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mes bien seize ou vingt mille combattants; el avec grand' quantité d'ustenciles, munitions et autres besongnes à eux propres et nécessaires, ils s'en allèrent mettre le siége tout és environs des susdites forteresses, qui estoient et sont encore assises et situées en des lieux très forts, et qui estoient bien garnies, tant de vivres comme d'habillements de guerre. Mais auparavant la venue d'iceux Liégeois, Pierre Regnault et Dandonnet, dessus nommés, avoient envoyé aucuns de leurs gens loger en une petite ville nommée Long-Pré, pour le sujet de laquelle ce débat s'estoit esmeu en bonne partie, laquelle est aucunement fermée de portes et de murailles, et environnée d'eau d'un costé, mais en général non pas beaucoup forte. Si avoient-ils volonté de tenir et conserver ceste ville, afin d'estre mieux en ce pays, et aussi à leur advantage de courir et de faire guerre à leurs adversaires. Si furent les nouvelles de leur venue portées aux dessusdits de Croy, frères, dont l'un estoit baillif de Haynaut, et aux autres de leur compagnée, lesquels tirèrent au plus tost qu'ils purent vers ceste marche, où s'estants approchés, ils envoyèrent de là aucuns de leurs gens, pour voir et sçavoir ce que c'estoit et ce qu'il y avoit à faire. Quand ils furent là venus, et qu'ils sceurent, par le récit d'aucuns du pays, qu'ils estoient en petit nombre, ils les assaillirent vigoureusemeet et entrèrent de force dedans; si en tuèrent et prirent aucuns ; les autres se sauvèrent à la fuite le mieux qu'ils purent. Cela ayant succédé de la sorte, iceux seigneurs mirent et laissèrent partie de leurs gens en icelle ville, pour la seureté du pays et des frontières; après quoy, ils se retirèrent devers les lieux d'où ils estoient venus, car bien sçavoient-ils que la puissance des Liégeois estoit allée devers les deux forteresses sus mentionnées, et après l'évesque de Liége.

Ces Liégeois donc estant venus devant Agimont et Rochefort, comme dit est, il y eut de prime face et tout d'abord à leur arrivée grand' et furieuse escarmouche, où aucuns furent morts, pris et blessés de chaque costé ; mais plus de Liégeois que des autres; car les François qui estoient enfermés dedans estoient bien subtils, et mieux accoustumés et duits à la guerre que ces Liégeois, tellement qu'ils faisoient assez souvent des sorties; mais d'ailleurs ils estoient en de grands difficultés d'eau, pour

abreuver leurs chevaux, car ils n'en pouvoient point avoir qui valust rien; et si se sentoientils et se considéroient bien esloignés de leur pays, pour pouvoir espérer avoir secours de leurs gens. D'autre part, cognoissoient-ils que si par aucune fortune de guerre, ils estoient pris et emportés de force, ils ne trouveroient point mercy ne miséricorde, par rançon, parmi icelles communes; pour lesquelles causes, raisons et considérations, ce Dandonnet traita avec ledit évesque, et lui rendit en dedans bref terme et peu de délay le fort chasteau de Rochefort, à condition que luy et ses gens s'en départirent sauvement et en toute seureté eux et leurs bagues; et de plus, obtint-il pour ladite reddition certaine somme d'argent.

Or fut-il, après cela, aucunement blasmé de n'avoir entretenu et gardé sa promesse à celuy qui lui avoit baillée. Depuis, au contraire, s'entretint et résista assez longuement Pierre Regnault, tant que le duc de Bourgongne y cnvoya, en aide des Liégeois, à la requeste et en faveur de leur évesque, Philibert de Vandres maistre de son artillerie, accompagné d'aucuns gens de guerre, et de plusieurs engins et ins-truments; toutesfois, à la fin, ce Pierre Regnault voyant que ses gens n'estoient point bien contents d'estre ainsi enfermés la dedans, et considérant aussi qu'ils n'estoient point en espérance de recevoir aucun secours, se laissa conseiller, et comme l'autre il s'en départit franchement; et si toucha semblablement argent comme l'autre, pour ceste reddition. Par ainsi ces deux forteresses, qui estoient les plus fortes du pays, furent mises és mains de l'évesque de Liége. Après quoy le dessusdit Evrard de la Marche en fut du tout déboutté ; et demeura pour ce temps, pauvre et desnué de tous biens. Si fut le loyer et la récompense qu'il eut pour les deffis sus-mentionnés, par lui faits témérairement au duc de Bourgongne; et à grand' peine pouvoit-il trouver aucuns de ses serviteurs et amis qui le voulussent ou osassent soustenir, assister et secourir.

