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Tel qu'on a vu fon pere, embraser nos vaiffeaux, 1)
Et, la flamme à la main, les fuivre fur les eaux.
Oferai-je, Seigneur, dire ce que je pense?
Vous-même, de vos foins craignez la récompenfe; 2)
dans votre fein, ce ferpent élevé, 3)

Et que,

Si nous ne craignions de fatiguer le lecteur, nous citerions encore la réponse de Pyrrhus, où les mêmes idées fe rencontrent encore, défigurées par la touche barbare de ce miférable copifte.

1) Tel qu'on a vu fon pere, embrafer nos vaisseaux,

Et, la flamme à la main, les fuivre fur les eaux.]
Idée empruntée de Virgile:

Hei mihi qualis erat! quantùm mutatus ab illo
Hectore, qui redit exuvias indutus Achillis,

Vel Danaum Phrygios jaculatus puppibus ignes!

Hélas, dans quel état je le voyois ! qu'il étoit différent de lui-même! ce n'étoit plus cet Hector qui, vainqueur de Patrocle & chargé des dépouilles d'Achille, revenoit triomphant d'embrafer la flotte des Grecs.

Séneque, dans fa Troade, acte III. fcenc premiere, a, suivant fa coutume, employé fix vers pour rendre la même idée. 2) Vous-même, de vos foins craignez la récompenfe.]

Orefte fçait bien que ce n'eft point par un fentiment de crainte qu'il peut gagner le fils d'Achille. Il demande tout, pour ne rien obtenir.

3) Et que, dans votre fein, ce ferpent élevé.]

Image fouvent employée, dont Eschyle paroît avoir fait ufage le premier. Clytemnestre croit en fonge réchauffer dans fon fein & allaiter un ferpent, qui au lieu de lait, lui tire du fang. Les Coëphores.

Ne vous puniffe un jour de l'avoir confervé.
Enfin, de tous les Grecs fatisfaites l'envie;
Affurez leur vengeance, affurez votre vie.
Perdez un ennemi d'autant plus dangereux,
Qu'il s'effaîra fur vous à combattre contr'eux.
PYRRH US.

La Grece en ma faveur eft trop inquiétée.
De foins plus importants je l'ai crue agitée,
Seigneur; & fur le nom de fon ambassadeur
J'avois, dans fes projets, conçu plus de grandeur.
Qui croiroit, en effet, qu'une telle entreprise
Du fils d'Agamemnon méritât l'entremise?

Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N'eût daigné confpirer que la mort d'un enfant ?
Mais à qui prétend-on que je le facrifie ?
La Grece a-t-elle encor quelque droit sur sa vie?
Et, feul de tous les Grecs, ne m'eft-il pas permis
D'ordonner d'un captif que le fort m'a foumis?
Oui, Seigneur, lorfqu'aux pieds des murs fumants
de Troye,

Les vainqueurs, tout fanglants, partagerent leur proie,
Le fort, dont les arrêts furent alors fuivis,
Fit tomber en mes mains Andromaque & fon fils.
Hécube, près d'Ulyffe, acheva fa mifere;
Caffandre dans Argos a fuivi votre pere.

Sur eux, fur leurs captifs, ai-je étendu mes droits
Ai-je enfin difpofé du fruit de leurs exploits è

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On craint qu'avec Hector, Troye un jour ne renaisse:
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse.
Seigneur, tant de prudence entraîne trop de foin; 1)
Je ne fçais point prévoir les malheurs de fi loin,
Je fonge quelle étoit autrefois cette ville 2)
Si fuperbe en remparts, en héros fi fertile,
Maîtreffe de l'Afie; & je regarde, enfin,
Quel fut le fort de Troye, & quel est fon deftin.
Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de fang, des campagnes défertes
Un enfant dans les fers; & je ne puis fonger
Que Troye, en cet état, afpire à fe venger.

