Imágenes de página
PDF
ePub

Malgré moi, s'il le faut, lui donner un afyle: Seigneur, voilà des foins dignes du fils d'Achille.

PYRRH US.

Hé quoi, votre courroux n'a-t-il pas eu fon cours? Peut-on haïr fans ceffe, & punit-on toujours ? 1) J'ai fait des malheureux, fans doute; & la Phrygie Cent fois, de votre fang, a vu ma main rougie. Mais que vos yeux fur moi fe font bien exercés! 2) Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont verfés !

1) Hé quoi, votre courroux n'a-t-il pas eu fon cours? Peut-on hair fans ceffe, & punit-on toujours?] Cette pensée, que Racine a fi heureusement transportée dans la bouche de Pyrrhus, paroît lui avoir été fuggérée par un paffage de l'Ajax furieux de Sophocle. Il s'y agit de la fépulture de ce héros, fur laquelle les Grecs étoient partagés. Ulyffe, qu'il avoit le plus offenfé, prend fon parti; il représente à Agamemnon que fa haine a affez duré, & qu'il eft indigne d'un héros d'étendre le reffentiment d'une injure au-delà de la mort de fon ennemi. Je ne l'ai haï, dit-il, qu'autant que je l'ai pu faire fans crime.

Séneque, dans fon Hercule furieux, afte II. fcene 111. a tourné cette idée en maxime.

2) Mais que vos yeux fur moi fe font bien exercés!

Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont verfés !] Des yeux qui fe font bien exercés fur quelqu'un, & qui vendent bien cher les pleurs qu'ils ont verfés: on fent combien toutes ces idées font précieuses.

De combien de remords m'ont-ils rendu la proie!
Je fouffre tous les maux que j'ai faits devant Troye. 1)
Vaincu, chargé de fers, de regrets confumé,
Brûlé de plus de feux que je n'en allumai, 2)
Tant de foins,tant de pleurs, tant d'ardeurs inquietes...
Hélas! fus-je jamais fi cruel que vous l'êtes ?
Mais enfin, tour à tour, c'est affez nous punir;
Nos ennemis communs devroient nous réunir "
Madame; dites-moi feulement que j'efpere, 3)
Je vous rends votre fils, & je lui fers de pere.

1) De combien de remords m'ont-ils rendu la proie?

Je fouffre tous les maux que j'ai faits devant Troye.] L'amour peut bien exagérer, mais il ne peut comparer ses tourments à ceux d'une ville embrasée; & cette idée, fi peu naturelle, eft continuée dans les deux vers fuivants, que l'on a toujours justement repris comme un concetto indigne de la majefté de la tragédie & du goût excellent de Racine.

2) Brûlé de plus de feux que je n'en allumai. ]

Le mot de feux eft ici au propre & au figuré; il n'y a aucun rapport entre les feux réels & les feux imaginaires de l'amour.

3) Madame ; dites-moi feulement que j'efpere,

Je vous rends votre fils, & je lui fers de pere. ]

Les douze vers qui précédent ne nous paroiffent pas dignes de ceux qui les fuivent; il femble que le poëte y ait plus cherché l'efprit que le fentiment; nous croyons que

Je

Je l'inftruirai moi-même à venger les Troyens. J'irai punir les Grecs, de vos maux & des miens. Animé d'un regard, je puis tout entreprendre. Votre Ilion encor peut fortir de fa cendre;

Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l'ont pris, Dans fes murs relevés, couronner votre fils. 1)

ANDRO MAQUE.

Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus

guere;

Je les lui promettois tant qu'a vécu fon pere.
Non, vous n'efpérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n'a pu conferver mon Hector!
A de moindres faveurs des malheureux prétendent;
Seigneur, c'eft un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que, loin des Grecs, & même loin de vous,
J'aille cacher mon fils, & pleurer mon époux;

ce couplet eût été plus fimple & plus noble, fi après ce

vers,

» Peut-on haïr fans ceffe, & punit-on toujours » ? Pyrrhus eût continué :

» Madame, dites-moi feulement que j'efpere »;

en retranchant les autres qui ne difent rien : le fens ne feroit point interrompu.

1) Dans fes murs relevés couronner votre fils.]

[ocr errors]

Le fils d'Achille relever les murs de Troye ! Tel eft le délire des paffions.

[merged small][merged small][ocr errors]

Votre amour contre nous allume trop de haine.
Retournez, retournez à la fille d'Hélene.

PYRRH US.

Et le puis-je, Madame? Ah, que vous me gênez ! 1)
Comment lui rendre un cœur que vous me retenez ?
Je fçais que de mes vœux on lui promit l'empire. 2)
Je fçais que, pour régner, elle vint dans l'Épire.
Le fort vous y voulut l'une & l'autre amener
Vous pour porter des fers, elle pour en donner.
Cependant ai-je pris quelque foin de lui plaire ?
Et ne diroit-on pas, en voyant, au contraire
Vos charmes tout-puissants, & les fiens dédaignés,
Qu'elle eft ici captive, & que vous y régnez.
Ah, qu'un feul des foupirs, que mon cœur vous envoie,
S'il s'échappoit vers elle, y porteroit de joie !

[ocr errors]

1) Et le puis-je, Madame? Ah, que vous me gênez!] M. de Voltaire a souvent repris dans Corneille de femblables expreffions. Cette réponse eft encore fur le même ton que la précédente. Les beaux vers que débite Andromaque ne font que mieux fentir le défaut de ces douceurs amoureuses qui rempliffent le rôle de Pyrrhus; ne pourroiton pas dire que ce prince parle un peu en petit-maître dans ces deux vers:

» Ah, qu'un feul des foupirs, que mon cœur vous envoie,

» S'il s'échappoit vers elle, y porteroit de joie » !

2) Je fçais que de mes vœux on lui promit l'empire. ] L'empire de mes vœux eft un peu obscur.

ANDRO MAQUE.

Et pourquoi vos foupirs feroient-ils repouffés
Auroit-elle oublié vos fervices paffés?

Troye, Hector, contre vous révoltent-ils fon ame?
Aux cendres d'un époux doit-elle enfin fa flamme ?
Et quel époux encore! Ah, fouvenir cruel!
Sa mort feule a rendu votre pere immortel.
Il doit au fang d'Hector tout l'éclat de fes armes;
Et vous n'êtes tous deux connus que par mes larmes.

PYRRH U S.

Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous obéir.
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Oui, mes vœux ont trop loin pouffé leur violence,
Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence. 1)
Songez-y bien. Il faut déformais que mon cœur,
S'il n'aime avec transport, haïffe avec fureur.
Je n'épargnerai rien dans ma jufte colere.
Le fils me répondra des mépris de la mere;
La Grece le demande; & je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à fauver des ingrats.

1) Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence.]

Cette note eft purement grammaticale : mais il eft néceffaire d'obferver qu'on ne s'arrête pas dans un fentiment, dans une pensée, dans un defir; mais à un sentiment, à une pensée, &c.

« AnteriorContinuar »