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Mon défefpoir n'attend que leur indifférence:
Ils n'ont qu'à m'interdire un refte d'efpérance;
Ils n'ont, pour avancer cette mort où je cours,
Qu'à me dire une fois ce qu'ils m'ont dit toujours.
Voilà, depuis un an, le feul foin qui m'anime.
Madame, c'eft à vous de prendre une victime
Que les Scythes auroient dérobée à vos coups,
Si j'en avois trouvé d'auffi cruels que vous.

la fituation où il fe trouve, qu'on doit attribuer les plaintes peu naturelles qu'il fait à Hermione dans cette premiere entrevue. Il s'exhale en jeux d'efprit, qui ne reffemblent point au sentiment. Il a déjà dit :

» Je fçais

» Que tous mes pas vers vous font autant de parjures. Il dit ici:

"

Je me vois réduit

» A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.
» Mon désespoir n'attend que leur indifférence.

» Madame, c'eft à vous de prendre une victime, >> Que les Scythes auroient dérobée à vos coups, » Si j'en avois trouvé d'auffi cruels que vous ». Ces vers font dans le goût de Séneque. Ce n'étoit pas ainfi que devoit s'exprimer le furieux Orefte.

Ces traits de faux bel-efprit ont toujours défiguré nos anciennes tragédies. Corneille les accrédita; & Racine, quoique né pour fentir l'heureufe fimplicité des Grecs, fut entraîné par l'exemple.

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HERMIONE.

Quittez, Seigneur, quittez ce funefte langage; 1)
A des foins plus preffants la Grece vous engage.
Que parlez-vous du Scythe, & de mes cruautés ?
Songez à tous ces rois que vous représentez.
Faut-il que d'un transport leur vengeance dépende?
Eft-ce le fang d'Orefte enfin qu'on vous demande ?
Dégagez-vous des foins dont vous êtes chargé.
OREST E.

Les refus de Pyrrhus m'ont affez dégagé,
Madame; il me renvoie ; & quelque autre puiffance
Lui fait du fils d'Hector embraffer la défenfe.

HERMION E.

L'infidelle !

1) Quittez, Seigneur, quittez ce funefle langage;

A des foins, &c.]

A la place de ce vers & des trois fuivants, on lifoit dans la premiere édition :

» Non, non, nè penfez pas qu'Hermione difpofe
» D'un fang fur qui la Grece aujourd'hui fe repose.
» Mais, vous-même, eft-ce ainfi que vous exécutez
» Les vœux de tant d'États que vous représentez?
» Faut-il que d'un tranfport, &c. »

Subligny objecta qu'on n'exécutoit pas des vaux, & Racine fit cet heureux changement.

OREST E.

Ainfi donc, tout prêt à le quitter, 1)

Sur mon propre deftin je viens vous confulter. Déjà même je crois entendre la réponse,

Qu'en fecret, contre moi, votre haine prononce.
HERMION E.

Hé quoi, toujours injufte en vos tristes discours,
De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ?
Quelle eft cette rigueur tant de fois alléguée ?
J'ai paffé dans l'Épire où j'étois reléguée;
Mon pere l'ordonnoit. Mais qui fçait fi, depuis,
Je n'ai point, en fecret, partagé vos ennuis?
Penfez-vous avoir feul éprouvé des allarmes ?
Que l'Épire jamais n'ait vu couler mes larmes?

1)

Ainfi donc, tout prêt à le quitter, &c. ]

Au lieu de ce vers & des fuivants, Racine en avoit fait quatre autres, qui joignoient au défaut de l'obscurité, celui d'être une fuite infoutenable d'antithefes & de jeux de mots : » Ainfi donc, il ne me refte rien

» Qu'à venir prendre ici la place du Troyen.

» Nous fommes ennemis, lui des Grecs, moi le vôtre; » Pyrrhus protege l'un, & je vous livre l'autre ». Hermione reprenoit ainfi dans la premiere édition : » Hé quoi, dans vos chagrins, fans raison affermi, » Vous croirez-vous toujours, Seigneur, mon ennemi? » Quelle eft cette rigueur, &c. »

Enfin,

Enfin, qui vous a dit que, malgré mon devoir Je n'ai pas quelquefois fouhaité de vous voir? OREST E.

Souhaité de me voir ! Ah! divine princeffe!... Mais, de grace, eft-ce à moi que ce difcours s'adreffe? Ouvrez vos yeux, fongez qu'Orefte eft devant vous; Orefte, fi long-temps l'objet de leur courroux.

HERMIONE.

Oui, c'est vous, dont l'amour naiffant avec leurs charmes,

Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes ; 1) Vous, que mille vertus me forçoient d'estimer; Vous, que j'ai plaint; enfin que je voudrois aimer.

OREST E.

Je vous entends. Tel eft mon partage funefte:
Le cœur eft pour Pyrrhus, & les voeux pour Orefte.2)

1) Oui, c'est vous, dont l'amour naissant avec leurs charmes, Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes. 1 Hermione doit-elle parler ainfi d'elle-même ? que veut dire le pouvoir des armes de mes yeux ? Cette expreffion précieuse eft échappée à Racine dans la chaleur de la compofition.

2) Le cœur eft pour Pyrrhus, & les vœux pour Oreste.]

Il faudroit, les vœux font pour Oreste; mais Racine ne manque à la grammaire, ni par ignorance, ni par distraction; c'est une noble liberté qui le fait s'élever au deffus des regles. Tome II.

E

HERMIONE.

Ah! ne fouhaitez pas le deftin de Pyrrhus !
Je vous haïrois trop.

OREST E.

Vous m'en aimeriez plus.

Ah!
que vous me verriez d'un regard bien contraire!
Vous me voulez aimer, & je ne puis vous plaire;
Et l'amour feul alors fe faisant obéir,

Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant haïr.
O Dieux! tant de respects, une amitié si tendre;
Que de raifons pour moi, fi vous vouliez m'entendre!
Vous feule, pour Pyrrhus, difputez aujourd'hui,
Peut-être malgré vous, fans doute malgré lui.
Car enfin il vous hait. 1) Son ame, ailleurs éprise
N'a plus.

HERMIONE.

Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise? Ses regards, fes difcours vous l'ont-ils donc appris? Jugez-vous que ma vue infpire des mépris?

Qu'elle allume en un coeur des feux fi peu durables? Peut-être d'autres yeux me font plus favorables.

Ces hardieffes donnent plus de précision, de vivacité, & de force à la phrase.

1) Car enfin il vous hait.]

Le difcours d'Orefte nous semble un peu dur.

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