CHAPITRE X.

Comment le duc de Bourgongne fit un voyage en Hollande; et autres choses.

Après que la duchesse de Bourgongne, audit an mil quatre cents quarante et cinq, fut retournée de Chaalons en Champagne, où elle avoit

esté devers le roy de France, comme il a esté rapporté cy-dessus assez longuement, et qu'elle fust venue à Bruxelles devers son seigneur le duc, pource que, auparavant ladite convention d'icelle ville de Chaalons, par l'ordonnance de de sondit seigneur le duc, elle estoit allée au pays de Hollande, afin d'appaiser aucuns des Hollandois qui s'estoient rebellés contre le seigneur de Lalain, régent du pays, et elle estoit là venue, bien qu'elle mist grand' peine à tascher de les accorder, néantmoins elle ne put en venir à bout. Il convint que ledit duc mesme y allast en personne, lequel les appaisa et y fit faire de grands justices sur ceux qui faisoient lesdites rebellions. Ce qu'estant fait, il retourna en la ville de Gand pour tenir et solenniser la feste de sainct André, auquel lieu les attendoit le duc d'Orléans, pour assister à icelle feste; et eux y estants assemblés, ils s'entrefirent et démonstrèrent grand' joye les uns aux autres. Après quoy ils solennisèrent ladite feste de sainct André ou de la Toison-d'Or, en la manière accoustumée, fort richement. Es quels jours fut fait et dressé, présent ledit duc de Bourgongne, où estoit aussi ledit duc d'Orléans dessusdit, un champ de bataille, sans querelle diffamatoire, d'un chevalier nommé messire Jean de Boniface, natif du pays d'Espagne, contre Jacques de Lalain, lesquels devoient combattre avec lances, espées, haches et dagues, un certain nombre de coups, ou au moins jusques au plaisir dudit duc de Bourgongne, qui en estoit le spectateur et le juge.

Là vint ce messire Jean de Boniface le premier au champ, pource qu'il estoit appelant. Après y vint le susdit Jacques de Lalain, bien accompagné de plusieurs seigneurs, ses parents et amis, et aussi de ceux de la cour; et estoit fort richement habillé. Alors il requit le duc de Bourgongne qu'il lui pleust de le faire chevalier; ce qu'il lui octroya; et descendit du lieu où il estoit, au champ, et là lui bailla l'ordre de chevalerie. Après quoy, il fut crié, par un officier d'armes, en la manière accoustumée, qu'ils fissent leur debvoir. Adonc s'approchérent-ils l'un de l'autre, et jetèrent leurs lances, sans s'entre-atteindre; puis après ils commencèrent à combattre rudement. Mais, peu ensuivant, ledit duc les fit cesser, et ordonna de les prendre, par les gardes à ce commis; et, tost après, ils furent reconduits chacun en son hostel. Depuis quoy se départit de là ledit messire

Jean de Boniface, après que dudit duc de Bourgongne il eut receu de grands dons; et s'en retourna en la marche d'où il estoit venu.

CHAPITRE XI.

Comment le comte d'Angoulesme revint de prison du royaume d'Angleterre.

