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me remédia point du tout à cet inconvénient. La proportion nouvelle ne fut en France que de 1 à 11, parce que Sully, en hauffant la valeur de l'or, avoit en même temps hauffé les monnoies d'argent. Ainfi le défordre refta le même; & en 1609 on s'apperçut qu'il étoit encore devenu plus grand, parce que les autres Etats avoient encore hauffé leur proportion.

Pag. 37 (31) Sully s'étoit convaincu par l'étude de l'hiftoire & par les réflexions, que l'agriculture eft la bafe des Etats & la fource des revenus publics. Il n'eft donc pas étonnant qu'il ait regardé la taille arbitraire comme un fléau de l'Etat, & qu'il ait défiré changer entièrement la forme de cette impofition. Il favoit que la terre étant la fource des revenus, doit être auffi la fource des impôts, mais qu'ils doivent porter fur le produit, & non fur le travail. Or le produit total des terres fe divife en deux parties. L'une eft la rentrée des avances, qui ont été faites pour l'exploitation ; cette partie doit être facrée pour le fifc, puifque c'eft cet argent même qui eft la fource de la fécondité. L'autre portion eft bénéfice; c'est elle qui conftitue le revenu: c'eft fur elle feule que l'impôt doit être levé. Dans tout pays où le cultivateur ne retrouvera point du bénéfice en fus de fes avances, & de la fomme dont il doit payer la protection du Souverain, il faudra néceffairement qu'il s'intéreffe moins à la culture, que par conféquent cette culture diminue, & avec elle, les revenus de l'Etat. Mais que feroit-ce fi bien loin de retirer aucun bénéfice de fon travail, l'impôt lui enlevoit une partie même de la fomme destinée à l'exploitation de fa terre? Alors il ne faudroit point s'étonner, que la feffion la plus malheureufe de toutes fût prefque abandonnée, qu'une partie des terres reftât en friche, & que tout l'ordre œconomique fe trouvât dérangé par la fuppreffion des revenus réels de l'Etat. Ce qu'il y auroit de plus effrayant, c'eft que le défordre iroit toujours en augmentant, parce que l'impôt dirigé toujours fur le même plan, minueroit d'année en année la fomme destinée pour la culture des terres. On a écrit beaucoup de livres far cette matière; on en écrira encore beaucoup. Mais ce ne font pas les lumières qui nous manquent. Il faut détruire les paffions, qui font un obftacle prefqu'invincible à tout le bien qu'on peut faire. D'ailleurs un des grands malheurs de l'humanité, eft d'être entraîné par l'habitude. Il est bien difficile de regarder comme un mal, ce qu'on a vu de tout temps. Que de chofes excellentes on ne fait point, parce qu'on ne les à jamais faites!

pro

di

Pag. 38. (32) Sully en plufieurs endroits de fes mémoires se récrie contre la Gabelle. Il trouvoit une dureté extrême à vendre fort cher à des pauvres une denrée très-commune. Perfonne n'ignore que certaines Provinces font affujetties à l'impôt fur le fel, tandis que d'autres en font exemptes. On détermine la quantité que chacun doir prendre. On prefcrit l'ufage qu'on en doit faire. Il eft défendu de revendre ce que l'on a au-delà de fes befoins. Les troupeaux, qui ne

