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imaginations, devait finir par toucher les cœurs, et, aux faux chevaliers de 1450, devait succéder la vraie chevalerie de 1500, la noble génération de Bayard, les derniers des preux,

Le duc Philippe avait pourtant intention de tenir parole; il passa en Allemagne pour conférer sur la croisade avec l'empereur Frédéric d'Autriche et les princes de l'Empire; mais Frédéric, « endormi, craintif, avaricieux, » n'était pas homme à seconder de pareils projets, et Philippe revint dans ses états sans avoir pu rien conclure, bien que tous les princes d'Allemagne l'eussent accueilli comme s'il eût été l'empereur même. Quant à Charles VII, il loua fort le zèle de « monsieur de Bourgogne; » mais il ne se montra point disposé à l'imiter: il fit même des représentations au duc sur les inconvénients qu'aurait son départ et pour la Bourgogne et pour la France: il consentit toutefois à la levée d'une aide et d'un décime sur le clergé, dans les provinces bourguignonnes qui relevaient de la couronne'; mais les préparatifs de Philippe n'eurent point de résultats : tout ce grand bruit se tut peu à peu, et les Turks restèrent en possession incontestée de Stamboul (la ville, la cité par excellence), comme ils appellent Constantinople.

Les historiens terminent à la chute de Constantinople une des grandes ères de l'histoire. C'est là qu'ils ferment le Moyen Age et qu'ils ouvrent la Renaissance. En effet, une série d'éclatants phénomènes annonce que le monde va changer de voies. La vieille

non la philosophie de Rabelais et de Molière. La comédie a déjà là presque toutes ses qualités littéraires, moins ce qui légitime le genre comique, c'est-à-dire moins la moralité. Patelin ne dut pas être d'un meilleur exemple pour le peuple des villes que Jehan de Saintre pour la noblesse. Le vice est là trop amusant et trop gai! La facilité avec laquelle l'auteur paraît en prendre son parti peut être une raison de douter que cet auteur soit Antoine de la Sale. Une autre observation à faire sur le Patelin, c'est la prodigalité de « vilains serments » qui remplit cette pièce. Jamais le nom de Dien n'a été pris en vain si continuellement, et il est inconcevable que cela ait été supporté à la scène. Mais rien ne doit étonner quand il s'agit du xve siècle. Jehan de Saintré est daté de 1459; Patelin paraît être à peu près de la même époque. Il devait s'écouler près de deux siècles avant que notre théâtre dépassât Patelin. Rien ne l'égala dans l'intervalle. Toutefois, les Farces de la fin du xve siècle et du commencement du XVIe ne sont point à mépriser. Il y a là bien des intentions comiques et des traits heureux et hardis. V. les citations de M. Génin dans l'Introduction de sa belle édition de Patelin; Paris, Chamerot, 1854.

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1. Le roi consentit aussi que le pape levât un décime des revenus du clergé de France pour le même objet.

[1453-1456]

FIN DU MOYEN AGE.

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rivalité des églises romaine et grecque terminée, pour un temps, par la ruine de la chrétienté orientale; l'église grecque esclave ou reléguée dans les solitudes du Nord, chez un grand peuple barbare' qui restera encore, durant bien des générations, sans communications avec l'Occident; la rébellion des hussites mal étouffée et jetant çà et là, dans les régions teutoniques, des étincelles qui menacent Rome de voir un jour éclater un nouvel embrasement et se lever un nouvel ennemi, plus voisin que l'église grecque et plus puissant que le hussitisme; la France délivrée de l'invasion, passant de l'anarchie féodale et princière à une monarchie fortement armée pour le pouvoir absolu au dedans comme pour la guerre au dehors, et menaçant déjà la Bourgogne, sa fille insoumise et enrichie de ses dépouilles; les Espagnes énergiquement trempées dans cette interminable guerre de race et de religion contre les Maures, qui va s'achever par la chute de Grenade, compensation de la chute de Constantinople, et se concentrant pour devenir l'Espagne; la Gaule teutonique, la Gaule du Rhin, enfantant l'IMPRIMERIE et préparant à des pensers nouveaux un instrument d'une puissance incalculable, et dont aucune révolution ne saurait jamais dépouiller le genre humain; enfin, l'Italie couvant la pensée que cet instrument ne tardera pas à multiplier sans limite, étalant le plus magnifique développement d'art plastique qui ait paru sur la terre depuis les Grecs, et se replongeant avec passion dans ces sources de l'antiquité classique, où doit se retremper encore une fois l'Occident, alors que tarit la séve du Moyen Age; tel est le grand spectacle que présente l'Europe au milieu du quinzième siècle. La Providence se sert de la ruine d'une civilisation pour en féconder une autre. Les débris de Constantinople, dispersés parmi l'Europe, y réveillent la tradition de la Grèce. Le génie littéraire, aussi bien que religieux, avait disparu depuis des siècles chez les chrétiens d'Orient : l'érudition était restée; les savants byzantins apportent en Italie les monuments originaux des lettres grecques, avec le goût et l'interprétation de ces monuments. Les artistes italiens avaient déjà antérieurement retrouvé et compris les monuments des arts grecs. La

1. La Russie.

2

science morte des Byzantins redevient la vie en touchant les peuples rajeunis de l'Occident. L'Italie du Moyen Age, instruite par l'Hellénie antique, fait remonter la science occidentale, du latin, la langue des affaires', au grec, la langue de la poésie, et donne à l'Europe la RENAISSANCE. La France reçoit du dehors une ère nouvelle, et perd, pour un temps, l'initiative dans le monde.