En l'an mil quatre cents quarante-cinq, dessusdit, retourna d'Angleterre en France le comte d'Angoulesme, frère de Charles, duc d'Orléans, moyennant certaine grand' finance qui pour lui fut payée : lequel avoit esté prisonnier au royaume d'Angleterre, depuis l'an mil quatre cents et douze, que sondit frère, duc d'Orléans, l'avoit baillé en ostage, accompagné de plusieurs nobles hommes, à Thomas, duc de Clarence, second fils de Henri de Lencastre, alors roy dudit royaume d'Angleterre ; et ce, à cause d'une grand' somme de deniers, en quoy icelui duc d'Orléans estoit tenu envers ce duc de Clarence, pour aucuns services qu'il lui avoit faits dans le royaume de France; dont déclaration est faite plus au long au premier livre de feu ce noble et vaillant homme Enguerrand de Monstrelet, que Dieu absolve. Lequel comte estant retourné, comme dit est, en France, fut receu très honorablement, tant du roy et de son frère, duc d'Orléans, comme des autres princes et seigneurs en général; et lui fit, chacun en droit soy, très joyeuse chère.

CHAPITRE XII.

Gomment fut fait le mariage du roy d'Angleterre à la fille du roy de Secille.

En ce mesme temps, l'an mil quatre cents quarante-cinq, souventesfois dessusdit et répété, par le consentement et authorité de Charles, roy de France, fut traité le mariage du roy Henry d'Angleterre, son nepveu, avec la fille du roy de Secile, qui estoit nommée Marguerite, laquelle estoit nièce de la royne de France. Pour faire et négocier lesquels traités, estoient employés, de la part d'iceluy roy d'Angleterre, messire Guillaume de la Poulle, comte de Suffolk; maistre Adam Moleines, garde du privé scel dudit roy; messire Robert Roos, et messire Tomas Hoz, chevaliers; Richard Andreu, docteur és loix, secrétaire; et aucuns autres gens de bon estat ; lesquels, après qu'ils eurent accomply les traités dessusdits, et ce pourquoy

' René d'Anjou.

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ils estoient venus, se retirèrent de Tours, où ces besongnes furent conclues, à Rouen, et de là en Angleterre, devers leur roy, auquel ils racontèrent, présent son conseil, l'estat et le succès de leur ambassade.

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Si furent-ils bien joyeux de ce qu'ils avoient ainsi besongné; car, par le moyen de ceste alliance, ils s'attendoient d'avoir en France de bons amis et puissants, espécialement pour les ayder å parvenir et condescendre à une paix finale avec le roy de France, telle qu'elle peust estre à leur avantage. Si avoient iceux ambassadeurs pris jour avec ledit roy de Secile, pour retourner devers lui, auquel il leur devoit livrer sadite fille dans la ville de Rouen; lequel jour ils entretinrent ainsi qu'ils l'avoient promis. Et, pour les recevoir, le roy Henry envoya plusieurs seigneurs et dames de son pays audit lieu de Rouen, fort hautement et richement habillés ; c'est assavoir le duc d'Yorck, le comte de Suffort' le seigneur de Tallebot, le marquis de Susalby, le seigneur de Clifton et le baron de Granson, messire James d'Ormont, messire Jean Belledit, messire Guillaume Bonneclue, messire Richard Ros, messire Jean Secalay, messire Edouard Hoult, Robert de Villeby, Robert de Harcourt, et plusieurs autres chevaliers et escuyers de grand estat. Au reregard des dames y estoient la comtesse de Suffort, la dame de Talbot, la dame de Salsebery, la dame Marguerite Hoult, et autres en grand nombre. Il y avoit aussi des chariots couverts, et plusieurs haquenées houssées de si riches habillements, que peu avoient esté veus de pareils venants du susdit royaume d'Angleterre, surtout à leur entrée de Rouen, où ils pouvoient bien estre quinze cents chevaux ou environ.

Or, faut-il déclarer la manière comment les seigneurs et dames devant dits, et leurs gens, entrèrent en bel ordre en ladite ville de Rouen. Premièrement, pour l'estat de ladite royne, y estoient les premiers entrants les dessus nommés : le marquis de Susalby, le seigneur de Clifton, le baron de Granson, messire James d'Or

William de la Pole, comte de Suffolk. 2 Salisbury.

* Je trouve dans les actes de Rymer un Thomas Hoo, chevalier, parmi ceux qui furent appointés, en 1444, pour traiter de la paix à la suite de la trève avec la France. La plupart de ces noms sont défigurés d'une manière presque méconnaissable.