peuvent être préservés de plufieurs maladies que par le fel, languiffent & meurent, parce que le payfan ne peut pas leur donner ce fecours. On va même jusqu'à interdire à ces animaux mourans les bords de la mer, où l'inftinct de leur confervation les conduit. Le commerce de la pêche eft confidérablement diminué par les formalités odieufes qui genent la falaifon. L'Agriculture perd une quantité prodigieufe de bras, qui font occupés au faux-faunage. Ces hommes, qui ne font que des brigands, auroient pu être des citoyens. Ajoutez à cela des armées de Commis, dont l'unique fonction eft de faire la guerre aux fujets du Roi, qui gardent les bords des fleuves, des rivieres & jufqu'aux bords de la mer, comme dans un pays ennemi, qui fouvent foutiennent & livrent des batailles, ou ceux qui tuent deviennent meurtriers de leurs concitoyens, & où ceux qui font tués font des sujets 'perdus pour l'Etat. Ajoutez les emprifonnemens, les faifies, les ventes, la diminution du commerce & du travail: ajoutez les frais de régie qui font énormes; car chaque million pour le Roi en coûte un autre au peuple, foit en frais, foit en non-valeurs. On ne cherche point ici le trifte & vain plaifir de cenfurer ce qui eft établi : mais dans un ouvrage qui eft confacré tout entier à l'utilité publique, il doit être permis de remarquer les défauts d'uneimpofition que Sully, Richelieu, Colbert, & tous nos plus habiles Miniftres ont également condamnée. Si elle a fubfifté jusqu'a présent, c'eft fans doute parce qu'il eft bien plus facile de voir les abus que de les réformer. Dans tout changement politique, lors même que l'avantage eft le plus affuré, les obftacles font toujours immenfes. Il n'y a que le mal qui fe faffe aifément.

Pag. 39. (33) Ce n'eft pas affez d'examiner la nature des impôts en eux-mêmes & par rapport à la culture des terres, il faut encore les comparer les uns aux autres. Il eft des impôts qui fe nuifent: il est des befoins qu'on ne peut fatisfaire qu'au dépens d'autres befoins. Que diroit-on d'un homme qui, en conftruifant une machine, multiplieroit les roues fans choix, & ne prendroit point garde que le mouvement des unes doit néceffairement rallentir l'action des autres ? C'est cependant ce qu'ont fait plufieurs prétendus Politiques. La jufte répartition des impôts eft encore un des grands objets de l'homme d'Etat. Pour y parvenir, il faut connoître la valeur respective des Provinces, connoiffance qui dépend du rapport des productions, des manufactures, du commerce, de la population, des dépenfes que l'Etat y fait. Il faut que les non-valeurs entrent toujours dans les calculs; que la quotité de l'impôt foit toujours déterminée par la maffe des revenus, & que l'une foit le thermomètre fidèle de l'autre ; que les Provinces ne payent pas au Souverain plus qu'elles n'en reçoivent, que la circulation aille toujours du centre à la circonférence, comme de la circonférence au centre; que chaque efpèce de biens foit impofée felon fa qualité que l'impofition dans les Villes foit plus forte que dans les Cam

pagnes, & que le pauvre qui, dans la conftitution fociale, eft déja écrafé par l'infolence & l'orgueil du riche, n'ait point encore un nouveau motif trop légitime de maudire la Patrie, & de détefter le nom de Citoyen. Une chofe fur-tout qui eft très-difficile à déterminer, c'eft la proportion de l'impôt avec le produit des terres. Car les rapports qui paroiffent proportionnels ne le font point du tout. Par exemple, un douzième levé fur un petit produit, & un douzième levé sur un grand, ne font pas, à beaucoup près, dans la même proportion pour les Contribuables: le premier eft une charge bien plus pefante que le fecond. Tous ces détails demandent des vues fupérieures, un efprit exercé, & fur-tout le calcul de la probité. A l'égard de la régie, la meilleure feroit fans doute celle où tout ce qui eft impofé fur le Peuple, feroit au profit de l'Etat. Mais il faut fe fouvenir que les impôts font régis par des hommes. Souhaitons du moins qu'on diminue, le plus qu'il eft poffible, le nombre des mains qui manient l'argent des Sujets pour le faire paffer au Prince.

