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Je vous nommai fon gendre, & vous donnai fa fille. 1)
Silanus, qui l'aimoit, s'en vit abandonné,
Et marqua, de fon fang, ce jour infortuné. 2)
Ce n'étoit rien encore. Euffiez-vous pu prétendre 3)
Qu'un jour Claude à fon fils dût préférer fon gendre?

1) C'étoit beaucoup pour moi, ce n'étoit rien
pour vous.
Je vous fis, fur mes pas, entrer dans fa famille ;

Je vous nommai fon gendre, & vous donnai fa fille.] Dès qu'Agrippine, dit Tacite, fut affûrée de fon mariage. avec Claude, elle projetta de marier fon fils Domitius avec Octavie, fille de Céfar; mariage qu'on ne pouvoit confommer fans crime, Octavie ayant été fiancée avec Silanus. Annal. liv. XII,

2) Silanus, qui l'aimoit, s'en vit abandonné,

Et marqua de fon fang
de fon fang ce jour infortuné.]

Le jour qu'Agrippine époufa Claude, Silanus fe donna fa mort; foit qu'il penfât, dit Tacite, pouvoir prolonger jufques-là la durée de fes jours, ou qu'il fe fût flatté de rendre plus odieuse la célébration de ce mariage. Annal. liv. XII 3) Ce n'étoit rien encore. Euffiez-vous pu prétendre, &c.] Tout ce morceau eft de la main d'un grand maître, tout y eft vu en grand, tout eft noble fans être gigantefque : il femble que Racine ait voulu lutter ici contre le difcours de Cléopâtre dans la tragédie de Rodogune par Corneille ; mais, comme le dit M. de Voltaire, la fituation de Cléopâtre eft bien plus frappante que celle d'Agrippine, l'intérêt est plus grand, & la fcene bien autrement intéreffante. Remarques fur Rodogune, fcene 111. Racine l'emporte du moins fur Corneille par le charme de la diction.

De ce même Pallas j'implorai le fecours:
Claude vous adopta, vaincu par fes difcours,
Vous appella Néron, & du pouvoir suprême,
Voulut, avant le temps, vous faire part lui-même.
C'est alors 1) que chacun, rappellant le paffé,
Découvrit mon deffein déjà trop avancé;
Que de Britannicus la difgrace future,
Des amis de fon pere excita le murmure.
Mes promeffes aux uns éblouirent les yeux;
L'exil me délivra des plus féditieux.

Claude même, laffé de ma plainte éternelle,
Éloigna de fon fils tous ceux de qui le zele,
Engagé dès long-temps à fuivre fon destin,
Pouvoit du trône encor lui r'ouvrir le chemin.

1) C'eft alors, &c.

Que de Britannicus la difgrace future,

&c. 1

Des amis de fon pere excita le murmure, Traduction d'un paffage de Tacite: Il n'y avoit perfonne, dit-il, qui fût affez dépourvu de fentiment pour ne pas être affligé de l'infortune de Britannicus. Annal. liv. XII.

on

Tacite ajoute que Claude punit de mort & d'exil les gouverneurs de fon fils les plus diftingués par leurs vertus . . . . . éloigna les centurions & les tribuns qui paroissoient prendre quelque part à fa fortune; on lui ôta toute efpece de liaison avec les affranchis dont la fidélité ne s'étoit point démentie. Ce fut Agrippine qui choifit les perfonnes qui devoient les remplacer. Ibid.

Je fis plus. Je choisis moi-même, dans ma suite
Ceux à qui je voulois qu'on livrât fa conduite;
J'eus foin de vous nommer, par un contraire choix,
Des gouverneurs que Rome honoroit de fa voix.
Je fus fourde à la brigue, & crus la renommée;
J'appellai de l'exil, je tirai de l'armée

Et ce même Séneque, & ce même Burrhus,
Qui depuis....Rome alors eftimoit leurs vertus.
De Claude en même temps, épuisant les richesses
Ma main, fous votre nom, répandoit fes largesses;
Les fpectacles, les dons, invincibles appas;
Vous attiroient les cœurs du peuple & des foldats,
Qui d'ailleurs, réveillant leur tendreffe premiere,
Favorifoient en vous Germanicus mon pere.
Cependant Claudius penchoit vers fon déclin; 1)
Ses yeux,
long-temps fermés, s'ouvrirent à la fin.
Il connut fon erreur. Occupé de fa crainte,
Il laiffa, pour fon fils, échapper quelque plainte;

1) Cependant Claudius penchoit vers fon déclin ;

Ses yeux, long-temps fermés, s'ouvrirent à la fin, &c.] Suétone prétend que Claude ne put pas s'empêcher de faire connoître le regret qu'il avoit d'avoir époufé Agrippine, & adopté Néron. Ce repentir lui coûta la vie.