• Willoughby.

mont, Jean Holdif, Guillaume de Bonneclube, Richard Ros, Jean Secalay, Edouard Hoult, Robert de Willeby, Robert de Harcourt; et avec eux messire Hue Coquesin, que j'avois oublié de nommer; lesquels tous en leur compagnée avoient quelque quatre cents archers, pour l'estat de la maison d'icelle royne, tous vestus d'une mesme parure de gris. Après lesquels, suivoient les escuyers et officiers d'icelui estat ; et outre ce, il y avoit, avec les dessusdits, deux cents archers de la grand' garde du roy d'Angleterre, portants ses couleurs et livrées ; c'est assavoir, sur chacune de leurs manches une couronne d'or; lesquels estoient très richement habillés.

Après les chevaliers dessusdits, venoient six pages montés sur six haquenées, richement vestus de robes et de chaperons noirs, chargés d'orfèvrerie d'argent doré, qui estoient tous fils de chevaliers. Et menoit le premier page, par la main, une haquenée de son costé dextre, que ledit roy d'Angleterre envoyoit à la royne sa femme, ornée d'une selle et de parements, tels que le tout en estoit de fin or ; et les autres parements des autres haquenées estoient tous d'argent doré. Après suivoit le chariot que ledit roy lui envoyoit, lequel estoit le plus richemement orné et paré que depuis très long-temps il n'en estoit party du royaume d'Angleterre un pareil; car il estoit couvert d'un très riche drap d'or, et armoyé des armes de France et d'Angleterre ; lequel chariot estoit tiré par six chevaux blancs, de grand prix ; et estoit icelui chariot figuré par-dedans et par-dehors de plusieurs et diverses couleurs. Dans lequel estoient la dessusdite comtesse de Suffort, les dames de Talbot et de Salsbery; et estoit ladite comtesse en l'estat de la royne, pareil que le jour qu'elle l'espousa. Les autres dames ensuivant, de degré en degré, venoient après ce chariot, montées sur haquenées.

Au plus près d'iceluy chariot estoit le susdit duc d'Yorck d'un costé, et le seigneur de Talbot de l'autre, tenants manière et contenance comme si la royne eust été dedans. Le susdit comte de Suffort alloit chevauchant devant ledit chariot, représentant la personne du roy d'Angleterre; et, après lui, il y avoit trente-six, tant chevaux que haquenées de grand parage, tous houssés de vermeil, armoyés de ses armes. Après icelui chariot, il y avoit encore cinq chevaux richement ornés, dont deux estoient couverts de velours vermeil baltu à or,

semés de roses d'or dedans; et les autres estoient couverts de drap de damas cramoisy.

Après tout ce que dit est, venoit encore un chariot richement orné, dedans lequel estoient la dame de Talbot la jeune, la dame Marguerite Hoult, et autres, lesquelles estoient toutes ordonnées et destinées pour recevoir icelle nouvelle royne d'Angleterre.

En ce point, ils entrèrent, en ce bel et honorable ordre, dans la ville et cité de Rouen, là où il y cut de grands honneurs, et plusieurs esbattements faits en diverses manières, tant de jour comme de nuit. Puis, dans certains jours après que ceste royne eust esté receue par les dessusdits seigneurs et dames, ils parti- | rent tous ensemble, et s'en allèrent en Angleterre, devers leur roy, où elle fut grandement et honorablement receue; et là y furent tous esbattements faits, et la joie renouvelée.

CHAPITRE XIII.

