Imágenes de página
PDF
ePub

Du fruit de tant de foins à peine jouiffant,
En avez-vous fix mois paru reconnoissant, 1)
Que laffé d'un respect qui vous gênoit peut-être,
Vous avez affecté de ne me plus connoître.
J'ai vu Burrhus, Séneque, aigriffant vos foupçons,
De l'infidélité vous tracer des leçons,

Ravis d'être vaincus dans leur propre science;
J'ai vu favorifés de votre confiance 2)
Othon, Sénécion, jeunes voluptueux,

Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux.
Et lorfque, vos mépris excitant mes murmures,
Je vous ai demandé raifon de tant d'injures,

1) Du fruit de tant de foins à peine jouissant,

En avez-vous fix mois paru reconnoiffant.]

La tranfpofition du mot à peine nous paroît vicieuse, en ce qu'il peut auffi bien se rapporter à jouissant qu'au participe reconnoiffant de la phrase fuivante.

2) J'ai vu favorisés de votre confiance

Othon, Sénécion, jeunes voluptueux, &c.] On lit dans prefque toutes les éditions:

» J'ai vu favorifer de votre confiance

» Othon, &c. »

Mais nous croyons avec Louis Racine que c'eft une faute d'impreffion, & que la leçon que nous avons fuivie eft la véritable.

Le reproche que fait ici Agrippine à Néron a été fuggéré à Racine par Tacite:

Agrippine ayant fait à Néron les plus vives remontrances

Seul recours d'un ingrat qui fe voit confondu,
Par de nouveaux affronts vous m'avez répondu.
Aujourd'hui je promets Junie à votre frere;

Ils fe flattent tous deux du choix de votre mere.
Que faites-vous? Junie, enlevée à la cour,
Devient, en une nuit, l'objet de votre amour.
Je vois de votre cœur Octavie effacée >
Prête à fortir du lit où je l'avois placée.
Je vois Pallas banni, votre frere arrêté;
Vous attentez enfin jusqu'à ma liberté;
Burrhus ofe fur moi porter fes mains hardies.
Et lorfque, convaincu de tant de perfidies,
Vous deviez ne me voir que pour les expier,
C'est vous qui m'ordonnez de me justifier.

NÉRON.

Je me fouviens toujours que je vous dois l'empire.
Et, fans vous fatiguer du foin de le redire,
Votre bonté, Madame, avec tranquillité
Pouvoit fe repofer fur ma fidélité.

fur la paffion qu'il avoit conçue pour A&té, ce prince choisit pour confidents de fes penchants deux jeunes voluptueux d'une figure agréable, appellés Othon & Sénécion; celui-ci que fon goût pour la débauche, des confidences afforties à ses paffions avoient fait aimer du jeune empereur, entra dans fa confiance à l'infçu d'Agrippine, & fçut enfuite s'y maintenir, malgré tous les efforts qu'elle fit pour la lui faire perdre, Annal. liv. XIII.

Auffi bien ces foupçons, ces plaintes affidues
Ont fait croire à tous ceux qui les ont entendues,
Que jadis (j'ofe ici vous le dire entre nous)
Vous n'aviez, fous mon nom, travaillé que pour vous.
Tant d'honneurs, difoient-ils, & tant de déférences;
Sont-ce de fes bienfaits de foibles récompenses?
Quel crime a donc commis ce fils tant condamné?
Eft-ce pour obéir qu'elle l'a couronné?

N'eft-il de fon pouvoir que le dépofitaire?

Non, que fi jufques-là j'avois pu vous complaire,
Je n'euffe pris plaifir, Madame, à vous céder
Ce pouvoir que vos cris fembloient redemander.
Mais Rome veut un maître, & non une maîtreffe. 1)
Vous entendiez les bruits qu'excitoit ma foibleffe.
Le fénat chaque jour, & le peuple irrités
De s'ouir par ma voix dicter vos volontés,
Publioient qu'en mourant, Claude, avec fa puiffance,
M'avoit encor laiffé fa fimple obéiffance.

Vous avez vu cent fois nos foldats en courroux,
Porter, en murmurant, leurs aigles devant vous;

1) Mais Rome veut un maître, & non une maîtresse.] Les raifons que Néron donne font très-fortes, c'est dommage qu'il parle à fa mere; mais il ne faut pas oublier que c'est Néron.

و

[ocr errors]

2) Vous avez vu cent fois nos foldats en courroux Porter, en murmurant, leurs aigles devant vous. Exemple fans doute, dit Tacite, bien éloigné des mœurs

Honteux de rabaiffer, par cet indigne usage,
Les héros dont encore elles portent l'image.
Toute autre fe feroit rendue à leurs difcours :
Mais fi vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.
Avec Britannicus contre moi réunie

Vous le fortifiez du parti de Junie;

Et la main de Pallas trame tous ces complots.
Et lorfque, malgré moi, j'affûre mon repos,
On vous voit de colere & de haine animée.
Vous voulez présenter mon rival à l'armée.
Déjà jufques au camp le bruit en a couru.
AGRIP PINE.

Moi, le faire empereur? Ingrat, l'avez-vous cru?
Quel feroit mon deffein? Qu'aurois-je pu prétendre?
Quels honneurs dans fa cour, quel rang pourrois-je

attendre ?

Ah! fi fous votre empire on ne m'épargne pas,
Si mes accufateurs obfervent tous mes pas;

Si de leur empereur ils pourfuivent la mere,
Que ferois-je au milieu d'une cour étrangere?
Ils me reprocheroient, non des cris impuiffants, 1)

anciennes, de voir, au milieu des aigles romaines, une femme placée fur le trône des Céfars. Annal. liv. XII.

1) Ils me reprocheroient, non des cris impuissants, &c.] Cette idée eft empruntée de la réponse pleine de hauteur que fit Agrippine à Burrhus, chargé de l'interroger fur les

Des deffeins étouffés auffi-tôt que naiffants;
Mais des crimes pour vous commis à votre vue,
Et dont je ne ferois que trop tôt convaincue.
Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours:
Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours.
Dès vos plus jeunes ans, mes foins & mes tendreffes
N'ont arraché de vous que de feintes caresses.
Rien ne vous a pu vaincre, & votre dureté
Auroit dû dans fon cours arrêter ma bonté.
Que je fuis malheureuse! Et par quelle infortune
Faut-il que tous mes foins me rendent importune?
Je n'ai qu'un fils. O Ciel, qui m'entends aujourd'hui !
T'ai-je fait quelques vœux qui ne fuffent pour lui?
Remords, crainte, périls, rien ne m'a retenue.
J'ai vaincu fes mépris, j'ai détourné ma vue
Des malheurs qui dès-lors me furent annoncés.
J'ai fait ce que j'ai pu. Vous régnez, c'est affez. 1)

différents chefs d'accufation intentée contre elle. Il n'y a point ici d'accufateurs qui me reprochent, non les difcours quelquefois peu mesurés d'une mere outragée, mais des crimes dont je ne pourrois être justifiée que par mon fils. Annal. liv. XIII. Vous régnez, c'eft affez.]

1)

Ceci paroît avoir rapport au fait fuivant. Selon Tacite Agrippine confulta des devins fur la deftinée de Néron; ils l'affûrerent qu'il parviendroit à l'empire, & qu'il la feroit mourir j'y confens, dit-elle, pourvu qu'il regne.. Atqui illa: occidat, inquit, dum imperet. Annal. liv. XII.

Avec

« AnteriorContinuar »