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OREST E.

Pourfuivez. Il est beau de m'infulter ainfi
Cruelle ! c'est donc moi qui vous méprise ici!
Vos yeux n'ont pas affez éprouvé ma conftance! 1)
Je fuis donc un témoin de leur peu de puiffance!
*Je les ai méprifés! Ah! qu'ils voudroient bien voir
Mon rival, comme moi, mépriser leur pouvoir!
HERMIONE.

Que m'importe, Seigneur, fa haine ou fa tendreffe?
Allez contre un rebelle armer toute la Grece;
Rapportez-lui le prix de fa rebellion;

Qu'on faffe de l'Épire un fecond Ilion.
Allez. Après cela, direz-vous que je l'aime ?
OREST E.

Madame, faites plus, & & venez-y

vous-même.

1) Vos yeux n'ont pas affez éprouvé ma conftance! Je fuis donc un témoin de leur peu de puissance ! ] La puiffance des yeux, la conftance d'un amant ces expreffions ne trouvent guere place que dans l'élégie, ou quelquefois dans le madrigal.

Nous trouvons qu'Orefte en veut un peu trop aux beaux yeux d'Hermione. Il a déjà dit qu'il cherchoit la mort dans fes yeux, que les yeux d'Hermione éprouvoient fa conftance, que ces mêmes yeux voudroient bien voir Pyrrhus méprifer leur pouvoir comme Orefte, c'est-à-dire, auffi peu qu'Orefte. En mettant ainfi en profe les beaux vers de Racine, c'eft quelquefois le moyen d'appercevoir des négligences que déroboit la magie du style.

Voulez-vous demeurer pour ôtage en ces lieux? Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux. 1) Faifons de notre haine une commune attaque.

HERMIONE.

Mais, Seigneur, cependant, s'il épouse Andromaque ?

Eh, Madame!

OREST E.

HERMIONE.

Songez quelle honte pour nous,

Si d'une Phrygienne il devenoit l'époux. 2)
OREST E.

Et vous le haïffez? Avouez-le, Madame,
L'amour n'eft pas un feu qu'on renferme en une ame.
Tout nous trahit, la voix, le filence, les yeux;
Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.

1) Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux. ]

Faire parler des yeux. Les faire parler dans tous les cœurs ; voilà des hardieffes, fans doute le grammairien les condamne, le fentiment les juftifie.

2)

و

Songez quelle honte pour nous Si d'une Phrygienne il devenoit l'époux..] Dès qu'Orefte paroît embraffer le parti qu'Hermione lui propose, elle trouve des obstacles à fon exécution; à mefure qu'Orefte détruit fes raifons, elle en fait naître d'autres plus fortes. Chaque scene doit conduire par gradation à la fin de l'acte, & chaque acte à la fin de la piece; mais dans chaque fcene il faut encore une gradation particuliere, qui confifte dans la force des raifons & des fentiments,

HERMIONE.

Seigneur, je le vois bien, votre ame prévenue
Répand fur mes difcours le venin qui la tue; 1)
Toujours dans mes raifons cherche quelque détour,
Et croit qu'en moi la haine est un effort d'amour.
Il faut donc m'expliquer. Vous agirez enfuite.
Vous fçavez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite:
Mon devoir m'y retient ; & je n'en puis partir,
Que mon pere ou Pyrrhus ne m'en faffent fortir.
De la part de mon pere, allez lui faire entendre
Que l'ennemi des Grecs ne peut être fon gendre.
Du Troyen ou de moi faites-le décider;

Qu'il fonge qui des deux il veut rendre, ou garder,
Enfin, qu'il me renvoie, ou bien qu'il vous le livre.2)
Adieu. S'il y confent, je fuis prête à vous fuivre.

1) Seigneur, je le vois bien, votre ame prévenue

Répand fur mes difcours le venin qui la tue.]

Une ame prévenue qui répand fur des difcours le venin qui la tue. On voit aisément ce que l'auteur a voulu dire; mais la maniere dont fon idée eft exprimée, est à la fois obscure & de mauvais goût.

2) Enfin, qu'il me renvoie, ou bien qu'il vous le livre.}

Comment Orefte va-t-il fe tirer de ce pas difficile? Comme amant, il eft intéreffé à prendre un parti qu'il doit rejetter comme ambaffadeur.

SCENE III.

ORESTE feul.

Our, oui, vous me fuivrez, n'en doutez nullement;

UI,

Je vous réponds déjà de fon confentement.

Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne.
Il n'a devant les yeux que fa chere Troyenne ; 1)
Tout autre objet le bleffe; & peut-être aujourd'hui
Il n'attend qu'un prétexte à l'éloigner de lui.

Nous n'avons qu'à parler. C'en eft fait. Quelle joie
D'enlever à l'Épire une fi belle proie!

Sauve tout ce qui refte & de Troye & d'Hector, Garde fon fils, fa veuve, & mille autres encor; Épire: c'eft affez qu'Hermione rendue

Perde à jamais tes bords & ton prince de vue. Mais un heureux deftin le conduit en ces lieux. Parlons. A tant d'attraits, Amour! ferme fes yeux.

1) Il n'a devant les yeux que fa chere Troyenne.] Sa chere Troyenne eft une de ces expreffions fades, dont Racine fait trop fouvent ufage.

Ce monologue, qui ne paroît pas intéreffant par lui-même, fert à faire fortir davantage la scene suivante.

JE

SCENE IV.

PYRRHUS, ORESTE, PHENIX.

PYRRH US.

E vous cherchois, Seigneur. Un peu de violence M'a fait de vos raisons combattre la puiffance, Je l'avoue; & depuis que je vous ai quitté, J'en ai fenti la force, & connu l'équité. J'ai fongé, comme vous, qu'à la Grece, à mon pere, A moi-même, en un mot, je devenois contraire; Que je relevois Troye, & rendois imparfait Tout ce qu'a fait Achille, & tout ce que j'ai fait. Je ne condamne plus un courroux légitime; Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime. 1) OREST E.

Seigneur,

, par ce confeil prudent & rigoureux, C'est acheter la paix du fang d'un malheureux.

PYRRH U S.

Oui, mais je veux, Seigneur, l'affûrer davantage.

de

1) Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre viflime.] Quelle révolution pour Orefte! C'est là un vrai coup théâtre, non tel que ceux qu'on admire aujourd'hui, mais tel que le génie feul peut en inventer, & dont la fcene fe paffe dans le cœur.

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