Comment le seigneur de Ternant fit armes en la ville d'Arras contre un escuyer de Piémont nommé Galliot de Balthazin.

mes,

A l'entrée de l'an mil quatre cents quarante et six, furent faites armes dans la ville d'Arras, présent le duc de Bourgongne, juge en ceste partie; c'est à sçavoir du seigneur de Ternant, qui estoit appelant et promoteur d'icelles arà l'encontre d'un escuyer natif des marches de Piémont, nommé Galliot de Balthazin. Si estoient les devises telles : qu'un chacun d'eux debvoit asseoir l'un sur l'autre cinq coups de poux de lance tout à pied; et icelles accomplies, ils debvoient combattre et asseoir comme dessus, jusques à onze coups d'espée, d'estoc; et après ce, derechef ils debvoient combattre de haches, et en férir chacun quinze coups de la teste et martel, sans rien toucher de la pointe ny d'estoc; et le tout à pied, comme dit est cydessus. En après, ils debvoient faire armes à cheval d'abondant, de lances et d'espées, c'est à sçavoir l'un contre l'autre chacun d'une seule lance, fust assise ou non; et ce fait, férir jusques à trente et un coups d'espée l'un sur l'autre, d'estoc ou de taille, comme leur sembleroit. Il y avoit plusieurs autres devises contenues és chapitres sur ce faits, lesquels je me retiens d'escrire au long, pour cause de briefveté; et me contente de mettre ce qui touche au principal.

Or, est-il vray qu'au jour à eux assigné par

le duc de Bourgongne, le seigneur de Ternant parut le premier au champ, fort hautement accompagné de plusieurs grands seigneurs, qui estoient très richement habillés et parés ; lequel, quand il eut fait la révérence au duc, ainsi qu'il est accoustumé, il se retira en son pavillon, et là attendit son adverse partie, qui vint en assez peu de temps après, et fit aussi la révérence au duc, comme avoit fait le seigneur de Ternant; puis il entra dans son pavillon comme l'autre. Et quand ce vint que toutes leurs besongnes furent apprestées bien à point, et qu'il fust heure de combattre, ils sortirent de

hors et commencèrent à marcher l'un contre

l'autre moult fièrement. Si estoit joyeuse chose que de les veoir, car tous deux estoient très puissants de corps et bien fournis de membres.

Quant au seigneur de Ternant, il se tenoit attemprement et gravement en son pas, sans aucunement se desroyer'; mais son adversaire faisoit le contraire, et venoit contre luy en saillant et bondissant de si grands pas, qu'il ne tenoit point de mesure; qui estoit grand péril et danger pour lui, comme il sembloit à plusieurs estants là présents, qui bien se cognoissoient en telles besongnes; parce qu'en tenant telle manière et conduite, on se pourroit trouver prins à pied levé, et à ceste cause avoir mauvaise fortune. Toutesfois ils firent et poursuivirent leurs armes de coups de lances et d'espées, fort rudement et vaillamment, et s'entredonnèrent plusieurs durs horions, tant qu'assez souvent en advenoit-il que les poinctes desdites lances et espées estoient rompues de vive force et puissance. Et au regard des armes de hache, quand ce vint au joindre, ledit seigneur de Ternant assit son premier coup sur le bacinet dudit Galliot, si dur et si pesant, qu'il le fit desmarcher aucuns pas et chanceler; et s'il l'eust peu poursuivre, en un second coup il estoit bien apparent qu'il l'eust porté par terre; mais à vray dire, le dessusdit Galliot, lequel estoit, suivant le témoignage de plusieurs nobles hommes et grands seigneurs, qui autresfois en plusieurs lieux avoient veu telles ou semblables en

treprinses, le plus rude, le plus puissant et plus vigoureux qu'on eust veu faire armes il y avoit long-temps auparavant ès parties de par-deçà, se soustint fort bien et approcha ledit seigneur de Ternant très asprement; puis, sans tenir ne

Sortir de rang.

avoir esgard à l'ordre et mesure déclarés és chapitres de tels combats, en l'approchant, et le poussant de force à deux mains, du manche de sa hache, il le fit reculer et desmarcher un petit. Si estoient lors tous deux fort animés l'un contre l'autre, et désiroient de tout leur cœur parachever de leurs armes, comme ils monstroient bien le semblant. Mais entre ce temps, le duc jeta son baston, et les fit prendre et mener hors le champ, sans autre chose faire pour ce jour.

Le lendemain furent faites les armes à cheval; et vint à l'heure qui estoit ordonnée ledit seigneur de Ternant, sur le champ, en grand bruit, accompagné, houchié', et habillé fort suffisamment comme autresfois il avoit fait; et de jour en jour, et à chacunes armes il avoit de nouveaux habillements, espécialement pour

sa personne.

