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Le roi reçut cette proposition avec la joie d'un jeune homme inappliqué, à qui l'on offre une diversion au milieu d'une tâche ennuyeuse; mais pendant qu'il était occupé avec M. le duc, sous les yeux de la reine, Fleury, surpris de ne point le trouver dans le lieu ordinaire de son travail, s'épuisait en conjectures; enfin, il apprit qu'il était joué, et qu'on avait trouvé un moyen de le séparer de son élève. Dans son dépit, il n'imagina rien de mieux que de recommencer l'épreuve d'une retraite simulée. Il écrivit au roi une lettre pleine de tendresse et de douleur; il y déclarait que, fatigué de lutter contre ceux qui mettaient tout en œuvre pour lui enlever sa confiance, il allait terminer dans une retraite des jours qu'il aurait voulu rendre utiles au roi, et qu'il était résolu enfin de consacrer à Dieu; pour cette fois, il eut grand soin d'indiquer son asile, afin que le temps employé à le chercher n'amortît point le premier effet de la douleur de son élève.

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Cet asile était à Issy, près de Paris, dans la communauté des sulpiciens. Son départ ne causa d'abord aucune inquiétude au duc de Bourbon. Chacun à la cour trouvait le vieillard un peu monotone dans ses ruses.

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Cependant Louis avait déjà vingt fois demandé l'évêque de Fréjus. Le duc de Mortemar, qui était alors gentilhomme de service, attendit que le roi eût laissé éclater son impatience et son inquiétude pour lui remettre une lettre dont Fleury l'avait chargé. Louis éprouva, en la lisant, la même émotion que lui avait causée le premier départ de son précepteur. Il sanglottait comme un enfant timide qui se voit menacé et qui n'ose se défendre. Quoiqu'il fût en quelque sorte né sur le trône, une résolution à prendre, une volonté à exprimer, était une chose nouvelle pour lui. Le duc de Mortemar le combla de joie en lui apprenant qu'il pouvait, sans péril, redemander son ancien précepteur, et que personne n'oserait contrevenir à ses ordres. Le roi le Louis manda le duc de Bourbon, et le frappa

rappelle.

d'un coup de foudre en lui signifiant qu'il ne voulait point être séparé de l'évêque de Fréjus, et qu'on eût à le ramener inconti nent. Il fallut obéir. On comparait à la cour la situation de M. le duc à celle d'Aman, forcé de conduire le triomphe de Mardochée. Fleury eut beau affecter de la modestie dans le sien, et professer les maximes évangéliques sur le pardon des injures, chacun vit en lui le véritable chef de l'Etat. Pour

tant il ne crut pas devoir accabler son rival dans le premier moment. Il le laissa respirer encore pendant plusieurs mois, et se perdre dans les mauvaises routes d'une administration sans ordre, sans suite et sans dignité.

Les forces du jeune roi étaient comme épuisées par l'effort qu'il venait de faire; il craignit les larmes et les reproches de son épouse. Il est vraisemblable aussi que, d'après les impressions qu'il avait reçues dans son enfance, son imagination était vivement frappée de ce que pouvaient entreprendre contre lui les princes de son sang. Fleury craignit lui-même que le duc de Bourbon, en prévoyant sa chute, ne parvînt à se former un parti assez puissant pour se rendre maître du palais. Il prit des précautions dignes d'un vieillard faible et soupçonneux; il eut recours à une dissimulation profonde, et enseigna les secrets de cet art à un roi dont il aurait dû former l'ame suivant de plus nobles principes.

Il s'était élevé des troubles dans plusieurs provinces à l'occasion de la cherté des denrées. Une émeute avait éclaté dans Paris même; on avait été obligé de la réprimer par la mort de quelques mutins. Le roi regardait cette agitation comme le présage

Emeutes à quelques 1725.

Paris et dans

provinces.

Août.

d'un règne orageux (a). Quand Fleury le vit résolu à éloigner, dans le duc de Bourbon, la cause de ce tumulte, il lui recommanda de montrer à ce prince un visage plus ouvert et plus gracieux que de coutume. M. le duc et la marquise de Prie étaient complétement rassurés. La reine s'applaudissait des heureux effets de sa continuelle intercession pour ses amis. On annonça un voyage de la cour à Disgrace de Rambouillet. Louis parlait avec vivacité des 1726. plaisirs qu'il se proposait d'y goûter : il voulut partir le premier. Au moment de monter en voiture, il recommanda instamment au duc' de Bourbon d'arriver à Rambouillet pour le

M. le duc.

Juin.

souper. Prenez garde, ajouta-t-il, de vous Bissimula- faire attendre. Charmé de cet empressement, à son égard. le duc de Bourbon arrangeait son départ,

ton de Louis

1

lorsque le duc de Charost vint lui apporter une lettre conçue en ces termes : Je vous ordonne, sous peine de désobéissance, de

(a) Ces émeutes eurent lieu à Paris, à Caen, à Rouen et dans beaucoup d'autres villes. Un boulanger du faubourg Saint-Antoine ayant voulu vendre l'après-midi son pain plus cher que le matin, le peuple s'assembla, pilla sa boutique et toutes celles du foubourg. Il voulait entrer dans la ville, on ferma la porte Saint-Antoine. L'émeute ne fut dissipée que dans la nuit et après plusieurs décharges du guet sur la multitude.

vous rendre à Chantilly, et d'y demeurer jusqu'à nouvel ordre. Le prince parut encore plus affecté de la sécheresse offensante de ces expressions que de sa disgrâce même. Il partit, et un lieutenant des gardes-du-corps l'accompagna jusqu'à Chantilly. En même temps, la reine recevait une lettre de son époux non moins impérieuse et presque aussi cruelle; la voici : Je vous prie, madame, et, Sa dureté s'il le faut, je vous l'ordonne, de faire tout reine. ce que l'évêque de Fréjus vous dira de ma part comme si c'était moi-même; signé Louis. La reine fondit en larmes, et ne put concevoir

que son époux lui fît une espèce de crime de sa reconnaissance pour un prince qui, du sein de l'indigence et de l'obscurité, l'avait élevée au comble de la gloire, elle ne pouvait plus dire du bonheur.

Une autre lettre de cachet exilait en même temps la marquise de Prie à sa terre de Courbépine. Dans le premier moment, elle se composa pour montrer de la fermeté, et ses plaintes ne portèrent que sur le sort de la reine (a). Mais le désespoir le plus violent

(a) Une anecdote que plusieurs contemporains garantissent, peut servir à faire connaître le caractère d'une femme qui ne savait passer que d'une ivresse à une autre. Le jour même où elle se dis

envers la

Exil de Prie; sa

madame de

mort.

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