1) Seigneur, tant de prudence entraîne trop de foin,

Je ne fçais point prévoir les malheurs de fi loin. ]

Penfée conforme à la doctrine des Grecs fur la fatalité. Dans Eschyle, Agamemnon dit à peu près la même chose: En voulant pénétrer dans les profondeurs de l'avenir, on ne fait qu'accroître fes tourments.

2) Je fonge quelle étoit autrefois cette ville.]

Et les huit vers fuivants.

L'idée de ce morceau paroît tirée de Séneque, acte III. fcene 111. C'eft Andromaque qui parle : Vous craignez, ditelle, qu'Aftianax ne releve les murs de Troye que vous avez embrafée; cette ville eft fans efpoir, fi elle n'a point d'autre refource que lui.

Tout le raifonnement de Pyrrhus eft de la plus grande force, & rien n'eft dit avec plus de précifion, plus d'élégance, plus d'harmonie, & avec des images plus vives.

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Ah! fi du fils d'Hector la perte étoit jurée,
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée?
Dans le fein de Priam n'a-t-on pu l'immoler?
Sous tant de morts, fous Troye, il falloit l'accabler; 1)
Tout étoit jufte alors. La vieilleffe & l'enfance 2)
En vain, fur leur foibleffe, appuyoient leur défense.

1) Sous tant de morts, fous Troye, il falloit l'accabler.] Cette raison paroît un peu foible, elle gâte ce beau morceau, & pour fentir combien il eft aifé à Orefte d'y répondre, il ne faut que fe rappeller ces quatre vers: "J'apprends que, pour ravir fon enfant au fupplice, » Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse;

» Tandis qu'un autre enfant, arraché de vos bras,
» Sous le nom de fon fils, fut conduit au trépas ».
2) Tout étoit jufte alors. La vieilleffe & l'enfance, &c.]
Imitation de Séneque: acte II. fcene 11.

J'aurois, dit Agamemnon, empêché la ruine de Froye, fi la fureur qui nous animoit, & qu'irritoit encore l'ardeur avec laquelle on repouffoit nos coups, avoit pu recevoir le moindre frein. Mais comment ufer modérément d'une victoire qu'on a rem portée dans la nuit ? Les cruautés que nous avons exercées font le crime de la fortune & le trifte effet des tenebres. Épargnons maintenant ce qui refte de Troye, notre vengeance doit être fatisfaite. Je ne permettrai pas, ajoutoit-il, qu'on commette un nouveau crime, & qu'on immole de fang-froid la fille d'un roi, pour appaifer des cendres infenfibles; cet attentat retomberoit fur moi. C'est commettre le crime, que de ne pas s'y oppofer lorfqu'on en a le pouvoir.

La victoire & la nuit, plus cruelles que nous
Nous excitoient au meurtre, & confondoient nos

coups.

Mon courroux aux vaincus ne fut que trop févere.
Mais que ma cruauté furvive à ma colere!

Que, malgré la pitié dont je me fens faifir
Dans le fang d'un enfant je me baigne à loisir!
Non, Seigneur, que les Grecs cherchent quelque
autre proie,

Qu'ils pourfuivent ailleurs ce qui refte de Troye :
De mes inimitiés le cours eft achevé;

L'Épire fauvera ce que Troye a fauvé,

OREST E,

Seigneur, vous fçavez trop, avec quel artifice,
Un faux Aftyanax fut offert au fupplice

Où le feul fils d'Hector devoit être conduit ;
Ce n'est pas les Troyens, c'eft Hector qu'on poursuit,
Oui, les Grecs, fur le fils, perfécutent le pere. 2)

Il

a, par trop de fang, acheté leur colere.

1) Mais que ma cruauté furvive à ma colere!]

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Quoique ce fentiment de générofité ne foit infpiré à Pyrrhus que par l'amour qu'il a pour Andromaque, il n'en fait pas moins de plaisir.

2) Oui, les Grecs, fur le fils, perfécutent le pere.

M. l'abbé d'Olivet reprend ce vers; il voudroit qu'il y eût dans le fils, au lieu de fur le fils: il a raifon au tribunal

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