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trent comme lui à la veille d'un grand déchirement social e. religieux. Placés entre le schisme et la réforme, ils empruntent à ces deux époques l'humeur inquiète et l'instinct de liberté niveleuse, qui appartiennent aux temps de révolution. Fils et serviteurs de l'Église, ils ne lui épargnent pas non plus les vérités. Sous leur robe de prédicateurs, peu soucieux de la hiérarchie, défenseurs du bas clergé comme du menu peuple, c'est aux évêques d'abord qu'ils s'attaquent. Avec Gerson, avec Clémangis, ils proclament que le mal vient d'en haut1. « Mille prélats sont cause que le poure peuple pèche et se damne. » Grands seigneurs mondains, buveurs, chasseurs et galants, ces indignes pasteurs d'un troupeau affamé dépensent en cadeaux pour les dames, en achat de meutes et de faucons, le bien des pauvres. Ils donnent les bénéfices à leurs créatures: un enfant de dix ans reçoit en partage une paroisse de cinq cents feux. Calvin se trouva ainsi pourvu, dès l'âge de onze ans, et fit payer chèrement à l'Église une faveur si mal placée. L'évêque n'a pas plustôt reçu la leçon sans mot dire, que l'orateur, se tournant vers le banc des curés et des abbés à gros revenus, leur jette à la face ces mots foudroyants 2:

<< Messieurs les curés et les chanoines, yous qui avez cinq ou six clochers (c'est-à-dire abbayes ou bénéfices) sur vos testes, pensez-vous qu'on vous donne ces bénéfices pour entretenir tant de cuisines? Je l'ai dict, et je le dirai encore, tout ce que l'homme d'Église retient au delà de la nécessité et des convenances, ce sont des vols faicts à Dieu et aux poures, et leur gourmandise crie vengeance. »

Puis vient le tour des moines querelleurs, plaideurs, ergoteurs, qui remplissent de leurs procès et de leur présence la grande salle du palais : «< Maistre moine, que fais-tu ici? Je plaide une abbaye de huit cents livres de rente pour mon maistre. Et toy, moine blanc ? Je plaide une petite prioré pour moy. Et vous, mendians, qui n'avez terre ni sillon, que battez-vous ici le pavé? » Tous ont d'excellentes raisons, ceux1. Apologie pour Hérodote, ch. vii.

2. Ibid.

ci contre l'abbé voisin, ceux-là contre les officiers du roi. Aux plaideurs succèdent les marchands d'indulgences, qui vont à travers les villes et les villages, soutirant l'argent des veuves; les prédicateurs qui font métier de leur talent et vendent au plus offrant la parole de Dieu1: « Estes-vous ici, messieurs les prescheurs du quaresme, qui ne preschez que pour l'espérance de faire grande questé, et ayant reçeu force argent dites le jour de Pasques que vous avez faict un bon quaresme? » C'était sans doute à la fin d'un de ces carêmes peu lucratifs, qu'un prêcheur du temps s'écriait : « Je suis venu ici flegmatique et j'en sortirai sanguin (sans gain). » Détestable calembour qui n'étonnait personne. Ménot et Maillard en ont fait d'aussi mauvais. En cela, il sont restés bien au-dessous des sermonnaires italiens 2, et surtout du fameux Barlette. La marotte d'une main et le crucifix de l'autre, Barlette offre le double spectacle d'un prédicateur et d'un bouffon. Grâce à lui, l'alliance du sermon et de la farce devint complète; la chaire comme le théâtre put se flatter d'avoir son arlequin.

Ces fugitifs monuments de la satire en prose au xve siècle n'ont, à coup sûr, ni l'intérêt ni la portée des grands poëmes de Renart et du Roman de la Rose. Pour trouver une œuvre qui les égale, les surpasse même, il faut aller jusqu'à Rabelais, c'est-à-dire jusqu'à la naissance des temps modernes. C'est à Rabelais, en effet, qu'aboutit directement le grand courant satirique et comique, qui traverse le moyen àge. En lui se résument les hardiesses des trois siècles précédents. Sorte de Janus à double face, il regarde à la fois le passé et l'avenir, héritant de l'un, annonçant l'autre. C'est par son intermédiaire que la vieille malice gauloise arrive à Molière, à La Fontaine et à Voltaire. Les formes bizarres de son poëme rappellent souvent les caprices de

