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Tranquille au sein d'un despotisme qui avait eu la sanction populaire (a), le Danemarck ne partageait point l'agitation de ses voisins, mais comme eux il avait pris la dangereuse habitude de recevoir des subsides. C'était l'Angleterre qui les lui fournissait. Un roi d'une dévotion presque visionnaire laissait languir ce royaume, et sa paresse lui tint lieu de prudence.

Danemarck.

Unies.

Une paix de vingt-huit ans avait fait fleu- Provincesrir le commerce, l'agriculture et les finances de la Hollande, mais avait interrompu cette surveillance qui est la sauve-garde des républiques. Tandis qu'elle conservait sa liberté politique, elle perdait chaque jour quelque chose de son indépendance extérieure. La guerre de la succession, pendant laquelle elle s'était imprudemment enivrée du plaisir d'humilier Louis XIV, lui avait été fatale. Dès ce moment, le gouvernement anglais avait su l'entraîner dans toutes ses entreprises. L'armée hollandaise, écrasée

(a) En 1660, sous le règne de Frédéric III, le royaume de Danemarck , qui de tout tems avait été électif, fut déclaré héréditaire; la noblesse fut dépouillée de ses plus beaux priviléges, et le monarque fut investi par la nation même d'une autorité illimitée.

Pologne.

à la bataille de Malplaquet, s'était mal réparée. La marine avait langui, et elle n'aurait plus été en état de soutenir contre l'Angleterre ces combats glorieux qui avaient arrêté quelque tems les progrès de la puissance maritime la plus redoutable. Elle ne comptait que vint-cinq vaisseaux de ligne quand l'Angleterre en avait plus de cent trente; mais celle-ci se gardait bien de troubler la sécurité de la Hollande par un orgueil indiscret; elle ne dominait pas encore les Provinces-Unies, elle les protégeait. Enfin des républicains, qui pendant deux siècles avaient montré de l'héroïsme, n'étaient plus que des marchands.

La Pologne elle-même paraissait se calmer sous un roi faible. Auguste III, saus avoir ni l'affabilité entraînante, ni la magnificence, ni la grâce de son père, réusissait à contenir les factions. Son ministre le comte de Brühl ne connaissait qu'un art, celui de corrompre les grands. I avait persuadé à son maître que rien ne le secondait mieux que d'avoir un ministre opulent et prodigue, qui faisait oublier aux Polonais l'esprit de liberté dans des festins. Les trésors de la Saxe étaient livrés à son avidité. Leipsick alimentait le luxe de Varsovie.Nous ver

Prusse.

Mort de

son second

roi.

rons cependant que l'ambition put séduire un pareil roi et un pareil ministre ; le rôle qu'ils jouèrent dans la guerre de la succession d'Autriche n'offrit ni plus de gloire, ni plus de dignité que le reste de leur administration. Il est temps de parler de la puissance qui devait porter à l'héritière d'Autriche les premiers et les plus cruels coups. Le second roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, mourut au mois de mai 1740, et fit place au seul prince d'un esprit vaste et d'un grand caractère qui régnât à cette époque. Frédéric II, alors âgé de vingt-huit ans, avait d'abord été connu par les malheurs de sa jeunesse. Sa passion pour les belles- Jeunesse lettres, contrariée par un père ignorant Frédéric et féroce, avait été la source de ses longues disgrâces. Il fut près de subir le destin du czarowitz Alexis, et l'Europe aurait vu dans un intervalle de dix ans deux souverains égorger leur fils, l'un parce que son héritier avait repoussé les beaux-arts, et l'autre, parce que le sien les avait chéris avec trop d'ardeur. Le jeune prince de Prusse, fatigué des persécutions de son père et d'un despotisme que celui-ci exerçait encore plus violemment sur sa famille que sur ses sujets, voulut en 1730 exécuter la résolu

du grand

Dureté du

roi son père à son

gard.

tion qui avait été si fatale au czarowitz, et 1730. chercher un asyle au dehors. Il avait fait entrer dans son projet d'évasion deux jeunes officiers qui lui étaient dévoués, et une jeune fille d'une naissance obscure, dont il était épris. Son père eut connaissance de ce projet, y vit le plus grand crime d'État, et se vengea comme un tyran. Il fit enfermer le prince dans la citadelle de Custrin. La princesse Guillelmine, qui depuis épousa le margrave de Bareuth, fut punie par un traitement d'une brutalité sans exemple, d'avoir osé intercéder pour son frère(@); l'un des amis du prince, le jeune Keit, s'était

(a) Voltaire, dans des mémoires qu'il écrivit peu de temps après sa rupture avec le roi de Prusse, et qui sont très-injurieux à ce monarque, parle avec une légèreté cruelle et peu décente de la catastrophe dont Frédéric faillit d'être victime dans sa jeunesse ; mais il donne sur cet événement des particularités assez curieuses. En voici une concernant la soeur de Frédéric :

« Le roi ( Frédéric Guillaume ) crut d'abord que la princesse Guillelmine, sa fille, était du complot; et comme il était expéditif en fait de justice, il la jeta à coups de pieds par une fenêtre qui s'ouvrait jusqu'au plancher. La reine mère qui se trouva à cette expédition dans le temps que Guillelmine allait faire le saut, la retint à peine par ses jupes.

échappé; l'autre qui se nommait Katt, fils d'un des plus braves officiers de la Prusse, fut arrêté et condamné à avoir la tête tranchée. Le barbare monarque voulut que Frédéric vît couler le sang de son ami, et luimême vint repaître ses yeux du supplice de ce jeune homme, et de l'horreur qui devait glacer son fils à ce spectacle affreux. L'échafaud fut dressé devant la citadelle de Custrin, et pendant que l'infortuné Katt y montait, des gardes enchaînaient Frédéric à une croisée. Il tendit la main à son ami, et s'évanouit; auparavant on lui avait montré la jeune fille qu'il aimait, fouettée par la main du bourreau. Lui-même n'évita le supplice, que par la généreuse intercession de l'empereur Charles VI qui eut la fermeté de faire déclarer par son ambassadeur Seckendorff, que le prince royal, comme prince de l'empire, ne pouvait être jugé à mort que dans une diète.

La cruauté de Frédéric-Guillaume se ralentit depuis cette catastrophe. Le prince

Il en resta à la princesse une contusion au dessous du téton gauche, qu'elle a conservée toute sa vie comme une marque des sentimens paternels, et qu'elle m'a fait l'honneur de me montrer. »

VOLTAIRE, Mémoires.

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