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expirait lorsqu'on lui apprit la mort de Berwick, et ses dernières paroles furent un pénible retour sur le sort qui le privait d'une mort aussi glorieuse. Cet homme-là, dit-il, a toujours été heureux. La France apprit coup sur coup la perte de ces deux illustres généraux, dont l'un l'avait sauvée elle-même, et dont l'autre avait sauvé l'Espagne; les honneurs qui furent rendus à leur mémoire n'eurent point ce caractère imposant et solennel qui perpétue l'héroïsme. On voyait que le temps des grandes choses allait passer; au peu de soin qu'on mettait à conserver Villars et de grands souvenirs. Villars et Berwick comparés étaient les deux plus illustres débris du siècle

Berwick

de Louis XIV. L'un avait peut-être à l'excès la modestie qui manquait à l'autre. En paraissant dédaigner l'art du courtisan, tous deux l'employaient quelquefois; mais ils ne surent point s'élever au rôle politique auquel ils semblaient appelés. Berwick connaissait avec plus d'exactitude toutes les parties de l'art militaire; Villars avait plus de vivacité dans ses conceptions, et plus de cette fougue qui entraîne une armée. Le fils naturel de Jacques II fut fidèle à sa patrie adoptive, et peut-être le fut-il d'une manière trop rigide, puisque sous la régence il combattit en Espagne contre son bienfaiteur, contre

son fils et son frère. Villars aimait sa patrie comme un vieux Français, et pouvait même lui pardonner un peu d'ingratitude.

Le commandement de l'armée fut partagé entre le duc de Noailles et le marquis d'Asfeld, qui reçurent l'un et l'autre le bâton de maréchal de France. Ils continuèrent avec activité le siége de Philipsbourg, quoiqu'ils fussent divisés d'opinion sur les moyens de le couvrir. D'Asfeld, un des ingénieurs les plus distingués de ce siècle, voulut retrancher l'armée assiégeante dans des lignes semblables à celles dont les Autrichiens ont coutume de s'entourer. Noailles regardait cette précaution comme indigne des Français et comme faite pour rassurer l'ennemi sur le sort de l'Allemagne, dans un moment où elle était de tous côtés ouverte à l'invasion. L'avis du premier prévalut. On sait qu'un pareil moyen, employé par le princede Condé devant Arras, n'avait pas réussi à ce grand capitaine. Mais d'Asfeld porta ses ouvrages à un tel degré de perfection, que l'armée française ne put craindre ou plutôt ne put espérer de se voir attaquée. Le prince Eugène avait reçu de nombreux renforts, Les plus distingués des princes allemands étaient venus pour assister à une bataille

qu'ils espéraient devoir être aussi fatale aux Français que celle de Hochstedt. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, était au nombre de ces princes; il avait auprès de lui son fils, le prince royal, âgé de vingtun ans, qui venait étudier ardemment sous le prince Eugène tous les moyens de l'égaJer ou de le surpasser. Le défenseur de l'Autriche ne fut point cependant ébranlé par ce concours de guerriers qui brûlaient de commencer leur gloire pendant qu'il couronnerait la sienne. Il déclara que les retranchemens des Français étaient inexpugnables. On voulut en vain lui indiquer quelques endroits plus faibles dans leurs lignes. Il s'en approcha pour convaincre tous les généraux de l'extrême difficulté d'une attaque. Il se contenta de serrer de près l'armée française, et ne cessa de la canonner pendant que la garnison de Philipsbourg la tenait en haleine par la vivacité de son feu et l'impétuosité de ses sorties. Les eaux du Rhin s'enflèrent, et le camp des Français fut inondé. Quelques ouvrages furent interrompus par ces crues violentes; d'autres furent emportés. Les assiégeans avaient toujours les pieds dans l'eau. La gaîté et l'activité des Français furent le

meilleur remède contre les maladies qui pouvaient résulter d'une position aussi fâcheuse. Les chefs et les soldats se distinguè rent par leur patience autant que par leur bravoure. On vit le duc de Grammont distribuer cent mille livres à des officiers peu fortunés. D'autres seigneurs imitèrent cette libéralité. Dès que les travaux du jour étaient finis, une partie de la nuit se passait en plaisirs, en fêtes; des mets et des vins exquis étaient servis sur la tranchée. Un de ces festins nocturnes fut troublé par un incident qui annonce combien cette gaîté était mêlée d'indiscipline. En soupant avec le jeune prince de Conti, le duc de Richelieu fut insulté par le prince de Lixen. Le premier, qui avait éprouvé beaucoup de fatigue dans la journée, conservait encore quelques traces de sueur au front. Le prince de Lixen, en réponse à quelques épigrammes de ce seigneur, lui dit de s'essuyer, et ajouta qu'il était étonnant qu'il ne fut pas entièrement décrassé, après l'avoir été én entrant dans så famille (a). Richelieu ne voulut pas différer sa vengeance d'un seul moment. A minuit,

(a) Le duc de Richelieu venait de s'allier à là maison de Lorraine en épousant la princesse Elisabeth Sophie, fille du duc de Guise.

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les deux adversaires se rendirent à la tranchée; et le lieu qui devait le plus leur rappeler que leur sang appartenait à la patrie, fut leur champ de bataille. Le prince de Lixen fut tué. Le maréchal d'Asfeld n'osa punir Richelieu; mais celui-ci crut devoir redoubler d'ardeur, et eut le bonheur d'être blessé sur la tranchée qu'il avait teinte du sang de son compagnon. Un grand nombre d'officiers généraux, parmi lesquels on citait le duc de Duras, le marquis d'Hudicourt, le comte de Chaumont, furent également blessés à ce siége. Le marquis de Silly, le chevalier de Sanglé, la Boulaye, Puyguyon, furent tués. Le prince de Conti et le comte Prise de Phi. de Clermont s'y étaient distingués. Enfin, lipsbourg. après quarante-huit jours de tranchée ou18 juillet. verte, la place capitula. C'était en présence du prince Eugène que les Français avaient fait cette conquête.

1734.

Malheureusement ils bornèrent à la prise d'une forteresse la gloire et les travaux de cette campagne. Sortis de leurs retranchemens, ils n'osèrent à leur tour attaquer le prince Eugène enfermé dans les siens. Les maréchaux d'Asfeld et de Noailles se divisèrent. Le cabinet de Versailles perdit beaucoup de temps à vouloir les concilier. Il n'y

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