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[1422]

MORT DE CHARLES VI.

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On ne tint aucun compte des prétentions que pouvait avoir la reine Isabeau.

Charles VI ne survécut que sept semaines au gendre en faveur de qui on lui avait fait déshériter son fils; il mourut à l'hôtel Saint-Pol, le 21 octobre, âgé de cinquante-quatre ans. Il avait porté quarante-deux ans le vain titre de roi, pour son malheur et celui de son peuple qui lui garda jusqu'à la fin une douloureuse sympathie à cause de cette conformité de souffrance. Sa folie, dégénérée en idiotisme dans les derniers temps, s'était prolongée trente ans entiers. Son corps embaumé resta vingt jours déposé dans la chapelle de l'hôtel Saint-Pol, en attendant le retour du duc de Bedford, nouveau régent de France, qui était allé conduire à Westminster les restes de Henri V. Le clergé séculier et régulier, l'université, le chapitre, les prévôt et échevins et tout le peuple « convoyèrent » à Saint-Denis Charles « le bienaimé »; mais nul prince du sang de France, pas même le duc de Bourgogne, n'assista aux funérailles, qui furent menées par un étranger, par le duc de Bedford, « chose moult pitoyable à voir ».

« Et après que le roi fut mis en sa sépulture emprès ses devanciers, les huissiers d'armes rompirent leurs petites verges et les jetèrent dedans la fosse, et puis mirent leurs masses en bas sens dessus dessous; et lors le roi d'armes de Berri', accompagné de plusieurs hérauts et poursuivants, cria dessus la fosse :

Dieu veuille avoir pitié et merci de très haut et très excellent prince Charles, sixième du nom, notre naturel et souverain seigneur!» Et, après, s'écria le dessus dit roi d'armes : « Dieu donne bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu roi de France et d'Angleterre, notre souverain seigneur! »

« Lequel cri accompli, les sergents d'armes redressèrent leurs masses fleurdelisées en criant tout d'une voix : Vive le roi! vive le roi! Et les François-Anglois commencèrent à crier Noël «< comme si Dieu fût descendu du ciel; toutefois il y en avoit plus faisant deuil et lamentations qu'autres. - Ah! très cher prince, disoit le peuple à grands plaintes et profonds soupirs, jamais plus ne te

1. Chaque province avait sa corporation de hérauts et de poursuivants d'armes, dont le chef portait le titre de roi d'armes.

verrons! jamais n'aurons que guerres, puisque tu nous as laissés : tu vas en repos, et nous demeurons en toute tribulation et en toute douleur! »

Le peuple sentait plus profondément son abaissement en voyant disparaître cette dernière ombre de royauté nationale. Au retour des funérailles de longs et tristes murmures s'élevèrent dans la foule quand on vit porter « l'épée du roi de France » devant le régent anglais'.

« Le dauphin Charles étoit en un petit châtel nommé Espalli, proche Le Puy en Auvergne (en Velai), lorsque lui furent portées les nouvelles du trépas du roi son père. Il en eut au cœur grand tristesse, et pleura très abondamment » (Monstrelet, I. II, c. 1). Ses conseillers le ramenèrent en toute hâte vers une région plus centrale; arrivé à Meung ou Mehun-sur-Yèvre en Berri, il quitta la robe noire de deuil pour la robe vermeille. La bannière de France fut levée dans la chapelle; « les officiers d'armes (hérauts) crièrent haut et clair: Vive le roi! après lequel cri fut fait l'office de l'église, et n'y fut fait pour lors autre solennité, et, de ce jour en avant, tous ceux tenant le parti du dauphin le nommèrent roi de France 2. »

1. Le peuple ne vit pas avec moins de chagrin la suppression des monnaies de Charles VI et leur remplacement par celles du nouveau roi, Henri VI, portant les deux écussons de France et d'Angleterre accolés. Malgré les expresses défenses du régent, on continua d'user « en moult de lieux » des pièces de Charles VI. Monstrelet, I. I, c. 277. Journal du Bourgeois de Paris. Juvénal des Ursins.