Ibid. (34) Une des maximes de Sully étoit que le labour & le pâturage étoient les deux mammelles d'un Etat. Telle fut la base de fon fyfteme, & le principe de fes opérations. Il fit un grand nombre de réglemens utiles pour encourager l'Agriculture; mais tous avoient pour but de procurer de l'aifance au Cultivateur. En effet c'eft-là le principal reffort. Il feroit bien digne d'un fiécle auffi éclairé que le nôtre, de tirer enfin cette claffe d'hommes fi utile, de l'état vil & malheureux où elle a été jufqu'à préfent. L'ancienne Grèce de fes premiers Cultivateurs fit des Dieux. Il feroit à fouhaiter que parmi nous on les traitât feulement à peu-près comme des hommes. Quoi! faut-il être à la fois néceffaire & avili ? Ce feroit aux Grands à donner l'exemple; car ils peuvent donner l'exemple en tout, fur-tout dans une Monarchie. Une vérité effrayante pour eux, c'eft qu'ils ne peuvent fubfifter fans le Laboureur, au lieu que le Laboureur peut fubfifter fans eux. C'est une coutume affez générale par tout de placer des Bataillons fur le paffage des Rois. Un Roi d'Angleterre, en traverfant fon pays, vit un autre fpectale : c'étoit deux cents charrues que les Habitans d'une Campagne vinrent ranger fur fon paffage. Ce trait eft d'une éloquence fublime, pour qui fait l'entendre. Il s'en faut bien que dans notre Europe, avec toutes nos Sciences & notre orgueil, nous ayons pouffé la véritable Science du Gouvernement autfi loin que les Chinois. On fait que leur Empereur, pour donner aux Citoyens l'exemple du refpect qu'on doit au labourage, tous les ans, dans une fête folemnelle, manie la charrue en préfence de fon Peuple. Nulle part l'Agriculture n'eft auffi honorée. Il y a même des places de Mandarins pour les Payfans qui réuffiffent le mieux dans leur Art." Par tout les hommes font les mêmes. On les ménera toujours par les diftinctions & les récompenfes. Mais avant qu'un Payfan fache ce ques c'eft que l'honneur, il faut qu'il fache ce que c'eft que l'aifance. Un

œur flétri par la pauvreté, n'a d'autres fentimens que celui de fa

mifère.

Pag. 40. (35) La liberté des grains étoit liée néceffairement au fyfttême de Sully. Auffi la foutint-il dans toutes les occafions avec la plus grande vigueur. En 1607, un Juge de Saumur fut menacé de punition exemplaire, pour avoir défendu la fortie des bleds hors du Royaume. Tout femble nous inviter aujourd'hui à revenir à des idées fi fages. S'il faut une autorité, nous avons celle de Sully. S'il faut des raifons, nous avons plufieurs excellens Livres où l'utilité de ce fyftême est démontrée. Tout le monde d'ailleurs eft en état de voir par lui-même que la concurrence de l'Etranger, entretenant un profit certain fur le prix de nos bleds, & prévenant leur non-valeur, doit augmenter les revenus, exciter au travail, encourager la culture, & par conféquent accroître la population. S'il faut des exemples, nous avons celui de l'Angleterre & notre propre expérience. Sully, devenu Miniftre, rétablit par ce moyen l'Agriculture qui étoit entièrement dépérie par les guerres civiles. La France devint le grenier de l'Europe. Elle jouit de cet avantage fous les règnes de Henri IV, de Louis XIII, & dans les premiers temps du règne de Louis XIV. L'abondance & le bon prix du blé entretenoient les richesses de la Nation. Car le prix commun du blé en France étoit fouvent vingt-cinq livres & plus de notre monnoie, ce qui formoit annuellement une richeffe dans le Royaume de plus de trois milliars, c'est-à-dire environ 1200 millions de ces temps-là. Cette richeffe eft diminuée aujourd'hui de cinq fixièmes. En 1661, Colbert voulant favorifer les Manufactures, fit défendre l'exportation des grains, pour que la fubfiftance des Ouvriers étant à bas prix, la fabrication & la main d'œuvre fe trouvaffent moins chères que chez l'étranger. On ne tarda point à fentir les effets de ce changement. Le prix des grains dans les années communes fut à 7, 8, 9 & 10 livres. Bientôt la culture diminua. Dans les mauvaises terres, la valeur des productions n'équivaloit plus à la dépenfe. On prit donc le parti de les abandonner. Peu à pcu les campagnes ont dépéri; & la France qui produifoit autrefois 70 millions de feptiers de bled, aujourd'hui en produit à peine 40. D'un autre côté, l'Angleterre avant qu'elle eût permis chez elle l'exportation des grains, étoit fouvent obligée d'acheter des bleds étrangers, parce qu'elle n'en recueilloit point affez pour fes propres befoins. Mais elle adopta nos principes à peu près dans le temps que nous y renonçâmes. En 1689 on propofa des récompenfes à tous ceux qui vendroient des bleds aux étrangers. En peu de temps l'agriculture fit des progrès rapides. Aujourd'hui une bonne récolte peut nourrir l'Angleterre pendant plusieurs années; & elle eft en état de vendre des bleds à toutes les autres Nations. C'eft peut-être là l'époque de fa grandeur. Il a été prouvé dans les derniers temps, que l'exportation des grains lui avoit valu en quatre années 170 millions, 330 mille livres de France. La

