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front. Elle était foudroyée par une artillerie que les Alliés faisaient jouer du haut d'une colline. Les batteries que le maréchal de Noailles avait établies sur l'autre rive du Mein lui devenaient inutiles, puisque les Français s'étaient précipités dans la position même où ils auraient dû laisser les ennemis s'engager. Le duc de Grammont cherchait à expier, à force de valeur, sa faute irréparable. On eût dit que tout le combat roulait sur la maison du roi. Elle avait percé quatre lignes de la cavalerie ennemie. Souvent enfermée au milieu des bataillons, elle s'ouvrait un large passage. Le roi George qui avait manqué d'être emporté par un cheval fougueux au milieu des rangs français, combattait à pied à la tête d'un régiment anglais. Un corps de réserve que fit avancer le général autrichien Neuperg (a), jeta l'infanterie française dans un nouveau désordre. Le maréchal de Noailles fitsonner la retraite; la maison du roi se replia pour la couvrir. Les efforts de cette admirable cavalerie, qui pendant quatre heures avaient préservé l'armée d'une déroute, permirent aux bataillons de

(a) C'est ce même général qui avait été battu par le roi de Prusse à Molwitz.

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Triste résultat des deux campagnes de

repasser le Mein dans un assez bon ordre. Elle le repassa elle-même après avoir chargé six fois. Le duc de Chartres, le comte de Clermont, le duc de Penthièvre, le prince de Dombes, le comte d'Eu, avaient vaillamment combattu à la tête de ce corps. Les deux derniers avaient été blessés ainsi que les ducs d'Ayen, d'Harcourt et de Boufflers. Le duc de Rochechouart, les marquis de Fleury et de Sabran étaient au nombre des morts. Le comte de BoufflersRémiancourt, enfant de dix ans et demi, eut la jambe cassée d'un coup de canon et vit la mort avec une fermeté héroïque.

La perte fut à peu près égale dans les deux armées; on l'estimait de part et d'autre à deux mille cinq cents hommes. Le roi d'Angleterre dîna sur le champ de bataille, et le quitta pendant la nuit pour se rapprocher de ses magasins. Le général vainqueur Stairs écrivit au général vaincu pour lui recommander six cents blessés honteusement abandonnés dans le lieu où les Anglais se vantaient d'avoir remporté une victoire signalée.

Le salut de l'empereur Charles VII eût pu Bohème dépendre de cette journée. Les généraux

français se hâtèrent de regarder sa cause comme condamnée par une bataille indécise, la première qui eût été encore livrée en sa faveur. Le maréchal de Broglie qui, dans tout le cours d'une guerre commencée par son rival et son ennemi le maréchal de Belle-Isle, n'avait parlé que de retraite, décampa de Donawert, malgré un renfort de douze mille hommes qu'il venait d'y recevoir. Charmé d'abandonner l'Allemagne pour n'y plus rentrer, il s'approcha du Rhin en grande hâte; et arrivé à Strasbourg, il donna un bal magnifique, comme pour célébrer une campagne où l'on avait perdu deux cents lieues de terrain et sacrifié un prince malheureux. Le maréchal de Noailles ne put, après la retraite de Broglie, se maintenir dans la Franconie, où il avait pendant deux mois contenu l'armée des Alliés. La guerre était reportée sur les frontières de France. L'empereur Charles VII n'avait plus d'États: cent mille soldats français avaient péri, et le fer n'en avait pas détruit plus de vingt mille. Les généraux et les ministres avaient rivalisé de fautes. Toutes les épargnes du trésor avaient disparu. Il fallait créer des armées nouvelles, équiper des flottes. Les Anglais, maîtres de

Mort du cardinal de Fleury.

la mer, menaçaient nos colonies et celles de l'Espagne, et faisaient la loi dans la Méditerranée.

Ce fut au milieu de ces maux, que finit l'administration long-tems paisible et fortunée du cardinal de Fleury. Sa prudence avait voulu les éviter, sa faiblesse les aggrava. Il ne les vit pas tous, il était mort dès le commencement de cette année mal29 janvier. heureuse 1743. C'était en lui une déplorable obstination que de garder les rênes de l'État à l'âge de quatre-vingt-dix ans ; de diriger une guerre dont il avait condamné l'injustice et prévu les malheurs ; de conduire à trois cents lieues de distance des armées dont il n'aurait pu ordonner les mouvemens dans un âge plus heureux; enfin de vivre à côté du scandale, lui qui avait à conserver la dignité d'un vieillard, d'un prince de l'église et de l'instituteur d'un roi. Son déclin hâtait la décadence de la monarchie, qu'il avait soutenue seize ans avec plus de sagesse que de vigueur. Dans sa dernière année, il se retirait fréquemment à Issy. Le repos de cette solitude ne retenait pas long-temps un homme qui, jusqu'à l'âge de soixante- treize ans, avait paru maître de son ambition, et qui depuis ce

tems ne pouvait plus se séparer de la puissance.

Fleury s'était rendu accessible à la flatterie à mesure qu'il devenait plus faible. On ne s'entretenait plus avec lui, sans lui parler de centenaires. Les journaux avaient le soin d'en faire des listes grossièrement exagérées. Le marquis de Breteuil, ministre de la guerre, était venu travailler à Issy avec le cardinal. En sortant il fut frappé d'une attaque d'apoplexie. Les gens de la maison du cardinal furent bien moins émus de cet accident, que du trouble qu'il pouvait causer à leur maître. Ils eurent l'inhumanité de jeter le marquis de Breteuil dans une voiture pour le faire ramener à Paris. Il mourut en y arrivant. Le lâche et odieux procédé de ces domestiques excita les plus grands murmures. Peu de jours après cet événement, le cardinal sentit sa fin s'avancer. Il conserva dans les derniers momens de sa vie la sérénité qui en avait protégé le long cours. Le roi vint le voir deux fois. A l'une de ces visites, il était accompagné du dauphin. Comme ce jeune prince montrait une vive sensibilité, le roi le tenait éloigné du lit du malade. « Ah! laissez-le » s'approcher, dit le mourant, il est bon

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