Imágenes de página
PDF
ePub

Séneque, dont les foins me devroient soulager,
Occupé loin de Rome, ignore ce danger.
Mais quoi! Si d'Agrippine excitant la tendreffe,
Je pouvois... La voici, mon bonheur me l'adreffe.

SCENE III.

AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE.

AGRIP PINE.

Hi bien, je me trompois, Burrhus, dans mes

foupçons !

Et vous vous fignalez par d'illuftres leçons.
On exile Pallas, dont le crime, peut-être,
Eft d'avoir à l'empire élevé votre maître.
Vous le fçavez trop bien. Jamais, fans fes avis,
Claude qu'il gouvernoit n'eût adopté mon fils.
Que dis-je? A fon épouse on donne une rivale;
On affranchit Néron de la foi conjugale:
Digne emploi d'un miniftre ennemi des flatteurs,
Choisi pour mettre un frein à fes jeunes ardeurs,
De les flatter lui-même, & nourrir dans fon ame
Le mépris de fa mere & l'oubli de fa femme!

BURRH U S.

Madame, jufqu'ici c'eft trop tôt m'accuser; L'empereur n'a rien fait qu'on ne puiffe excufer.

N'imputez qu'à Pallas un exil néceffaire;

Son orgueil, dès long-temps, exigeoit ce falaire;
Et l'empereur ne fait qu'accomplir à regret
Ce que toute la cour demandoit en fecret.

Le refte eft un malheur qui n'eft point fans reffource.
Des larmes d'Octavie on peut tarir la fource.
Mais calmez vos transports; par un chemin plus doux,
Vous lui pourrez plutôt ramener son époux.
Les menaces, les cris le rendront plus farouche.

AGRIP PINE.

Ah! l'on s'efforce en vain de me fermer la bouche.
Je vois que mon filence irrite vos dédains;
Et c'est trop respecter l'ouvrage de mes mains.
Pallas n'emporte pas tout l'appui d'Agrippine;
Le ciel m'en laiffe affez pour venger ma ruine.
Le fils de Claudius commence à reffentir
Des crimes, dont je n'ai que le feul repentir:

1) Le fils de Claudius commmence à ressentir

1)

Des crimes, dont je n'ai que le feul repentir: &c.] Commence à reffentir des crimes, pour commence à être fenfible aux injuftices; c'eft l'unique fois que cette expreffion, peut-être trop obfcure, fe rencontre dans Racine.

Tout ce beau morceau eft entiérement imité de Tacite : Après la difgrace de Pallas, Agrippine emportée par fa fùreur, ne put en contenir les tranfports; elle s'épuifa en menaces ne ceffa de répéter à fon fils que Britannicus étoit dans un âge

elle

J'irai, n'en doutez point, le montrer à l'armée;
Plaindre aux yeux des foldats fon enfance opprimée;
Leur faire, à mon exemple, expier leur erreur.
On verra d'un côté le fils d'un empereur,
Redemandant la foi jurée à fa famille;

Et de Germanicus on entendra la fille.
De l'autre, l'on verra le fils d'Ænobarbus
Appuyé de Séneque & du tribun Burrhus,
Qui, tous deux de l'exil rappellés par moi-même,
Partagent à mes yeux l'autorité fuprême.

De nos crimes communs je veux qu'on foit inftruit;
On fçaura les chemins par où je l'ai conduit.
Pour rendre fa puiffance & la vôtre odieuses,
J'avourai les rumeurs les plus injurieuses;

qui le rendoit propre à tout: qu'il étoit le vrai, le digne rejetton d'un fang qui lui donnoit droit de fuccéder à fon pere dans l'administration d'un empire gouverné par un prince adoptif qui ne le devoit qu'aux crimes de fa mere: qu'elle ne pouvoit plus diffimuler les défaftres de cette famille infortunée, fon mariage inceftueux, fes empoisonnements : que c'étoit par un effet de fa prudence & de la fageffe des dieux, qu'elle avoit eu le fecret de conferver la vie à fon beau-fils: qu'elle iroit le montrer à l'armée : qu'on entendroit d'un côté la fille de Germanicus, de l'autre Burrhus & Séneque qu'elle avoit rappellés de l'exil, prétendre tous deux à l'honneur de gouverner le genre humain; celui-là par quelques légeres blessures, & celui-ci par une frivole éloquence. Annal. liv. XIII.

Je

Je confefferai tout, exils, affaffinats,

Poison même...... I)

BURRH US.

Madame, ils ne vous croiront pas.

Ils fçauront récufer l'injufte ftratagême

D'un témoin irrité qui s'accuse lui-même.
Pour moi, qui le premier fecondai vos deffeins,
Qui fis même jurer l'armée entre ses mains,
Je ne me repens point de ce zele fincere,
Madame; c'est un fils qui fuccede à fon pere:
En adoptant Néron, Claudius par fon choix,
De fon fils & du vôtre a confondu les droits.
Rome l'a pu choifir. Ainfi, fans être injufte,
Elle choisit Tibere adopté par Auguste;

1) Je confefferai tout, exils, assassinats ̧
Poifon même......] ]

C'est bien ici le lieu de diré avec Séneque, muliebre eft furere in ira; de Clementia, lib. I. cap. v. Tant qu'Agrippine a regné fous le nom de fon fils, elle n'a point pensé à dévoiler les moyens injuftes qu'elle avoit mis en œuvre pour lui affurer l'empire; ce n'eft que depuis qu'il a refusé de la faire entrer en partage de fon autorité qu'elle a imaginé de faire ufage de cet expédient.

La réponse de Burrhus eft de toute beauté, elle fait d'autant plus de plaifir qu'on ne s'attend point à la maniere fublime dont il déconcerte Agrippine.

[blocks in formation]

Et le jeune Agrippa, de fon fang descendu, 1)
Se vit exclus d'un rang vainement prétendu.
Sur tant de fondements fa puiffance établie,
Par vous-même aujourd'hui ne peut être affoiblie;
Et s'il m'écoute encor, Madame, fa bonté
Vous en fera bientôt perdre la volonté.
J'ai commencé, je vais pourfuivre mon ouvrage.

DANS

SCENE IV.

AGRIPPINE, ALBINE.

ALBIN E.

ANS quel emportement la douleur vous engage, Madame ! l'empereur puiffe-t-il l'ignorer!

AGRIPPINE.

Ah, lui-même à mes yeux puiffe-t-il fe montrer! ALBIN E.

Madame, au nom des dieux, cachez votre colere. Quoi! pour les intérêts de la foeur ou du frere

2) Et le jeune Agrippa, de fon fang defcendu, &c.] C'étoit Julius Agrippa, fils pofthume du célebre Vipfanius Agrippa & de Julie, fille d'Auguste; sa jeunesse n'annonçant que des inclinations perverses, Augufte le relégua à Sorrento, & quelque temps après dans l'ifle de Planefia, où il

mourut.

« AnteriorContinuar »