Au milieu de ces inquiétudes, dit Tacite, la fanté de Claude fe dérangea. L'empereur fe fit transporter à Sinueffe, pour la rétablir; Agrippine profita de cette occafion pour l'empoisonner. Annal. liv. XII.

Et voulut, mais trop tard, affembler fes amis.
Ses gardes, fon palais, fon lit m'étoient foumis.
Je lui laiffai fans fruit consumer fa tendreffe;
De fes derniers foupirs je me rendis maîtreffe.
Mes foins, en apparence, épargnant fes douleurs,
De fon fils, en mourant, lui cacherent les pleurs. 1)
Il mourut. Mille bruits en courent à ma honte.
J'arrêtai de fa mort la nouvelle trop prompte;
Et tandis que Burrhus alloit fecrétement 2)
De l'armée en vos mains exiger le ferment,
Que vous marchiez au camp,conduit fous mes aufpices;

1) Mes foins, en apparence, épargnant fes douleurs,

De fon fils, en mourant, lui cacherent les pleurs.] De la maniere dont eft placé le gérondif en mourant, on ne fçait s'il fe rapporte à Claude ou à fon fils; le fens eft pour le premier, la conftruction de la phrafe eft pour le fecond; Claude, qui n'eft point dans cette phrase, est trop éloigné de ce gérondif pour n'y pas jetter quelqu'obscurité. 2) Et tandis que Burrhus alloit fecrétement

De l'armée en vos mains exiger le ferment, &c.] C'eft de Tacite que Racine a emprunté cette circonftance. On ouvrit, dit-il, les portes du palais ; & Néron, accompagné de Burrhus, chef des cohortes prétoriennes, s'avança vers les compagnies qui étoient de garde; &, mis dans une litiere,..... ce prince fut porté au camp; il y promit des récompenfes aux foldats, & fut falué empereur. Le fénat ratifia cette élection, qui fut bientôt fuivie de l'obéiffance des provinces. Annal. liv. XH. Suétone, liv. VI.8.

Dans Rome les autels fumoient de facrifices; 1)
Par mes ordres trompeurs tout le peuple excité,
Du prince déjà mort demandoit la fanté,
Enfin des légions l'entiere obéiffance

Ayant de votre empire affermi la puissance,
On vit Claude; & le peuple, étonné de son sort,
Apprit en même temps votre regne & sa mort.
C'est le fincere aveu que je voulois vous faire. 2)
Voilà tous mes forfaits. En voici le falaire. 3)

1) Dans Rome les autels fumoient de facrifices,
Par mes ordres trompeurs tout le peuple excité,
Du prince déjà mort demandoit la fanté. }

Autre trait emprunté de Tacite. Pendant que Claude étoit fans vie, le fénat s'affembloit, & faifoit, conjointement avec les confuls & les pontifes, les voeux les plus ardents pour le rétablissement de fa fanté: on apportoit cependant des remedes à l'empereur, comme si il eût été encore en vie ; & tandis qu'on déroboit la connoiffance de fa mort, on travailloit à affûrer l'empire à Néron. Annal. liv. XII. Suétone, liv. V. 45.

2) C'est le fincere aveu que je voulois vous faire.]

Ce vers inutile gâte un peu cette belle tirade: tel est l'inconvénient de la rime.

3) Voilà tous mes forfaits. En voici le falaire.]

La divifion de ce difcours eft très-ingénieuse. Dans la premiere partie on voit un tableau vif & frappant de la conduite artificieufe & criminelle qu'Agrippine a tenue pour faire monter Néron fur le trône des Céfars. La feconde partie de ce difcours présente une peinture auffi vraie de la cour & du caractere de ce jeune empereur.

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