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BRITANNICU S.

Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défie ?1)

JUNIE.

Et que fçais-je ! il y va, Seigneur, de votre vie.

1) Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défiè?]

Quoi qu'en dife Louis Racine, Britannicus avoit les plus fortes raifons pour fe défier de Narciffe; cet affranchi a voulu lui perfuader que Junie ne l'aimoit point, & depuis il a été défabusé par fon entretien avec Junie, Il a donc dû voir clairement que Narciffe le trompoit, & qu'il étoit dans les intérêts de fon rival. Racine a cru que la jeuneffe & la noble franchise de Britannicus ne lui permettoient pas de faire toutes ces réflexions.

Racine a fupprimé, dans la réponse de Britannicus, les vers fuivants, & n'a confervé que le dernier qui rend le dialogue plus vif & plus preffé. Après ce vers:

» Mais, Narciffe, Seigneur, ne vous trahit-il point? Britannicus répondoit à Junie -

» Lui me trahir! Hé quoi! vous voulez donc, Madame, » Qu'à d'éternels foupçons j'abandonne mon ame !

» Seul de tous mes amis, Narciffe m'est resté..

» L'a-t-on vu de mon pere oublier la bonté ?

» S'eft-il rendu, Madame, indigne de la mienne?

» Néron, de temps en temps, fouffre qu'il l'entretienne;

» Je le fçais. Mais il peut, fans violer fa foi,

» Tenir lieu d'interprete entre Néron & moi.

» Et pourquoi voulez-vous que mon cœur, s'en défie ?

JUNIE

» Et que fçais-je ! &c. ».

Tout m'eft fufpect. Je crains que tout ne foit féduit.
Je crains Néron, je crains le malheur qui me fuit.
D'un noir preffentiment, malgré moi, prévenue,
Je vous laiffe, à regret, éloigner de ma vue.
Hélas! fi cette paix, dont vous vous repaissez,
Couvroit contre vos jours quelques piéges dreffés;
Si Néron, irrité de notre intelligence,

Avoit choisi la nuit pour cacher sa vengeance;
S'il préparoit fes coups tandis que je vous vois;
Et fi je vous parlois pour la derniere fois!
Ah, prince!

BRITANNICUS,

Vous pleurez ! Ah, ma chere princeffe! Et pour moi jufques-là votre cœur s'intéresse? Quoi, Madame ! en un jour où, plein de fa grandeur, Néron croit éblouir vos yeux de fa fplendeur, Dans des lieux où chacun me fuit & le révere, Aux pompes de fa cour préférer ma misere! Quoi! dans ce même jour, & dans ces mêmes lieux, Refufer un empire, & pleurer à mes yeux! 1) Mais, Madame, arrêtez ces précieuses larmes; Mon retour va bientôt diffiper vos allarmes.

1) Quoi! dans ce même jour, & dans ces mêmes lieux, Refufer un empire, & pleurer à mes yeux!]

On pourroit trouver trop de foibleffe dans ce fentiment & dans cette expreffion, pleurer à mes yeux.

Je me rendrois fufpect par un plus long séjour. Adieu. Je vais, le cœur tout plein de mon amour, Au milieu des tranfports d'une aveugle jeuneffe, Ne voir, n'entretenir que ma belle princeffe. Adieu.

JUNIE.

Prince.

BRITANNICU s.

On m'attend, Madame, il faut partir.

JUNIE.

Mais, du moins, attendez qu'on vous vienne avertir.

SCENE II.

AGRIPPINE, BRITANNICUS, JUNIE.

PRINCE,

AGRIP PINE.

RINCE, que tardez-vous? Partez en diligence. Néron impatient fe plaint de votre abfence. La joie & le plaifir de tous les conviés Attend, pour éclater, que vous vous embraffiez. Ne faites point languir une fi juste envie; Allez. Et nous, Madame, allons chez Octavie.

BRITANNICU S.

Allez, belle Junie, &, d'un efprit content,

Hâtez-vous d'embraffer ma fœur qui vous attend. 1) Dès que je le pourrai, je reviens fur vos traces, Madame; & de vos foins j'irai vous rendre graces.

SCENE III.

AGRIPPINE, JUNIE,

MADAME,

AGRIP PINE.

ADAME, ou je me trompe, ou, durant vos adieux, Quelques pleurs répandus ont obfcurci vos yeux. Puis-je fçavoir quel trouble a formé ce nuage? Doutez-vous d'une paix dont je fais mon ouvrage ?

JUNIE.

Après tous les ennuis que ce jour m'a coûtés, Ai-je pu raffurer mes efprits agités ?

Hélas, à peine encor je conçois ce miracle! Quand même à vos bontés je craindrois quelque obstacle,

1) Allez, belle Junie, &, d'un efprit content, Hâtez-vous d'embrasser ma fœur qui vous attend.]

Ces deux vers reffemblent un peu trop à ceux-ci d'Héraclius:

Allons lui rendre hommage, &, d'un efprit content,

Montrer Héraclius au peuple qui l'attend.

Alle V. Scene VIII

Le changement, Madame, eft commun à la cour;
Et toujours, quelque crainte accompagne l'amour.
AGRIP PINE.

Il fuffit; j'ai parlé, tout a changé de face;
Mes foins à vos foupçons ne laiffent point de place.
Je réponds d'une paix jurée entre mes mains;
Néron m'en a donné des gages trop certains.
Ah! fi vous aviez vu par combien de careffes
Il m'a renouvellé la foi de fes promeffes! 1)
Par quels embraffements il vient de m'arrêter!
Ses bras, dans nos adieux, ne pouvoient me quitter.

1) Ah! fi vous aviez vu par combien de caresses Il m'a renouvellé la foi de fes promesses!

Par quels embraffements il vient de m'arrêter!]

Cette réponse d'Agrippine est traduite prefque mot pour mot de Tacite, qui dit d'Agrippine dans une autre circonf

tance :

Les careffes de fon fils diffiperent fes frayeurs; Néron la reçu avec tendreffe, il la fit affeoir au-dessus de tui, & tui parla tantôt avec cette franchise que donne la jeunesse, tantôt avec la dignité d'un empereur qui l'associoit à fes fecrets. Il la reconduifit enfin, les yeux toujours attachés fur elle, & la ferrant fouvent entre fes bras. Annal. liv. XIII.

Pourquoi Agrippine & Junie, qui étoient fi intéreffées à la réconciliation de Néron & de Britannicus, ne s'y trouvent-elles pas? On voit un peu trop que le poëte les a laiffées fur la fcene, afin qu'elle ne reftât pas vuide.

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