1. Apologie pour Hérodote, ch. VIII.

2. Boccace, pour excuser la liberté de ses contes, s'autorisait de l'exemple des prédicateurs: Considerant, dit-il, que les sermons faits par les prédicateurs sont le pus souvent pleins de gausseries, de railleries et de brocards, j'ai cru que les mèmes choses ne seraient point malséantes dans mes contes, que j'ai écrits pour chasser la mélancolie des dames. »

l'architecture gothique. Ces mots qui grouillent, éclatent, ricanent, grimacent, nous font l'effet de ces figures grotesques attachées aux porches et aux gargouilles des cathédrales. Il y a dans ces gros accès de gaieté bruyante comme un écho des vieilles farces populaires, des fêtes de l'Ane, des Fous et des Innocents. En même temps apparaissent déjà les caractères de l'esprit moderne plus de netteté et de décision dans l'attaque; une hardiesse qui ne s'arrête point à la surface, qui va jusqu'au fond des choses, qui ne s'adresse pas seulement aux personnes et aux abus, mais aux croyances. Malgré la légèreté, la bonhomie et parfois la trivialité de la forme, la satire devient plus philosophique et par suite plus menaçante: on reconnaît le siècle de Luther et de Calvin.

CHAPITRE XX

THÉATRE

Pantomimes, Jeux-Partis.

Origines du théâtre comique.

Le

dit de Salomon et de Marcol. Le Jeu de la Feuillée. Le Fol. La Comédie larmoyante.

Le satire avait trouvé un puissant organe dans la chanson, le fabliau, le roman, et même le sermon. Le théâtre devait offrir encore une plus libre carrière à ses hardiesses et à ses jovialités. Là elles pouvaient se traduire non plus seulement par la parole, mais par le geste, le costume et toutes les ressources de la mise en scène. Force redoutable chez un peuple amoureux de spectacles, moqueur, spirituel, pour qui le rire fut durant des siècles la seule consolation et la seule vengeance des abus. Toutefois la poésie dramatique, qui devait être un jour la partie la plus brillante de notre littérature, est la dernière à se perfectionner. A cela, du reste, rien d'étonnant: le drame est de tous les genres celui qui demande le plus d'expérience, d'étude et de combinaisons.

Après la question fameuse des sources du Nil, il n'en est peut-être pas de plus obscure ni de plus souvent discutée que celle des origines du théâtre. Un critique moderne, M. Magnin, armé de sa profonde et ingénieuse érudition, a soutenu que les jeux scéniques n'avaient jamais complétement disparu en Occident: il les a montrés se réfugiant dans les monastères, quand le monde semblait les abandon

1. Voy. le Ier vol. des Origines du théâtre moderne, première pierre d'un édifice malheureusement inachevé.

ner, revivant au sein même de l'Église, dans les processions, les représentations graves ou comiques des fêtes de Noël, de la Pentecôte, des Fous et des Innocents. Mais, au milieu de cet état d'anarchie et de stérilité qui suivit les premiers siècles de l'invasion, on ne peut dire qu'il existe réellement un théâtre, à moins de donner ce nom à quelques pantomimes grossières, restes dégénérés de l'antiquité païenne, ou à quelques laborieuses imitations de Plaute et de Térence. La naissance du drame moderne est évidemment postérieure aux croisades. Les récits des pèlerins qui revenaient de la Palestine, l'exposition de la vie des saints et des martyrs, les représentations solennelles des principales scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, entremêlées de gestes, de cantiques et de dialogues, formèrent spontanément la matière du drame religieux. Sans doute ces jeux avaient lieu déjà antérieurement dans l'enceinte des cloîtres et des églises; mais cette forme primitive du drame hiératique ou sacerdotal, comme on l'a nommé, ne constitue pas plus que les comédies latines de la religieuse Hroswitha un théâtre vraiment populaire. Son berceau est sur la place publique, dans les carrefours, en attendant qu'il aille s'établir solennellement à l'hôpital de la Trinité et dans la grande salle du Palais.

Dès l'origine, le théâtre, comme tous les autres genres littéraires, se divise en deux branches principales. En face du drame religieux naquit la farce populaire, produit de la malice comme le mystère l'était de l'enthousiasme, issue du fabliau et du conte comme le mystère sortait luimême de la légende édifiante et de l'épopée sacrée. On a souvent reproché à la France de n'avoir point de théâtre national, d'être allée emprunter ses Géronte et ses Arnolphe, comme ses OEdipe et ses Oreste, aux Grecs et aux Romains. Ce théâtre, elle l'a possédé durant des siècles. Elle a eu en même temps la tragédie sacrée d'Eschyle et la comédie ancienne d'Aristophane, avec ses licences démocratiques, ses hardies personnalités, ses masques et ses écriteaux. Mais soit malheur des temps, soit faiblesse des hommes, il n'est rien

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