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SCENE VI. 1)

NÉRON, AGRIPPINE, BURRHUS, NARCISSE.

DIEUX!

NÉRON, voyant Agrippine.

AGRIP PINE.

Arrêtez, Néron; j'ai deux mots à vous dire : Britannicus eft mort; je reconnois les coups; Je connois l'affaffin.

1) Voici la scene qui précédoit celle-ci; ce fut Boileau qui la fit fupprimer: il ne convenoit point en effet que Junie revint fur la fcene avec Néron.

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NÉRON, à Junie.

De vos pleurs j'approuve la juftice. » Mais, Madame, évitez ce spectacle odieux;

» Moi-même, en frémiffant, j'en détourne les yeux. » Il eft mort: tôt ou tard il faut qu'on vous l'avoue. » Ainfi de nos deftins la fortune fe joue;

» Quand nous nous rapprochons, le ciel nous défunit.

JUNIE.

J'aimois Britannicus, Seigneur, je vous l'ai dit.
» Si de quelque pitié ma mifere eft fuivie,
» Qu'on me laiffe chercher dans le fein d'Octavie
» Un entretien conforme à l'état où je fuis.

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Moi! voilà les foupçons dont vous êtes capable;
Il n'est point de malheur dont je ne fois coupable.
Et, fi l'on veut, Madame, écouter vos difcours,
Ma main de Claude même aura tranché les jours.
Son fils vous étoit cher, fa mort peut vous confondre,
Mais des coups du deftin je ne puis pas répondre.
AGRIP PINE.

Non, non, Britannicus eft mort empoisonné;
Narciffe a fait le coup, vous l'avez ordonné.

NERON.

Madame, mais qui peut vous tenir ce langage? NARCISSE.

Hé, Seigneur! ce foupçon vous fait-il tant d'outrage?

NÉRON.

» Belle Junie, allez; moi-même je vous fuis.
» Je vais par tous les foins que la tendreffe inspire,
» Vous.....

A GRIP PINE.

Arrêtez, Néron; j'ai deux mots à vous dire, &c.»

Britannicus,

Britannicus, Madame, eut des deffeins fecrets
Qui vous auroient coûté de plus juftes regrets.
Il afpiroit plus loin qu'à l'hymen de Junie;
De vos propres bontés il vous auroit punie;
Il vous trompoit vous-même, & fon cœur offenfé 1)
Prétendoit tôt ou tard rappeller le paffé.

Soit donc que, malgré vous, le fort vous ait servie,
Soit qu'inftruit des complots qui menaçoient fa vie,
Sur ma fidélité Céfar s'en foit remis

Laiffez les pleurs, Madame, à vos feuls ennemis; Qu'ils mettent ce malheur au rang des plus finiftres. 'Mais vous....

AGRIP PINE.

Pourfuis, Néron: avec de tels ministres,

Par des faits glorieux tu vas te signaler;
Pourfuis tu n'as pas fait ce pas pour reculer.
Ta main a commencé par le fang de ton frere;
Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mere. 2)

1) Il vous trompoit vous-même, & fon cœur offenfé Prétendoit tôt ou tard rappeller le passé. 1

VARIANTE.

» Madame, il vous trompoit, & fon cœur offenfé
» Prétendoit tôt ou tard rappeller le paffé ».

2) Je prévois que tes coups viendront jufqu'à ta mere.]

Traduction du paffage fuivant de Tacite: Quippe fibi.... parricidii exemplum intelligebat. Lib. XIII, pag. 218.

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Dans le fond de ton cœur je fçais que tu me hais. 1)
Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits.
Mais je veux que ma mort te foit même inutile ;
Ne crois pas qu'en mourant je te laiffe tranquille;
Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi,
Par-tout, à tout moment, m'offriront devant toi;
Tes remords te fuivront comme autant de furies;
Tu croiras les calmer par d'autres barbaries;
Ta fureur, s'irritant foi-même dans fon cours,
D'un fang toujours nouveau marquera tous tes jours.
Mais j'efpere qu'enfin le ciel, las de tes crimes,
Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes;
Qu'après t'être couvert de leur fang & du mien,
Tu te verras forcé de répandre le tien;
Et ton nom paroîtra, dans la race future,
Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. 2)
Voilà ce que mon cœur fe préfage de toi.
Adieu. Tu peux fortir.

NÉRON.

Narciffe, fuivez-moi.

1) Dans le fond de ton cœur je fçais que tu me hais.

VARIANTE.

»Tu te fatigueras d'entendre tes forfaits.

2) Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. ]

Agrippine prèdit ici ce qui eft effectivement arrivé à Néron. On peut placer ces imprécations au rang des plus belles qu'il y ait au théâtre.

Et mouillant de fes pleurs le marbre de fes pieds,
Que de fes bras preffants elle tenoit liés :
Prince,
, par ces genoux, dit-elle, que j'embrasse,
Protege, en ce moment, le refte de ta race.
Rome, dans ton palais, vient de voir immoler
Le feul de tes neveux qui te pût ressembler;
On veut, après fa mort, que je lui fois parjure;
Mais, pour lui conferver une foi toujours pure,
Prince, je me dévoue à ces dieux immortels,
Dont ta vertu t'a fait partager les autels.

Le peuple cependant, que ce spectacle étonne,
Vole de toutes parts, fe preffe, l'environne,
S'attendrit à fes pleurs ; &, plaignant fon ennui,
D'une commune voix la prend fous fon appui;
Ils la menent au temple, où, depuis tant d'années, 1)
Au culte des autels nos vierges destinées,

Gardent fidelement le dépôt précieux

Du feu toujours ardent qui brûle pour nos dieux. Céfar les voit partir fans ofer les diftraire. Narciffe, plus hardi, s'empreffe pour lui plaire;

1) Ils la menent au temple, où, depuis tant d'années, &c.] L'abbé Dubos blâme ici Racine en alléguant les formalités néceffaires pour être reçu parmi les veftales, mais ce n'eft qu'une pure chicane; il est vraisemblable que le peuple a pu faire une exception en faveur de Junie; & la vraifemblance fuffit aux poëtes.

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