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le parvis Notre-Dame et les degrés de la Sainte-Chapelle 1. » Ce qui le distingue à toutes les époques, c'est une méfiance naturelle contre le pouvoir, un penchant décidé à contrôler ses actes, un certain amour égoïste du bien-être, une passion vétilleuse d'ordre et d'économie, un besoin inné d'adminis trer par soi-même ses propres affaires, en un mot, les vertus de ménage. Le gouvernement à bon marché, voilà son rêve : ce sera la première réclamation des états généraux sous Jean le Bon, le cri de la France, la thèse de l'opposition et la promesse de tous les pouvoirs pendant des siècles.

Dès lors la société se trouve divisée en deux camps, les défenseurs et les ennemis du passé. Dans cette lutte, la poésie populaire se range du côté des novateurs. Elle défend, avec les universités, la liberté d'examen contre l'autorité absolue de la foi; avec la royauté, l'indépendance du pouvoir temporel contre le saint-siége; avec la bourgeoisie naissante, les franchises communales contre les seigneurs :

Pour che qu'ils gardassent de fraindre

Les droits de la communauté,

Pour le profit d'umanité.

(Beauduin de Condé.)

Puissance nouvelle, il faut qu'elle se crée une place à côté de la vieille littérature latine, qui occupe toutes les positions, qui est seule dotée, honorée, privilégiée, comme le clergé dont elle est la propriété. Contre des adversaires bardés de fer et de théologie, elle emploiera tout ce qu'elle a de verve indépendante et moqueuse : elle se lancera étourdiment aux avantpostes, risquera en plaisantant les hardiesses qui sont déjà discutées tout bas dans les écoles, et qui le seront plus tard dans les assemblées populaires. La foule applaudit, la royauté encourage secrètement cette guerre, dont elle recueille les profits Jean de Meung, l'un des auteurs du roman de la Rose, est l'allié le plus actif de Philippe le Bel contre Boniface et les Templiers.

:

1. Michelet, Histoire de France, t. II.

2. Rompre violer: frangere; d'où le composé enfreindre.

Cette intervention de la littérature, mise au service de la politique, avait été déjà tentée autrefois par ceux-là même qui en devenaient alors victimes. Les chants carlovingieus, composés sous l'influence de Charlemagne ou de son nom, n'étaient qu'une glorification des idées impériales au détriment de la féodalité. Le traître alors, c'est Ganelon, le seigneur qui manque à son serment envers la famille du César. Plus tard, les rôles changent; quand l'empire croule, les seigneurs appellent à leur aide les chants de geste pour tourner en ridicule les traditions carlovingiennes : le poëme des Loherains est une longue satire dirigée contre l'Empereur et ses descendants. Les malices de ces barons rebelles et hautains s'adressent aussi aux vilains. La féodalité se défend d'un double danger qui la menace par en haut et par en bas; de la suprématie impériale qui essaye de peser sur elle, et des hommes de condition inférieure qui cherchent à se glisser dans les rangs de la noblesse pour jouir de ses priviléges. L'histoire de Rigaut fils et du vilain Hervis est une parodie d'un Manant gentilhomme de l'époque.

Cette alliance de la poésie populaire et de la féodalité ne pouvait longtemps durer, surtout après le triomphe. La satire n'a d'effet qu'à la condition d'être l'arme des opprimés ou des mécontents. Béranger l'a dit :

Il faut bien que l'esprit venge
L'honnête homme qui n'a rien.

Quand on a tout le reste, il faut se résigner souvent à ne point avoir ce dernier allié. L'esprit est de sa nature insoumis et capricieux; la force, comme la richesse, impérieuse et exigeante de là des agressions et des représailles.

Toute conquête de la liberté est alors désignée par le nom de franchise. Les Francs-Bourgeois, les Francs-Maçons et les Francs-Chanteurs sont enfants de la même époque : c'est par ces derniers que nous commencerons.

CHAPITRE III

LA CHANSON. XII ET XIII SIÈCLES.

Troubadours et Trouvères. Les Croisades. - Les Albigeois. - Guillaume Figuéras.

La chanson des Albigeois.

Troubadours et Trouvères.

