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Mais, fi de vos flatteurs vous fuivez la maxime,
Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime; 1)
Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés,
Et laver dans le fang vos bras enfanglantés.
Britannicus mourant excitera le zele

De fes amis, tout prêts à prendre fa querelle.
Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs, 2)
Qui, même après leur mort, auront des fucceffeurs.
Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre.
Craint de tout l'univers, il vous faudra tout craindre; 3)

1) Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime; Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés. ]

Ceci eft encore pris du traité de la Clémence de Séneque. Ce qu'il y a, dit-il, de plus funeste dans la cruauté, c'est qu'il faut perfévérer dans fes excès, & qu'elle ne laisse aucune voie de retour à la douceur; c'est par les crimes qu'on parvient à foutenir les crimes. Liv. I. chap. XIII.

2) Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenfeurs,

Qui, même après leur mort, auront des fucceffeurs.] Séneque, dans fon traité de la Clémence, falt à Néron la même peinture d'un regne cruel. Les profcriptions fréquentes intimident, dit-il, la haine d'un petit nombre d'hommes, & foulevent tous les autres les parents, les affranchis de ceux qu'on a fait périr, leurs proches, leurs amis fe fuccedent, fe remplacent dans leur mécontentement. Liv. I. chap. VIII.

.....

3) Craint de tout l'univers, il vous faudra tout craindre.] C'est le timet timentes de Séneque dans fon Hercule furieux, acte II. Pensée terrible qui fe trouve chez prefque tous les

Toujours punir, toujours trembler dans vos projets;
Et pour vos ennemis compter tous vos fujets.
Ah! de vos premiers ans, l'heureuse expérience
Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence?
Songez-vous au bonheur qui les a signalés?
Dans quel repos, ô Ciel ! les avez-vous coulés ?
Quel plaifir de penfer & de dire en vous-même :
Par-tout, en ce moment, on me benit, on m'aime ;
On ne voit point le peuple à mon nom s'allarmer; 2)
Le ciel dans tous leurs pleurs ne m'entend point nommer ;

auteurs tragiques, & que Corneille a tournée de cette maniere :

Auteur des maux de tous, à tous il eft en butte.

1) Par-tout, en ce moment on me benit, on m'aime.]

C'est le même difcours, dit Louis Racine, que Séneque fait tenir à Néron: Poffum in qualibet parte urbis folus incedere, fine timore, quamvis nullus fequatur comes, nullus fit domi, nullus ad latus gladius.... Quid pulchrius eft, quàm vivere optantibus cunelis, & vota non fub cuftode nuncupantibus ! Lib. I. de Clement. cap. VIII & XIX.

La peinture d'un bon roi paroîtra belle dans quelque endroit qu'elle foit placée; mais elle fait une impression bien plus vive quand elle eft présentée à un prince dans la situation où se trouve ici Néron.

2) On ne voit point le peuple à mon nom s'allarmer;

Le ciel dans tous leurs pleurs ne m'entend point nommer.] Pleurs a ici un fens plus étendu que dans l'usage ordinaire. On trouve ainfi le premier vers dans quelques éditions: » On ne voit plus le peuple à mon nom s'allarmer ».

Leur fombre inimitié ne fuit point mon visage;
Je vois voler par-tout les cœurs à mon passage! 1)
Tels étoient vos plaifirs. Quel changement, ô Dieux!
Le fang le plus abject vous étoit précieux.
Un jour, il m'en fouvient, le fénat équitable
Vous preffoit de foufcrire à la mort d'un coupable:
Vous réfiftiez, Seigneur, à leur févérité;
Votre cœur s'accufoit de trop de cruauté;
Et, plaignant les malheurs attachés à l'empire,
Je voudrois, difiez-vous, ne fçavoir pas écrire. 2)
Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur
Ma mort m'épargnera la vue & la douleur.

1) Je vois voler par-tout les cœurs à mon passage!} Ce morceau eft de la plus grande éloquence & du plus grand pathétique, c'eft peut-être le feul endroit où Racine arrache des larmes; par-tout ailleurs il n'eft que touchant, mais ici il déchire le cœur. Cette fcene eft la plus belle de cette piece.

2) Un jour, il m'en fouvient, le fénat équitable

Vous preffoit de foufcrire à la mort d'un coupable: &c. Je voudrois, difiez-vous, ne fçavoir pas écrire. ] Ceci est une traduction du paffage fuivant de Suétone : Cum de fupplicio cujufdam capite damnati, ut ex more fubfcriberet admoneretur: quàm vellem, inquit, nefcire litteras. Vie de Néron, liv. VI. chap. X.

On trouve ce même trait dans Séneque, traité de la Clémence, liv. II. chap. 1.

On ne me verra point furvivre à votre gloire,
Si vous allez commettre une action fi noire.
(Je jettant aux pieds de Néron.)

Me voilà prêt, Seigneur. Avant que de partir,
Faites percer ce coeur qui n'y peut confentir.
Appellez les cruels qui vous l'ont inspirée ;
Qu'ils viennent effayer leur main mal affurée....
Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur;
Je vois que fa vertu frémit de leur fureur.
Ne perdez point de temps, nommez-moi les perfides
Qui vous ofent donner ces confeils parricides;
Appellez votre frere, oubliez dans fes bras....

NÉRON.

Ah, que demandez-vous?

BURRH US.

Non, il ne vous hait pas,

Seigneur; on le trahit; je fçais fon innocence,
Je vous réponds pour lui de fon obéifiance.
J'y cours. Je vais preffer un entretien fi doux.

NERON.

Dans mon appartement qu'il m'attende avec vous.

SCENE IV.

NÉRON, NARCISSE.

SEIGNEUR

NARCISSE.

EIGNEUR, j'ai tout prévu pour une mort fi jufte; Le poison est tout prêt 1). La fameuse Locuste 2) A redoublé pour moi fes foins officieux; Elle a fait expirer un esclave à mes yeux. 3)

1) Seigneur, j'ai tout prévu pour une mort si juste; Le poifon est tout prêt.]

Les connoiffeurs ont toujours admiré cet endroit où Burrhus, qui a prefqu'ébranlé Néron, eft fuivi de Narciffe qui détruit par ses suggestions tout ce qu'a fait Burrhus. 2) La fameufe Locuste. ]

Cette Locufte étoit une empoisonneufe, qui fut longtemps, dit Tacite, le principal reffort du regne de Néron. Annales, liv. XII.

3) Elle a fait expirer un esclave à mes yeux.]

Ce vers rappelle celui de Corneille dans Rodogune : Faites faire un effai par quelque domestique.

Ade V. Scene IV.

Tacite ne parle pas de cette épreuve inhumaine, & Suétone dit feulement qu'on la fit fur un bouc, & qu'on la réitéra fur un porc, liv. VI. 33. Si Racine l'a fait faire fur un esclave, c'est fans doute pour développer davantage le caractere féroce de Narciffe.

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