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CHAPITRE CCLIII.

Comment le seigneur d'Offemont entra dedans Saint-Riquier; l'aventure du seigneur de Cohen, capitaine d'Abbeville, et autres besognes faites en ce temps.

EN après, durant le voyage que fit le duc de Bourgogue devers le roi d'Angleterre, comme vous avez ouï, assemblèrent le seigneur d'Offemont et Pothon de Sainte-Treille, environ douze cents chevaux, atout lesquels, par Vimeu, allèrent passer la rivière de Somme à la Blanche-Tache ; et de là avec messire Jacques de Harcourt, qui vint au-devant d'eux, allèrent à Saint-Riquier. Auquel lieu, par le moyen dudit messire Jacques de Harcourt, leur fut faite ouverture, et se logèrent tous dedans ladite ville; et avec ce traitèrent avec Nicaise de Boufflers, qui étoit dedans la forteresse de la Ferté, par condition qu'elle leur fût rendue et délivrée; et pareillement obtinrent l'entrée du châtel de Durgy appartenant à l'abbé de Saint-Riquier; et après qu'ils furent logés, comme dit est, commencèrent à courre et envahir tout le pays à l'environ. Et même allèrent sur l'eau de Cauche en un grand village nommé Conchy, auquel lieu ils embrasèrent et mirent en feu de fond en comble une très belle église, dedans laquelle s'étoient retraits avec au

cuns de leurs biens, les habitants d'icelle ville, lesquels furent tous, ou en la plus grand' partie, emmenés prisonniers comme chetifs, audit lieu de SaintRiquier. Et d'autre côté fut rendue à Pothon de Sainte-Treille, la forteresse de Douvrier, assise et située en très fort lieu, sur la rivière d'Authie. Pour laquelle prise, la ville de Montreuil, et les marches à l'environ furent moult troublées.

En outre, le duc de Bourgogne retourné jusques en une ville nommée Croissy, atout son armée, lui vinrent certaines nouvelles comment ledit seigneur d'Offemont et Pothon de Sainte-Treille étoient dedans Saint-Riquier, et ce qu'ils avoient; sur quoi assembla son conseil, et délibéra avec icelui que sans délai manderoit gens d'armes de toutes parts en ses pays, et aussi arbalêtriers ès bonnes villes du roi et ès siennes, afin que de bref ensuivant allât assiéger ladite ville de Saint-Riquier. Et sur cette intention s'en alla à Amiens, où il fit requête d'avoir aide de gens d'armes, laquelle lui fut accordée. Et d'autre part envoya plusieurs de ses gens atout ses lettres et mandements, par diverses bonnes villes, faire pareille requête; lesquelles bonnes villes, toutes ou en la plus grand' partie, promirent libéralement de le servir. En après, ledit duc, partant d'Amiens, alla par Dourlans loger à Auxi, sur la rivière d'Authie, à trois lieues de Saint-Riquier; auquel lieu retourna devers lui messire Jean de Luxembourg, qui par avant, atout certain nombre de combattants, étoit allé à Dom

mart, en Ponthieu et devers ladite ville de SaintRiquier, pour enquerre et savoir la puissance et état des Dauphinois. Si séjourna par trois jours le duc en icelle ville d'Auxi, attendant ses gens, qui là de plusieurs lieux venoient à lui.

Et entretemps que les besognes dessusdites se faisoient, le seigneur de Cohen, qui étoit capitaine d'Abbeville, un certain jour, ainsi qu'il alloit visiter son guet après souper, tout à cheval lui sixième ou environ, ayant devant lui aucuns de ses gens portant torches ou fallots, fut assailli soudainement de trois ou quatre compagnons, qui là, de fait appensé, l'attendoient, et vigoureusement, en disant aucunes paroles, sur lui frappèrent, et le navrèrent très fort au visage. Et aussi firent un avocat en la tête, qui étoit avecque lui monté sur un très bon cheval, et avoit à nom maître Jean de Queux, qui du coup dessusdit fut si fort étourdi, qu'il férit son cheval des éperons. Et par grand desroy le porta ledit cheval parmi une grosse chaîne de fer tendue au travers d'une rue, tenant à une étache au milieu de ladite rue, comme audit cas est accoutumé ; laquelle étache, de la grand' puissance dudit cheval, fut arrachée hors de terre; et adonc ledit maître Jean chut, et fut derechef tout dérompu ; par quoi bref ensuivant il mourut. Et le dessusdit seigneur de Cohen, comme dit est, tout navré, avec aucuns de ses gens, fut remené en son hôtel, et ne sut pour lors dont ce lui étoit venu. Toutefois les dessusdits facteurs étoient d'Abbeville, et se partirent

secrètement, par le moyen de leurs amis, et allèrentau Crotoy, devers messire Jacques de Harcourt, et lui racontèrent cette aventure; lequel, de ce très joyeux, les retint avec lui. Enfin, après aucuns ans passés, furent pris, et pour ce méfait et autres furent exécutés.

CHAPITRE CCLIV.

Comment le duc Philippe de Bourgogne alla devant le pont SaintRemy, et le conquit.

Il est vérité que le duc de Bourgogne, partant de la ville d'Auxi, atout son exercite, alla loger en un gros village nommé Vivreux, à une lieue de Saint-Riquier. Et le lendemain, passant icelui duc devant icelle ville de Saint-Riquier, s'en alla loger au Pont-de-Remy, où étoient les Dauphinois; et fut la nuit de la fête de Marie-Madeleine. Si se logèrent aucuns de ses gens devant le pont, dedans grandes maisons qui là étoient situées; mais bref après les Dauphinois qui étoient dedans l'île et châtel du Pont-de-Remy, trahirent le feu par fusées dedans lesdites maisons, lesquelles tantôt de l'une à l'autre furent toutes embrasées, pourquoi il fallut que les gens dudit duc se retrahissent et logeassent plus en arrière. Et le second jour ensui

vant, les arbalêtriers d'Amiens, et autres gens d'armes qui les conduisoient dedans environ douze bateaux, avallèrent par la rivière de Somme, prêts pour combattre ladite ville et châtel; mais les dessusdits Dauphinois, sachant la venue desdits bateaux, tout épouvantés, avalèrent et troussèrent leurs bagues, et s'enfuirent incontinent au château d'Arraines, délaissant ledit Pont-de-Remy sans garde. Et aucuns hommes et femmes, assez bref après qu'ils étoient en l'île, avalèrent le pont au côté où étoit logé ledit duc de Bourgogne. Et adonc y entrèrent gens sans nombre de sa partie, lesquels ravirent et prirent tout ce que les Dauphinois avoient laissé.

Et ce même jour, par le commandement dudit duc de Bourgogne, furent ars et embrasés ladite île et châtel, où il y avoit moult belles habitations. Et pareillement furent ars et désolés ce jour et lendemain, les châteaux de Mareuil et d'Aucourt, desquels s'étoient départis les Dauphinois pour la doute et peur d'icelui duc. Et entretemps qu'icelui duc de Bourgogne dessus nommé étoit logé audit lieu du Pont-de-Remy, alla messire Jean de Luxembourg devant la ville de Saint-Riquier, atout cent hommes d'armes d'élite, sous la sûreté du seigneur d'Offemont, et mena avec lui six hommes d'armes, montés et habillés, pour faire armes et rompre lances contre six Dauphinois des gens dudit d'Offemont. Lesquelles par avånt avoient été entreprises des deux parties par leurs certains messa

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