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enfin, on voyait en lui le surveillant, le rival secret et le juge du premier ministre.

Le duc de Bourbon n'avait, pour éblouir Son portrait. le public, que son nom et sa magnificence; mais la pompe qu'il étalait rappelait trop ses liaisons intéressées avec Law, et les souvenirs de la rue Quincampoix ternissaient l'éclat de Chantilly. On était revenu, après une douloureuse expérience, de l'opinion que ceux-là fussent les plus propres à enrichir l'État, qui avaient eu le secret de s'enrichir eux-mêmes. M. le duc ne s'était pas montré moins âpre dans sa haine contre ses parens, que dans sa cupidité; et en cela il faisait regretter le facile régent qui n'avait jamais haï personne. Il possédait plusieurs qualités extérieures; on vantait son adresse dans différens exercices. Il avait de l'aisance et de la noblesse dans la taille; sa figure était belle, quoiqu'il eût eu le malheur d'avoir un oeil crevé par l'imprudence du duc de Berry, dans une partie de chasse. Quelque chose de hautain et de dur perçait à travers sa politesse recherchée. Dans un entretien un peu suivi, il était obligé d'affecter de la légèreté ou de montrer de l'orgueil, pour cacher la stérilité de son esprit. Il avait été un mauvais mari pour sa

de Prie.

première femme (a), morte quelques années La marquise avant son ministère. La marquise de Prie exerçait sur lui un empire absolu; elle fut pour lui ce que le cardinal Dubois avait été pour le régent.

Elle était femme d'un ambassadeur français à Turin; elle joignait à une beauté régulière, cette grâce piquante qui est le charme particulier des dames françaises. Sa taille avait ces contours agréables, cette légèreté, que l'imagination prête aux nymphes de la fable. Habituée à tous les artifices dont une femme perverse fait son étude, elle savait jouer l'étourderie et même l'ingénuité. Comme elle croyait, par sa présence d'esprit, pouvoir se tirer des situations les plus périlleuses, elle se piquait de prendre très-peu de précautions dans les nombreuses infidélités qu'elle faisait à son amant. Elle le rendait ridicule par sa crédulité, ou abject par sa complaisance. Née d'une famille de traitans, où la probité n'était point héréditaire, elle y avait puisé un instinct de cupidité qui fut sa passion dominante. Le cabinet de Londres jugea cette femme digne de suc

(a) Marie-Anne de Bourbon-Conti. Elle mourut sans enfans en 1720.

céder à la pension qu'il payait au cardinal Dubois.

Le premier acte du nouveau gouvernement Edit contre fut absurde et odieux. Ce fut un édit contre

les protes

tans.

11 mai.

les protestans, plus cruel encore que la ré- 1724vocation de l'édit de Nantes. On y défendait jusqu'à l'exercice le plus secret de la religion réformée. On arrachait les enfans aux pères pour les faire élever dans la religion catholique. La peine de mort était prononcée contre les pasteurs rebelles, la confiscation des biens contre les relaps. On flétrissait là mémoire de ceux qui mouraient sans avoir reçu les sacremens. On renouvelait enfin tous les genres d'oppression que les ministres de Louis XIV avaient conçus, et que l'horreur publique commençait à faire tomber en désuétude. La marquise de Prie, dont l'impiété égalait celle du cardinal Dubois (a), sut persuader à son amant qu'elle suivait les grands principes des hommes d'État, en commençant une persécution nouvelle. Chacun fut révolté des efforts que le

(a) Lorsqu'en 1725, année où les pluies perdirent la récolte, on porta en procession la châsse de sainte Géneviève, la marquise de Prie disait : Le peuple est fou, c'est moi qui fais la pluie et le beau temps.

Contraste de

celte rigueur avec la mo

vice faisait pour se donner l'apparence du zèle. Cette barbare ineptie fit regretter la tolérance du régent.

Le duc d'Orléans avait témoigné plusieurs dération du fois à son conseil l'intention de modifier les

régent.

lois de Louis XIV contre les protestans; mais'
il fut contrarié dans ses vues par les protes-
tans eux-mêmes, qui, peu de temps après la
mort de Louis XIV (a), eurent l'imprudence'
de se faire craindre quand on voulait adoucir
leur sort. Leur conduite fut telle alors, qu'ils
semblaient dirigés et trompés par
leurs pro-
pres ennemis. Ils avaient fait des rassemble-
mens armés dans les provinces de la Guyenne
et du Languedoc, et s'étaient refusés à l'im-
pôt du dixième. Le régent employa la plus
grande modération pour pacifier ces trou
bles. Il fut secondé par deux hommes pieux
et tolérans, d'Aguesseau et le cardinal de
Noailles. La charité qui les inspirait se trou-
vait d'accord avec ce que la politique indi-
quait de plus sage; mais on ne put accorder
à des rebelles rien au-delà d'un pardon. De-
puis, on vit avec étonnement des seigneurs
protestans entrer dans les intrigues de la du-
chesse du Maine. Le régent n'en fut pas plus

(a) En juin 1716,

irrité contre la secte à laquelle ils appartenaient. Au milieu de l'agitation du systême, quand tout parlait de banque et de commerce, il pensa plus sérieusement à porter un remède, déjà trop tardif, à la plaie que l'édit de Louis XIV avait faite à l'industrie française. Mais ses conseillers lui firent beaucoup d'objections. Ce qui, sur-tout, empêcha la rentrée des meilleurs manufacturiers et des négocians les plus probes de l'Europe au sein de la France, ce fut l'ambition qu'avait Dubois de parvenir aux dignités de l'Église. Mais du moins les protestans vécurent à l'abri de recherches sévères, et le gouver, nement le plus indulgent pour le scandale le fut aussi pour les erreurs de la conscience.

La rigueur inattendue et tyrannique du duc de Bourbon ne fut louée que dans des harangues mercenaires. Les parlemens enregistrèrent un pareil édit sans faire de remontrances. Le gouvernement anglais voulut point troubler, par des réclamations, un acte dont se glorifiait la favorite qui lui vendait les intérêts de la France. La Hollande eut plus de générosité; cette république intercéda pour les religionnaires avec tant de force, que le duc de Bourbon fut obligé de donner à son édit des modifications qui

La Holland. intercède pour eux.

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