Ce mesme jour de ces armes à cheval, il avoit deux moyens coursiers parés et couverts fort richement. Aussitost après vint et parut sa partie adverse, qui estoit monté sur un puissant cheval, que luy avoit presté messire Jacques de Lalain, lequel, selon la coustume de Lombardie, estoit tout couvert de fer. Alors, eux estants ainsi audit champ, chacuu à un bout des lices, après que le seigneur de Ternant, qui estoit au costé dextre proche le duc, lui cut envoyé lance et espée, ainsi qu'il le debvoit faire suivant les chapitres et conditions de leur entreprise, et qu'au surplus ils furent tout prests, ils couchèrent leurs lances et vinrent l'un contre l'autre, sans qu'aucun les conduisist, fort puissamment, et sans qu'aucune desdites lances fussent rompues; et se rencontrèrent assez durement du choc de leurs chevaux, tant que le cheval du seigneur de Ternant et luy-mesme furent si fort ébranlés, que son espée, qu'il avoit ceinte, fut tournée sur le derrière de son cheval, et tellement destournée que, quand il s'en pensa ayder, il ne la sceut où prendre; mais son adverse partie, qui tenoit la sienne avec la resne de son cheval, commença à frapper d'estoc et de taille sur son adversaire, qui n'avoit de quoy se deffendre, si non de jeter sa main, atout son gantelet, au-devant de plusieurs coups très asprement; et en ce point férit plusieurs coups; dont il fut aucunement blasmé par aucuns nobles estants lå, auxquels il sembla que ce n'estoit

1 Bollé.

point honorablement fait d'ainsi combattre, sans que son adverse partie fust pourveue de baston et armes deffensives; mais à dire vray, depuis il s'en excusa, et dit qu'il n'avoit apperceu cela; et après, durant le temps qu'il estoit en ce point, l'espée dudit seigneur de Ternant cheut tout à bas; parquoy, selon la déclaration des chapitres sus allégués, il fut ordonné par le duc de Bourgongne qu'on lui rebailleroit son espée, car ainsi se debvoit faire. Et quand il en fut resaisy, ils se rapprochèrent derechef l'un de l'autre, et combattirent très durement, jusques à l'accomplissement de leurs armes, et des devises et ordonnances sur ce faites; et convint, comme autrefois, que le dit duc les fist départir par les gardes qui estoient à ce commis. Si retournérent chacun d'eux en leur hostel, et se départirent du champ aussitost l'un comme l'autre. Pour le vray, ces armes furent fort dures et périlleuses, plus qu'aucunes autres que de long-temps on eust veu, car tous les deux champions s'y portèrent vaillamment; et puis furent fort bons amis ensemble. Le susdit Galliot fut ensuite, par aucuns jours, honorablement festoyé dans l'hostel du duc, tant de lui comme des seigneurs de sa cour; et avec ce, il lui fit de grands dons, pour payer largement ses despens. Quoy fait, il partit de là pour retourner en son pays.

CHAPITRE XIV.

Comment le duc de Bretagne et son frère, messire Gilles, eurent question ensemble.

En ces mesmes jours ou environ, l'an mil quatre cents quarante et six dessusdit, s'esmeut grand discord et débat entre François, duc de Bretagne, d'une part, et son frère messire Gilles. La cause fut pour ce que ledit Gilles, qui estoit ung fort beau chevalier, bien formé et puissant de corps, avoit esté nourry et élevé, durant sa jeunesse, avec son cousin germain, le roy Henry d'Angleterre, lequel roy l'avoit fait son connestable; et à ceste occasion, comme il en estoit commune renommée, il avoit du tout mis son affection à tenir le party de ce roy Henry et des Anglois, et tendoit à celle fin de séduire et attirer plusieurs grands seigneurs de la duché de Bretagne, et aussi aucunes bonnes villes et forteresses à son intention; ce qui fut rapporté au duc son frère, et s'en tint bien pour informé; si eut conseil d'y pourveoir. Pour ce faire, il envoya quelqu'un de son

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