On a dit depuis longtemps que tout finit en France par des chansons on aurait pu dire que tout commence aussi par là, révolutions et littérature. C'est en quelque sorte le premier bégayement de notre langue ; elle naft en chantant, comme Gargantua en criant: «< A boire ! »

Jusqu'à la fin du xie siècle, la musique est restée avec les autres arts enfermée dans l'Église et les monastères. Elle en sort et se répand à travers le monde sur la vielle des ménestrels et des jongleurs. Les airs sacrés, les hymnes en l'honneur de la Vierge, les noëls que le peuple chantait en chœur les jours de fête solennelle, servirent de motifs aux premières complaintes profanes. La trace de ces imitations est facile à saisir dans la plupart des manuscrits anciens, où l'air est indiqué par quelques notes de plain-chant suivies ou précédées de ces mots: Alleluia; Ave Maria, etc. Une fois émancipée, la chanson s'envole de tous côtés, folle, joyeuse et babillarde, brisant, variant son rhythme à l'infini, heureuse de traverser l'air libre, comme l'alouette au matin :

Hé! aloëte
Joliete...

C'est elle, l'aimable vagabonde, qui lancera les premiers

sourires et les premiers traits de l'esprit français. Tour à tour moqueuse, tendre, grave ou plaintive, changeante et multiple comme la fantaisie et l'à-propos, dont elle est la fille, elle effleurera de son aile légère tous les accidents de la vie publique et privée ; elle égayera les jours de fête, elle consolera le peuple de ses misères et de ses humiliations. Même au milieu des splendeurs du xvIIe siècle, en face de cette littérature majestueuse et solennelle, entre les oraisons funèbres de Bossuet et les chefs-d'œuvre dramatiques de Corneille et de Racine, elle inspirera, en son honneur, au grave Boileau, les vers les plus gracieux, les plus français, les plus chantants qu'il ait écrits:

Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,

Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant.

Ainsi vole la chanson, riant des barons attardés sur la route de Jérusalem, puis des Anglais, puis des Ligueurs, puis de la Fronde; sonnant d'une main légère et insouciante les funérailles de la monarchie à la veille de 89. Plus tard, ardente, échevelée, c'est elle encore qui mettra sur pied, au cri de la Marseillaise, douze armées de volontaires contre les rois coalisés. Ne refusons donc pas une page de souvenir à cette mère de notre poésie, qui a charmé, égayé, vengé nos pères, et qui nous a donné Béranger.

L'amour fut sa première inspiration. N'est-ce pas, en effet, la passion vague et mélodieuse par excellence? Un des plus fameux troubadours, Pierre Vidal, lui rapportait toute sa gloire: «Oh! si mes chants, si mes actions m'ont acquis quelque renommée, je dois en rapporter l'hommage à mon amante.... Mes ouvrages ne paraissent agréables que parce qu'il se réfléchit en moi quelque chose des agréments de la dame de mes pensées 1. » Les deux plus grands génies du XII siècle, Abélard et saint Bernard, lui avaient consacré les premiers jeux de leur imagination. Béranger s'en souvint 1. Raynouard, t III, p. 309.

quand il défendit le philosophe contre le saint: « Et toi aussi, s'écriait-il, n'as-tu pas composé des airs profanes et des chansons folâtres 1?» Partout, sur les places publiques, dans les châteaux, à la table des grands et des bourgeois, retentit l'amoureuse complainte. On dirait une bande d'oiseaux lascifs qui gazouillent sous chaque feuille aux premiers rayons du printemps:

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Par un singulier privilége, cette langue à peine formée a trouvé déjà des rhythmes, des tours d'une grâce exquise, pour exprimer toutes les nuances et les caprices de la passion. Tantôt elle éclate en un vif et gai refrain :

J'ai amiete

Sadete

Blondete

Telz com je voloie.

(La Chatelaine de Saint-Gilles.)

Tantôt c'est l'élégie plaintive d'un amant qui dit adieu à sa maîtresse :

Dame en qui est et ma mort et ma vie,
Dolent me part de vous plus que ne di.

1. Cantilenas mimicas et urbanos modulos. »

2.

A l'entrée du beau temps

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Eya!

(Chanson ecrite en dialecte poitevin et publiée pour la première fois par

M. Le Roux de Lincy.)

3. Me convient.

4. Gracieuse,

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