveillèrent la haine de ses ennemis, et il leur répondit par cette charmante épître à ses vers, épître qu'il appeloit ses inclinations, et où lui même s'est point avec beaucoup de bonhommie. Enfin sur les dernières années de sa vie, son amour inaltérable pour la poésie et l'étude lui inspira deux nouvelles satyres, deux épîtres et quelques écrits polémiques.Sachons respecter la vieillesse de Boileau. Sans les ouvrages qui rendent sa mémoire immortelle lcs fruits de cette vieillesse laborieuse seroient presque tous encore un titre à l'estime des amis de la saine critique et du bon goût.

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Nous avons parcouru le cercle de sa vie poétique; mais il seroit difficile de bien exB 3

primer et l'influence qu'il eut sur ses contemporains et celle que lui assignent ses ouvrages sur la postérité. Quels étoient les oracles de la littérature au moment qu'il entra dans la carrière ? Chapelain, de qui Richelieu avoit emprunté la plume pour publier ses propres écrits, Chapelain dominoit à l'Hôtel Ram bouillet, dirigeoit l'Académie et dispensoit toutes les grâces de la Cour. Sa pucelle avoit eu six éditions en dix-huit mois. Ni le goût ni la langue n'étoient fixés encore, et le burlesque talent de Scarron pouvoit ramener la barbarie du siècle de Ronsard. Sans doute il en est de la république des lettres comme des états politiques; la sagesse y doit seule dicter des lois, et peut-être que si la nature eut donné à Despréaux le génie brillant mais désordonné de l'Aricste, plutôt que le goût austè e mais exquis du favori de Mécène, jamais le monde n'eut ajouté aux grands siècles de Périclès, d'Auguste et de Léon X, celui de Louis XIV. Mais Boileau, jeune encore, eut bientôt le secret de ses forces. Le voyez-vous attaquer et du même coup renverser tous ces auteurs malheureux de qui les noms se présentent si plaisamment sous sa plume et dans ses vers? Il proscrit le genre burlesque, hérilage ridicule de Scarron, et qui depuis un

demi-siècle dégradoit la littérature. Il bannit de la chaire, du barreau et du théâtre, ceś abus.de mots, ces pointes triviales empruntées de l'Italie, et renvoie aux Espagnols ces puérilités sentimentales que Durfé et Scudéri avoient rendues si chères aux beaux esprits de Rambouillet. Avant lui la France n'avoit point de système parfait de versification, il en montra les ressources et les secrets; le premier enfin il fonda la véritable école de poésie française, et Racine fut à la fois son disciple et son ami. Voyez avec quel noble courage il résiste au torrent de la barbarie qui menace encore et son siècle et la France. On ose opposer Pradon à Racine, et Despréaux seul ose soulever pour son ami l'équitable avenir. Le mérite en repos s'endort dans la molesse, s'écrie-t-il avec enthousiasme,

» Mais par les envieux un génie excité.

» Au comble de son art est mille fois monté; » Plus on veut l'affoiblir, plus il croit et s'élance. » Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance, » Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus » Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus., » Ah! quels durent être avant les chefsd'oeuvres de Racine, Fétonnement et le désespoir des ennemis de Boileau, quand ils comparèrent malgré cux à leurs productions bizarres

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