feule objection raifonnable contre ce fyftême, eft la crainte des difettes dans les mauvaises années. Mais il eft prouvé que les difettes font infiniment plus rares dans les Pays où la liberté des grains foutient l'agriculture- En 1709 le feptier de bled valoit en France 100 liv. de notre monnoie. Il ne valoit en Angleterre que 43 liv. ou environ, c'est-à-dire le double du prix ordinaire de ces temps-là. Dans la difette de 1693 & 1694 le bled coûtoit moitié moins en Angleterre qu'en France, quoique l'exportation ne fût établie en Angleterre que depuis trois ou quatre ans. Voilà des faits auxquels il eft difficile de répondre. Ils ne font ni fuppofés ni exagérés. Une partie de la Nation a étudié & approfondi ces matières. Il ne nous refte plus qu'à profiter de nos connoiffances. Il y a des préjugés utiles qu'il faut conferver dans un Etat. Mais il en eft d'autres qui en font la ruine. On ne s'occupe aujourd'hui parmi nous que d'agriculture. On ne parle que d'encourager les Laboureurs, que de défricher des terres : mais tant que nos Ports feront fermés, gardons-nous bien d'étendre notre culture. Qu'avons-nous befoin de moiffons? qu'avons-nous besoin de nouvelles terres? Nos récoltes plus abondantes ne feroient qu'anéantir parmi nous la valeur du bled. Les avances ne feroient plus rembourfées par les produits; & les terres deviendroient un fonds stérile pour les Propriétaires & pour le Souverain.

Page 41. (36) Sully dans le cours de fon administration fit plufieurs chofes utiles pour le commerce. Il s'oppofa fur-tout avec beaucoup de vigueur à une foule d'Edits burfaux portans création de mille petits droits fur différentes parties du commerce. Ces Edits n'étoient pas pour le Roi; c'étoit des gratifications qu'il accordoit à fes Courtifans, & qu'on lui arrachoit par importunité. Il envoya un jour à Sully jusqu'à 25 Edits pareils. Sully n'en approuva aucun, & fortit pour aller lui faire des remontrances. Il rencontra à la porte la Marquife de Verneuil, qui lui fit des reproches de ce qu'il s'oppofoit ainfi à la bonne volonté du Roi. Tout ce que vous dites, Madame, lui dit Sully, feroit bon, fi Sa Majefté prenoit l'argent dans fa bourfe. Mais lever cela de nouveau fur les Marchands, Artifans, Laboureurs & Pafteurs, il n'y a aucune apparence. Ce font eux qui nourriffent le Roi & nous tous. Ils ont bien affez d'un maître, fans avoir encore tant de gens à entretenir. Ces paroles remarquables peignent en même temps & le caractère & la politique de Sully. En 1603 le Comte de Soiffons, Prince du Sang, obtint la permiffion de lever un droit de quinze fols par ballot de toile qui fortiroit du Royaume. Il avoit eu l'art de perfuader au Roi que c'étoit tout au plus un objet de 30 mille livres par an. Sully, en calculant, trouva que cet impôt annuel n'étoit guères moindre que de 300 mille écus, & il empêcha l'exécution de l'Edit. Le Comte de Soiffons irrité voulut faire périr le Surintendant; & Sully dans cette occafion eut la gloire d'avoir expofé fa vie pour le Peuple, comme il l'avoit expofée pour le Roi,

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