On craint qu'avec Hector, Troye un jour ne renaisse: Quel fut le fort de Troye, & quel eft fon deftin. 1) Seigneur, tant de prudence entraîne trop de foin, Je ne fçais point prévoir les malheurs de fi loin. ] Penfée conforme à la doctrine des Grecs fur la fatalité. Dans Efchyle, Agamemnon dit à peu près la même chose: En voulant pénétrer dans les profondeurs de l'avenir, on ne fait qu'accroître fes tourments. 2) Je fonge quelle étoit autrefois cette ville.] Et les huit vers fuivants. L'idée de ce morceau paroît tirée de Séneque, acte III. fcene 111. C'eft Andromaque qui parle : Vous craignez, ditelle, qu'Aftianax ne releve les murs de Troye que vous avez embrafée; cette ville eft fans efpoir, fi elle n'a point d'autre reffource que lui. Tout le raifonnement de Pyrrhus eft de la plus grande force, & rien n'eft dit avec plus de précifion, plus d'élégance, plus d'harmonie, & avec des images plus vives. Ah! fi du fils d'Hector la perte étoit jurée, Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée ? Dans le fein de Priam n'a-t-on pu l'immoler? Sous tant de morts, fous Troye, il falloit l'accabler; 1) Tout étoit juste alors. La vieilleffe & l'enfance 2) En vain, fur leur foibleffe, appuyoient leur défenfe. 1) Sous tant de morts, fous Troye, il falloit l'accabler.] Cette raison paroît un peu foible, elle gâte ce beau morceau, & pour fentir combien il est aisé à Orefte d'y répondre, il ne faut que fe rappeller ces quatre vers: » J'apprends que, pour ravir fon enfant au fupplice, » Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse; » Tandis qu'un autre enfant, arraché de vos bras J'aurois, dit Agamemnon, empêché la ruine de Troye, fi la fureur qui nous animoit, & qu'irritoit encore l'ardeur avec laquelle on repouffoit nos coups, avoit pu recevoir le moindre frein. Mais comment ufer modérément d'une victoire qu'on a rem◄ portée dans la nuit ? Les cruautés que nous avons exercées font le crime de la fortune & le trifte effet des tenebres. Épargnons maintenant ce qui refte de Troye, notre vengeance doit être fatisfaite. Je ne permettrai pas, ajoutoit-il, qu'on commette un nouveau crime, & qu'on immole de fang-froid la fille d'un roi, pour appaifer des cendres infenfibles; cet attentat retomberoit fur moi. C'est commettre le crime, que de ne pas s'y oppofer lorsqu'on en a le pouvoir. ANDRO MAQUE. Digne objet de leur crainte! 1) Un enfant malheureux, qui ne fçait pas encor Que Pyrrhus eft fon maître, & qu'il eft fils d'Hector. PYRRH U S. Tel qu'il eft, tous les Grecs demandent qu'il périffe. Le fils d'Agamemnon vient hâter fon fupplice. ANDRO MAQUE. Et vous prononcerez un arrêt fi cruel! Hélas! on ne craint point qu'il venge un jour fon pere; 1) Digne objet de leur crainte! Un enfant malheureux, &c.] Andromaque répond, dans Séneque, à peu près la même chofe : C'est donc là, dit-elle, l'effroi de vos mille vaisseaux, un enfant. 2) Hélas! on ne craint point qu'il venge un jour fon pere; On craint qu'il n'effuyât les larmes de fa mere. Ces deux vers font très-beaux & pleins de fentiments. Il eft fâcheux que la contrainte du vers ait obligé Racine de mettre effuyât au lieu d'essuye; c'est une regle de notre grammaire, que le verbe qui précede la conjonction que étant au préfent de l'indicatif, le verbe fuivant doit être auffi au préfent du fubjonctif, & non à l'imparfait. Racine fait dire ici à Andromaque tout le contraire de Il m'auroit tenu lieu d'un pere & d'un époux; Madame, mes refus ont prévenu vos larmes. ce qu'elle dit dans Euripide: Il me reftoit un fils, on me l'arrache, & on l'immole. On en veut moins à ma vie qu'à la fienne; on craint fa vengeance. 1) Me faudra-t-il encor combattre vos cruautés ?] Ce vers se reffent encore de la galanterie qui avoit tenu fi long-temps fur la fcene la place de la véritable paffion. ANDRO MA QUE. Seigneur, que 1) Faut-il qu'un fi grand cœur montre tant de foiblesse!] Cette réponse admirable intereffe vivement le spectateur en faveur d'Andromaque. 2) Captive, toujours trifte, importune à moi-même, Pouvez-vous fouhaiter qu'Andromaque vous aime?] Captive, qui fe rapporte à Andromaque, paroît être le nominatif de vous, qui fe rapporte à Pyrrhus. Cette conftruction n'est pas fort exacte aux yeux des granimairiens, mais elle a de la grace aux yeux des poëtes. 3) Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés, Qu'à des pleurs éternels vous avez' condamnés ? ] Ces vers étoient ainfi dans les premieres éditions: Que feriez-vous d'un cœur infortunė, " » Qu'à des pleurs éternels vous avez condamné » ? |