1. Et bien inférieure, pour les affaires, au français moderne.

QUATRIÈME PARTIE

FRANCE DE LA RENAISSANCE

LIVRE XXXIX

LUTTE DES MAISONS DE FRANCE ET DE BOURGOGNE

CHARLES VII ET PHILIPPE LE BON. Guerre de Gand. - Le dauphin se réfugie chez Philippe. Procès d'Alençon, d'Armagnac, de Gilles de Bretagne. Procès des Vaudois. Fin de l'inquisition en France. Affaires de Gênes. - Vains efforts de Charles VII pour ramener son fils. Fin tragique de Charles VII.-LOUIS XI. Réaction contre le gouvernement de Charles VII. Abolition de la Pragmatique. Création du parlement de Bordeaux. Acquisition du Roussillon. Rachat de la Picardie. Querelles avec la cour de Rome et la Bretagne. Alliances de Louis XI au dehors.. Ordonnances sur les biens d'église, les biens nobles et la chasse. Ligue du Bien public. Révolte du frère du roi. Révolte générale des grands. Succès du roi en Bourbonnais. Invasion bourguignonne et bretonne. LOUIS XI ET CHARLES le Téméraire. Bataille de Montlhéri. Fluctuations de Paris. Rouen livré aux rebelles. Le roi capitule. Traité de Saint-Maur. Spoliation et abaissement de la royauté. Incapacité des grands à organiser leur victoire.

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Les grandes divisions de l'histoire ont toujours, comme la plupart des classifications, quelque chose d'arbitraire à la limite. Une ère nouvelle ne commence pas à jour et heure fixes. La Renaissance, l'époque où la France, après l'Italie et avec le reste de l'Occident, voit ses arts, ses idées, ses habitudes d'esprit, tout l'ensemble de sa civilisation submergé, fécondé, transformé par un débordement de tradition antique bien plus vaste et plus radicalement conquérant que le flot classique de Charlemagne ou celui du siècle d'Abailard, cette époque ne fait que poindre à peine dans les années qui suivent l'expulsion des Anglais. Si l'on vou

lait subdiviser cette grande période pour la définir plus exactement, on signalerait là un laps de trente à quarante ans comme la transition du Moyen Age à la Renaissance. Ce n'est plus l'un, ce n'est pas encore tout à fait l'autre. Le moment n'est pas encore venu pour nous d'esquisser le mouvement intellectuel et moral de l'âge nouveau.

Le fait capital de cette période intermédiaire, c'est la lutte, sourde d'abord, puis déclarée, de la France royale et de la Bourgogne. La guerre de l'indépendance achevée, l'Angleterre tombée, la France reste en face de la Bourgogne, de cette grande puissance hybride formée de démembrements du royaume et de l'Empire, longtemps implacable ennemie de la France royale, sa mère, dans ces luttes parricides où une armée française a pris et livré aux Anglais la libératrice de la France, puis un moment alliée dans un accès d'orgueil blessé, et, bientôt après, retombée dans une neutralité malveillante. Quoique le duc Philippe ait refusé, en 1440, de seconder l'émeute brutale et maladroite de la Praguerie, il ne s'est pas fait scrupule de contrecarrer, par des moyens moins violents, le gouvernement de Charles VII, et les rapports n'ont cessé d'être tendus et difficiles entre les deux cours.

Les causes de conflit abondent: d'une part on voudrait reprendre ce qu'on a cédé par l'humiliant traité d'Arras; de l'autre part, on veut garder ses avantages et les étendre. Le parlement de Paris maintient, avec une âpre sollicitude, son ressort sur les provinces bourguignonnes et flamandes '. Le conseil, avec moins de succès, revendique les droits fiscaux du roi sur ces mêmes provinces, et soutient que la dispense personnelle d'hommage accordée au duc par le roi ne dispense pas ses sujets des impôts que paient les autres vassaux; sur ce point-là, tous les Bourguignons sont avec leur duc contre le roi 2. Mais aussi la France royale tout entière, sauf quelques

1. V. dans G. Chastellain (édit. Buchon, 8. XIX), la dramatique anecdote de l'huissier qui vient apporter un ajournement au duc de Bourgogne en plein hanquet de l'ordre de la Toison-d'Or, à Bruges, pour une simple affaire civile, et celle du sergent qui brise à coups de marteau la porte de la prison de Lille pour en extraire un prisonnier qui avait appelé au parlement.

2. Ils avaient aposté des gens déguisés pour tuer « tous officiers du roi qu'ils trouveroient sur les limites du pays de Bourgogne. » Michelet, t. V, p. 337, d'après le Trésor des Chartes. «Vilains, serfs, allez payer vos tailles," disaient-ils, « aux sujets du roi qui vont és pays de monseigneur de Bourgogne. » Ibid., p. 312.

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