Sans efpoir de pardon, m'avez-vous condamnée ? 1) PYRRH U S. Phoenix vous le dira; ma parole eft donnée. 2) ANDRO MAQUE. Vous qui braviez, pour moi, tant de périls divers? PYRRH U S. J'étois aveugle alors, mes yeux fe font ouverts. Sa grace à vos defirs pouvoit être accordée; Mais vous ne l'avez pas feulement demandée. C'en eft fait. ANDRO MA QUE. Ah, Seigneur! vous entendiez affez Des foupirs qui craignoient de fe voir repouffés. Pardonnez, à l'éclat d'une illuftre fortune, 3) 1) Sans efpoir de pardon, m'avez-vous condamnée?] M. l'abbé d'Olivet trouve que cette phrase eft louche, en difant que cet espoir de pardon regarde Andromaque; & que vous m'avez condamnée regarde Pyrrhus. Nous penfons que c'est par ce mêlange heureux de tours hardis que Racine rendre notre langue poétique. a pu 2) Phanix vous le dira; ma parole eft donnée.] Le premier hémiftiche est un peu trop familier, il tient trop de la conversation. Racine, à force d'être naturel, tombe quelquefois dans ce défaut.. 3) Pardonnez, à l'éclat d'une illuftre fortune, &c.] Quels vers enchanteurs! quelle harmonie! & en même temps quelle noblesse ! Ce refte de fierté qui craint d'être importune. Vous ne l'ignorez pas : Andromaque, fans vous, N'auroit jamais d'un maître embraffé les genoux. 1) PYRRH U S. Non, vous me haïffez; & dans le fond de l'ame, Allons, Phoenix. Madame. 1) ANDRO MA QU E. Allons rejoindre mon époux. CEPHIS E. Andromaque, fans vous, N'auroit jamais d'un maître embraffé les genoux.] Situation touchante, imaginée par Euripide, & copiée depuis par Séneque : Je tombe à vos pieds, dit Andromaque à Ulyffe, je les preffe avec mes mains, ce que je n'ai jamais fait pour perfonne. Troade, acte III. fcene 1. Racine eft ici fupérieur à ces deux poëtes, en ce qu'il releve cette fituation par la maniere noble & naturelle dont elle est rendue. ANDRO MAQUE à Céphife Et que veux-tu que je lui dife encore? Auteur de tous mes maux, crois-tu qu'il les ignore? (à Pyrrhus.) Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez. : 1) J'ai vu mon pere mort, & nos murs embrafès: &c.] Tableau dont on trouve encore l'efquiffe dans Séneque, qui lui-même l'avoit emprunté d'Euripide ou de Virgile: J'ai vu, dit Mégare, des fils qui devoient un jour venger la mort de leur pere, périr fous le glaive meurtrier d'un barbare, & le dernier rejetton du fang de Cadmus entrer avec eux dans la nuit du tombeau. Hercule furieux, acte II. fcene 1. Andromaque femble faire entendre que fon pere a été tué par Pyrrhus; c'eft une adreffe du poëte, pour rendre moins praticable l'hymen de cette princeffe avec fon vainqueur. Je me fuis quelquefois confolée 2) Qu'ici, plutôt qu'ailleurs, le fort m'eût exilée.] Avec quel art, & pourtant avec quelle nobleffe Andromaque s'efforce d'attendrir fon maître ! Elle a trouvé le fecret de flatter Pyrrhus fans baffeffe, & fans trahir son époux, Il n'y eut que Racine qui fût capable de ces fineffes. Qu'heureux, dans fon malheur, le fils de tant de rois, Va m'attendre, Phoenix. 1) 1) Va m'attendre, Phanix.] Pyrrhus avoit dit à son confident qu'il verroit Andromaque à fes pieds d'un ail tranquille; il va bientôt se jetter aux fiens: il ne veut pas que Phoenix foit témoin de fa foibleffe. SCENE VII. PYRRHUS, ANDROMAQUE, CÉPHISE. PYRRHUS. MADAME, demeurez. On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez, S'ils font d'un ennemi qui cherche à vous déplaire. Combien je vais fur moi faire éclater de haines. |