Pierre de Fenin.

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2. v. une ordonnance de Charles VII, de mai 1430, qui rectifie le récit de Monstrelet. Ordonnances, t. XIII, p. 3 et 154.

LIVRE XXXV.

GUERRES DES ANGLAIS (SUITE).

LA FRANCE DÉMEMBRÉE. Le roi anglais et le roi français. HENRI VI ET CHARLES VII. JEANNE DARC. Régence de Bedford. Les Écossais secourent la France. Défaites des Franco-Écossais à Crevant et à Verneuil. — Affaires des Pays-Bas. Glocester et Jacqueline de Hainaut. Philippe de Bourgogne maître de Namur, Hainaut, Hollande, Zélande et Frise. Le connétable de Richemont. Charles VII et ses favoris. La Trémoille. Belle défense de Montargis. Anarchie dans le parti français. - Siége d'Orléans par les Anglais. Héroïque résistance des Orléanais. Journée des Harengs. Détresse du parti français. Ruine imminente de la France. Fermentation dans les profondeurs du peuple. Attente d'événements miraculeux. Prophéties. JEANNE DARC. Enfance et révélation de Jeanne. Elle va trouver Charles VII. Jeanne à Chinon et à Poitiers. Elle annonce qu'elle chassera les Anglais de France. Jeanne fait lever le siége d'Orléans. Reprise de Jargeau. Victoire de Patai. Marche sur Reims. Jeanne devant Troies. Elle fait sacrer le roi à Reims. Gloire de Jeanne. Immense attente du peuple et de l'armée.

1422-1429.

Jusqu'à la mort de Charles VI, les deux partis anglo-bourguignon et dauphinois avaient combattu au nom du roi de France : son autorité était également invoquée dans les manifestes du régent anglais et du régent français; son image et son écusson, l'écusson de France, figuraient seuls sur les monnaies battues dans toute l'étendue du royaume. Cette dernière fiction de monarchie vient de disparaître la sinistre réalité n'a plus de voile; la France est partagée entre deux rois ennemis. Paris, l'Ile-deFrance, la Normandie, l'Artois, la Flandre, la Bourgogne et ses dépendances, presque toute la Picardie et la Champagne, et, au midi, la Guyenne et la Gascogne occidentales subissent la royauté d'un enfant au berceau, d'un enfant étranger qui porte dans ses veines le sang des plus implacables adversaires de la France et qu'on élève parmi les Anglais, de l'autre côté de la mer; la Lorraine et la Savoie, ces provinces nominalement impériales, françaises de langue, de position et de relations, sont, la première, bourguignonne, la seconde, neutre; l'Anjou et le Maine sont un

champ de bataille en l'absence de leur seigneur; la Bretagne hésite et s'isole; la Touraine, l'Orléanais, le Berri, l'Auvergne, le Bourbonnais, Lyon, le Dauphiné, le Languedoc et les parties orientales de la Guyenne et de la Gascogne reconnaissent l'héritier légitime des Valois, jeune homme de vingt ans sur qui pèse la solidarité d'un crime abhorré d'une moitié de la France et tout au moins regretté de l'autre, et ce jeune homme n'annonce aucune grande qualité capable d'effacer ce fatal souvenir. N'importe: la situation est désormais nettement tranchée; plus d'excuse ni de prétexte aux cœurs faibles et indécis; il faut choisir entre le roi anglais et le roi français; quel que soit l'homme, en Charles VII le roi est l'unique représentant, le drapeau nécessaire de la nationalité. Les populations le comprirent: un mouvement d'opinion, qui semblait promettre l'aurore de jours meilleurs, se manifesta dans le peuple et dans la noblesse contre la dynastie étrangère; une agitation croissante se montra çà et là dans les régions soumises aux Anglais; beaucoup de gens disaient tout haut que Henri V emportait avec lui la fortune de l'Angleterre; les conseillers de Charles VII, qui lui avaient été si funestes, déployèrent une activité plus ou moins bien dirigée pour profiter des circonstances favorables à la cause de leur maître, et surtout pour attirer de toutes parts de braves mercenaires écossais, lombards, espagnols. On répandit dans les provinces une espèce de pamphlet politique, écrit par un jeune homme d'un noble cœur et d'un grand talent, Alain Chartier, secrétaire de Charles VII: c'était la France, personnifiée dans une vive et saisissante allégorie, qui conjurait ses trois enfants, le clergé, la chevalerie et le peuple, de mériter le pardon de Dieu, d'oublier leurs discordes et de s'unir pour sauver leur mère et se sauver eux-mêmes'.

