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Paffe fubitement, de cette nuit profonde, 1)
Dans un rang qui l'expofe aux yeux de tout le monde;
Dont je n'ai pu de loin foutenir la clarté,
Et dont une autre enfin remplit la majesté.
NÉRON.

Je vous ai déjà dit que je la répudie.

Ayez moins de frayeur, ou moins de modeftie.
N'accufez point ici mon choix d'aveuglement;
Je vous réponds de vous, confentez feulement;
Du fang dont vous fortez rappellez la mémoire,
Et ne préférez point à la folide gloire
Des honneurs dont Céfar prétend vous revêtir,
La gloire d'un refus, fujet au repentir.

JUNIE.

Le ciel connoît, Seigneur, le fond de ma pensée;
Je ne me flatte point d'une gloire insensée;
Je fçais de vos préfens mefurer la grandeur.
Mais plus ce rang fur moi répandroit de fplendeur,

1) Paffe fubitement, de cette nuit profonde,

Dans un rang qui l'expofe aux yeux de tout le monde ;
Dont je n'ai pu de loin foutenir la clarté,

Et dont une autre enfin remplit la majefté. }

On dit à un roi, felon Louis Racine, la majefté, la Splendeur de votre rang, & non pas la clarté. Ici, ce mot, qui répond à cette nuit profonde, eft amené fi naturellement, qu'il paroît néceffaire.

Plus il me feroit honte, & mettroit en lumiere Le crime d'en avoir dépouillé l'héritiere.

NERON.

C'eft de fes intérêts prendre beaucoup de foin,
Madame, & l'amitié ne peut aller plus loin.
Mais ne nous flattons point, & laiffons le myftere;
Lafœur vous touche ici beaucoup moins que le frere;
pour Britannicus......

Et

JUNIE.

Il a fçu me toucher,

Seigneur, & je n'ai point prétendu m'en cacher.
Cette fincérité, fans doute, eft peu difcrete;
Mais toujours de mon cœur ma bouche eft l'interprete.
Abfente de la cour, je n'ai pas dû penfer, 1)
Seigneur, qu'en l'art de feindre il fallût m'exercer.
J'aime Britannicus; je lui fus destinée,
Quand l'empire devoit fuivre fon hyménée.
Mais ces mêmes malheurs qui l'en ont écarté,
Ses honneurs abolis, fon palais déserté,
La fuite d'une cour que fa chûte a bannie
Sont autant de liens qui retiennent Junie.

1) Abfente de la cour, je n'ai pas dû penser.]

Tout ce que dit Junie, eft plein de grace, de candeur & de nobleffe; Racine eft le feul qui ait réuffi à peindre l'ingénuité.

Tout ce que vous voyez confpire à vos defirs; Vos jours, toujours fereins, coulent dans les plaifirs; L'empire en eft pour vous l'inépuisable fource: Ou, fi quelque chagrin en interrompt la course, Tout l'univers, foigneux de les entretenir, S'empreffe à l'effacer de votre fouvenir. Britannicus eft feul. Quelque ennui qui le preffe, Il ne voit, dans fon fort, que moi qui s'intéresse; Et n'a pour tout plaifir, Seigneur, que quelques pleurs, Qui lui font quelquefois oublier fes malheurs.

NERON.

Et ce font ces plaisirs & ces pleurs que j'envie, Que tout autre que lui me paîroit de fa vie; Mais je garde à ce prince un traitement plus doux. Madame, il va bientôt paroître devant vous.

JUNIE.

Ah, Seigneur ! vos vertus m'ont toujours raffurée.
NERON.

Je pouvois de ces lieux lui défendre l'entrée ;
Mais, Madame, je veux prévenir le danger
Où fon reffentiment le pourroit engager.

Je ne veux point le perdre; il vaut mieux que lui-même
Entende fon arrêt de la bouche qu'il aime.
Si fes jours vous font chers, éloignez-le de vous,
Sans qu'il ait aucun lieu de me croire jaloux.
De fon banniffement prenez fur vous l'offense;

Et, foit par vos difcours, foit par votre filence, Du moins par vos froideurs, faites-lui concevoir Qu'il doit porter ailleurs fes voeux & son espoir. 1) JUNIE.

Moi, que je lui prononce un arrêt fi févére! Ma bouche mille fois lui jura le contraire. Quand même jufques-là je pourrois me trahir, Mes yeux lui défendront, Seigneur, de m'obéir.

NÉRON.

Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame. 2) Renfermez votre amour dans le fond de votre ame; Vous n'aurez point pour moi de langages fecrets; J'entendrai des regards que vous croirez muets; Et fa perte fera l'infaillible falaire

D'un gefte ou d'un foupir échappé pour lui plaire.

1)

Faites-lui concevoir

Qu'il doit porter ailleurs fes vœux & fon espoir.]

Un autre que Néron auroit fait dire à Britannicus d'éviter la préfence de Junie; mais ce ne feroit point affez cruel pour lui, il veut que ce foit fa maîtreffe qui lui annonce un pareil arrêt.

2) Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.]

Qu'un empereur aille fe cacher pour écouter fa maîtreffe & fon rival, eft affûrément un très-petit moyen; mais quelle fituation pour Britannicus qui croira fa maîtresse infidelle, & pour fa maîtreffe qui ne pourra le détromper!

JUNIE.

Hélas! fi j'ofe encor former quelques fouhaits, Seigneur, permettez-moi de ne le voir jamais.

SCENE IV.

NERON, JUNIE, NARCISSE.

NARCISSE.

BRITANNICUS, Seigneur, demande la princeffe; 1)

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Sa fortune dépend de vous plus que de moi. Madame, en le voyant, fongez que je vous voi.

1) Britannicus, Seigneur, demande la princesse.]

Junie, témoin de ce que Narciffe dit à Néron, avoit d'affez fortes raisons pour foupçonner qu'ils étoient tous deux d'intelligence, & pour avertir dans le troifieme acte fon amant de fe défier de Narciffe,

SCENE

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