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SCENE V.

JUNIE, NARCISSE.

JUNIE.

Aн, cher Narciffe ! cours au devant de ton maître,

Dis lui... Je fuis perdue, & je le vois paroître.

SCENE VI.

BRITANNICUS, JUNIE, NARCISSE.

BRITANNICU s.

MADAME, quel bonheur me rapproche de vous?

Quoi! je puis donc jouir d'un entretien fi doux?
Mais parmi ce plaifir, quel chagrin me dévore? 1)
Hélas! puis-je efpérer de vous revoir encore?
Faut-il que je dérobe, avec mille détours,
Un bonheur que vos yeux m'accordoient tous les
jours ?

1) Mais parmi ce plaifir, quel chagrin me dévore?] Parmi exige toujours après lui un pluriel ou un nom collectif, comme parmi les plaifirs, parmi la foule; mais on ne peut pas dire avec exactitude, parmi ce plaifir.

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Quelle nuit! Quel réveil ! Vos pleurs, votre présence, N'ont point de ces cruels défarmé l'infolence? Que faifoit votre amant? Quel démon envieux M'a refufé l'honneur de mourir à vos yeux ? Hélas! dans la frayeur dont vous étiez atteinte, M'avez-vous, en fecret, adreffé quelque plainte? Ma princeffe, avez-vous daigné me fouhaiter? 1) Songiez-vous aux douleurs que vous m'alliez coûter? Vous ne me dites rien ! Quel accueil! quelle glace! Eft-ce ainfi que vos yeux confolent ma disgrace? Parlez; nous fommes feuls. Notre ennemi trompé, Tandis que je vous parle, eft ailleurs occupé. Ménageons les moments de cette heureufe abfence. JUNIE.

Vous êtes en des lieux tout pleins de fa puiffance; Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir des yeux; Et jamais l'empereur n'eft abfent de ces lieux.

BRITANNICU s.

Et depuis quand, Madame, êtes-vous fi craintive? Quoi! déjà votre amour fouffre qu'on le captive? Qu'eft devenu ce cœur qui me juroit toujours De faire à Néron même envier nos amours?

1) Ma princeffe, avez-vous daigné me fouhaiter?] Ma princesse paffe maintenant pour une expreffion fade. 2) De faire à Néron même envier nos amours?] Tout ce que dit Britannicus va le perdre ; Junie qui voit

Mais banniffez, Madame, une inutile crainte;
La foi dans tous les cœurs n'eft pas encore éteinte;
Chacun femble des yeux approuver mon courroux;
La mere de Néron fe déclare pour nous.
Rome, de fa conduite elle-même offenfée......
JUNIE.

Ah, Seigneur ! vous parlez contre votre pensée.
Vous-même vous m'avez avoué mille fois
Que Rome le louoit d'une commune voix;
Toujours à fa vertu vous rendiez quelque hommage.
Sans doute la douleur vous dicte ce langage.

BRITANNICU S.

Ce difcours me furprend, il le faut avouer.
Je ne vous cherchois pas pour l'entendre louer.
Quoi! pour vous confier la douleur qui m'accable,
A peine je dérobe un moment favorable;

Et ce moment fi cher, Madame, eft confumé
A louer l'ennemi dont je fuis opprimé !
Qui vous rend à vous-même en un jour fi contraire?
Quoi! même vos regards ont appris à fe taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux?
Néron vous plairoit-il ? Vous ferois-je odieux?

le danger où il s'engage, l'interrompt pour lui prêter des fentiments qu'il n'a jamais eus. Quelques critiques ont trouvé ce détour un peu trop fin pour une jeune princeffe, qui, comme elle le dit, ne fçait point feindre.

Ah, fi je le croyois!... Au nom des Dieux, Madame, Éclairciffez le trouble où vous jettez mon ame; Parlez ne fuis-je plus dans votre fouvenir?

JUNIE.

Retirez-vous, Seigneur, l'empereur va venir.

BRITANNICU s.

Après ce coup, Narciffe, à quoi dois-je m'attendre ?1)

SCENE VII.

NÉRON, JUNIE, NARCISSE.

MADAME.....

NERON.

JUNIE.

Non, Seigneur, je ne puis rien entendre. 2)

Vous êtes obéi. Laiffez couler du moins

Des larmes dont fes

yeux ne feront pas témoins.

1) Après ce coup, Narciffe, à quoi dois-je m'attendre?] Cette fcene eft d'un rare artifice & d'un merveilleux intérêt ; tant qu'elle dure, des trois acteurs qui la composent, deux font dans un continuel fupplice; il ne s'y profere pas un feul mot qui n'ajoute à la crife & à la fituation. Non, Seigneur, je ne puis rien entendre. ] Il y a beaucoup d'adreffe à ne point laiffer Junie en scene avec Néron; cette princeffe n'auroit pu qu'éclater en re

2)

SCENE VIII.

NÉRON, NARCISSE.

NERON.

Hi bien, de feur amour tu vois la violence

Narciffe; elle a paru jufques dans fon filence;
Elle aime mon rival, je ne puis l'ignorer..
Mais je mettrai ma joie à le défefpérer.
Je me fais de fa peine une image charmante
Et je l'ai vu douter du cœur de fon amante.
Je la fuis. Mon rival t'attend pour éclater:
Par de nouveaux foupçons, va, cours le tourmenter;
Et, tandis qu'à mes yeux on le pleure, on l'adore,
Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore. 1)
NARCISSE, feul.

La fortune t'appelle une feconde fois,

Narciffe; voudrois-tu résister à sa voix? fa

proches qui n'auroient produit d'autre effet que de démentir fon caractere de douceur & d'honnêteté, & irriter Néron davantage.

1) Et, tandis qu'à mes yeux on le pleure, on l'adore,

Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore.]

Ce rafinement de cruauté eft digne de Néron.

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