1. Le style n'est pas trop inférieur à l'idée dans cette remarquable production, supérieure à tous les ouvrages français de la même époque: Alain Chartier est le premier de nos prosateurs qui ait touché parfois à l'éloquence classique; il est plus maître de la langue que Georges Chastellain, et il porte dans la littérature cette fermeté et cette précision de la pensée qui avaient déjà donné une langue presque moderne à Étienne Marcel dans ses lettres politiques. Les poésies d'Alain ne valent pas sa prose, malgré la renommée qu'il a conservée à ce titre et la tradition si connue du poétique baiser de Marguerite d'Ecosse, qui l'embrassa pendant son sommeil, pour l'amour de ses vers. Son pamphlet est intitulé le Quadriloge (le quadruple discours), à cause de quatre interlocuteurs qu'il met en scène, la

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BEDFORD ET WINCHESTER.

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La réaction française qui s'annonçait n'eut malheureusement pas les résultats qu'on en pouvait attendre elle rencontra des obstacles également difficiles à surmonter dans le caractère du prince qui eût dù la diriger, et dans celui du chef ennemi qui entreprit de l'arrêter. Henri V n'avait que trop bien choisi son successeur à la régence de France : le duc de Bedford, prudent administrateur, sage et habile capitaine, adroit négociateur, identifiant son ambition personnelle avec les intérêts du roi son neveu et la grandeur de l'Angleterre, et jugeant tout légitime pour servir cette cause, tour à tour équitable et modéré par calcul, implacable et barbare de sang-froid, mais toujours d'accord avec luimême quant au but, le duc de Bedford était déjà, au quinzième siècle, le modèle de ce patriotisme égoïste et machiavélique, de cette politique sans entrailles avec laquelle l'aristocratie anglaise a bouleversé le monde. Bedford assura sa position avec une égale habileté des deux côtés du détroit. Il craignait l'humeur inquiète de son frère Glocester, que Henri V avait désigné pour la régence d'Angleterre ; il se fit, en vertu de son droit d'ainesse, déférer cette régence par le parlement, laissa seulement à Glocester sa lieutenance pendant son séjour en France, et donna un contrepoids au pouvoir de Glocester en faisant investir du titre de chancelier d'Angleterre leur oncle à tous deux, le puissant et ambitieux évêque de Winchester'. Nous n'aurons que trop à revenir sur ce sinistre personnage, ce type d'avidité, de dureté et d'hypocrisie pharisaïques, vrai chef et modèle de l'épiscopat anglican au quinzième siècle.

Bedford ne réussit pas moins bien en France: là, c'était l'alliance bourguignonne qui était pour lui la grande question; le duc Philippe, jeune homme très fier, très vaniteux, très ombrageux sur le cérémonial et le point d'honneur chevaleresque3 et

France et les Trois États. M. Géruzez, dans son Cours d'histoire de l'Éloquence française, a remis en lumière l'importance de l'œuvre patriotique d'Alain, négligée par les historiens.

1. Petit-fils d'Édouard III et dernier fils de Jean de Gand, tige des Lancastre. 2. Henri V, qui le craignait et le ménageait, avait dù lui donner des lettres d'abolition pour fausse monnaie en 1417.

3. Il n'avait point assisté aux funérailles de Charles VI, de peur d'être obligé de céder le pas au duc de Bedford, à cause de sa qualité de régent.

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