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NÉRON.

Je le fçais bien, Madame, & n'ai pu,

fans envie,

Apprendre vos bontés pour l'heureuse Octavie.

Vous, Seigneur ?

JUNIE.

NÉRON.

Penfez-vous, Madame, qu'en ces lieux,

Seule, pour vous connoître, Octavie ait des yeux ?

JUNIE.

Et quel autre, Seigneur, voulez-vous que j'implore?
A qui demanderai-je un crime que j'ignore?
Vous qui le puniffez, vous ne l'ignorez pas.
De grace, apprenez-moi, Seigneur, mes attentats.

NÉRON.

Quoi, Madame! eft-ce donc une légere offense De m'avoir fi long-temps caché votre préfence? Ces tréfors, dont le ciel voulut vous embellir, Les avez-vous reçus pour les ensevelir? L'heureux Britannicus verra-t-il, fans allarmes, Croître, loin de nos yeux, fon amour & vos charmes ? Pourquoi de cette gloire exclus jusqu'à ce jour, M'avez-vous, fans pitié, relégué dans ma cour? 1)

1) M'avez-vous, fans pitié, relégué dans ma cour?] L'expreffion de relégué dans ma cour, eft neuve; fans cette fineffe de tours, fans cette élégance de ftyle qui confifte dans le choix des mots, dans la vérité des fentiments, toute cette feene, qui eft très-peu de chofe, feroit languiffante.

On dit plus : vous fouffrez, fans en être offensée, Qu'il vous ofe, Madame, expliquer sa pensée; Car je ne croirai point que, fans me confulter, La févere Junie ait voulu le flatter;

Ni qu'elle ait confenti d'aimer & d'être aimée,

Sans que j'en fois inftruit que par la renommée.

JUNIE.

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Je ne vous nîrai point, Seigneur, que fes foupirs
M'ont daigné quelquefois expliquer fes defirs. 1)
Il n'a point détourné fes regards d'une fille,
Seul refte du débris d'une illuftre famille.
Peut-être il fe fouvient qu'en un temps plus heureux,
Son pere me nomma pour l'objet de ses vœux.
Il m'aime, il obéit à l'empereur fon pere,
Et j'ofe dire encore à vous, à votre mere;
Vos defirs font toujours fi conformes aux fiens...
NÉRON.

Ma mere a fes deffeins, Madame, & j'ai les miens.

1) Je ne vous nírai point, Seigneur, que fes foupirs

M'ont daigné quelquefois expliquer fes defirs, &c.] Cette réponse ingénue eft la caufe de la perte de Bri

tannicus elle n'en intéreffe pas moins pour Junie, , qui fe

montre en cet endroit telle qu'elle eft. On peut remarquer ici avec quel art Racine a fçu conferver à fes per fonnages le caractere qui leur eft propre; il ne leur fait dire ni plus, ni moins, que ce qu'ils doivent dire.

Ne parlons plus ici de Claude & d'Agrippine;
Ce n'eft point par leur choix que je me détermine.
C'est à moi feul, Madame, à répondre de vous;
Et je veux, de ma main, vous choifir un époux.
JUNIE.

Ah, Seigneur ! fongez-vous que toute autre alliance
Fera honte aux Céfars, auteurs de ma naiffance?
NÉRON.

Non, Madame, l'époux dont je vous entretiens, Peut, fans honte, affembler vos aïeux & les fiens; fans rougir, confentir à fa flamme.

Vous pouvez,

JUNIE.

Et quel eft donc, Seigneur, cet époux?

NÉRON.

Moi, Madame.

Vous?

JUNIE.

NERON.

Je vous nommerois, Madame, un autre nom, Si j'en fçavois quelque autre au deffus de Néron. Oui, pour vous faire un choix où vous puiffiez

J'ai

foufcrire,

des

parcouru yeux la cour, Rome, l'empire. Plus j'ai cherché, Madame, & plus je cherche encor En quelles mains je dois confier ce tréfor,

Plus je vois que Céfar, digne feul de vous plaire,
En doit être lui feul l'heureux dépofitaire,
Et ne peut dignement vous confier qu'aux mains
A qui Rome a commis l'empire des humains.
Vous-même, confultez vos premieres années;
Claudius à fon fils les avoit destinées;

Mais c'étoit en un temps, où de l'empire entier
Il croyoit, quelque jour, le nommer héritier.
Les dieux ont prononcé. Loin de leur contredire,
C'est à vous de paffer du côté de l'empire.
En vain de ce préfent ils m'auroient honoré,
Si votre cœur devoit en être féparé;

Si tant de foins ne font adoucis par vos charmes;
Si, tandis que je donne aux veilles, aux allarmes,
Des jours toujours à plaindre, & toujours enviés,
Je ne vais quelquefois refpirer à vos pieds.
Qu'Octavie à vos yeux ne faffe point d'ombrage;
Rome, auffi bien que moi, vous donne fon fuffrage,
Répudie Octavie, & me fait dénouer

Un hymen 1) que le ciel ne veut point avouer. Songez-y donc, Madame, & pefez en vous-même Ce choix digne des foins d'un prince qui vous aime,

1)

Un hymen.]

Et me fait dénouer

C'eft peut-être la premiere fois qu'on a dit dénouer un hymen. Cette expreffion paroît hasardée.

Digne de vos beaux yeux trop long-temps captivés, Digne de l'univers à qui vous vous devez. 1)

JUNIE.

Seigneur, avec raifon je demeure étonnée. 2)
Je me vois, dans le cours d'une même journée,
Comme une criminelle amenée en ces lieux;
Et lorsqu'avec frayeur je parois à vos yeux,
Que fur mon innocence à peine je me fie,
Vous m'offrez tout d'un coup la place d'Octavie.
J'ofe dire pourtant que je n'ai mérité

Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.
Et pouvez-vous, Seigneur, fouhaiter qu'une fille,
Qui vit, prefque en naiffant, éteindre fa famille;
Qui, dans l'obfcurité nourriffant fa douleur,
S'eft fait une vertu conforme à fon malheur; 3)

1) Digne de l'univers à qui vous vous devez.]

VARIANTE.

» Digne de l'univers à qui vous les devez ».
2) Seigneur, avec raison je demeure étonnée.]

Cette réponse de Junie eft parfaitement bien écrite ; rien de plus noble & de plus honnête.

3) S'eft fait une vertu conforme à fon malheur. ]

Se faire une vertu conforme à fon malheur : expreffion neuve & heureufe. Ce font ces tours enchanteurs qui diftinguent les grands poëtes, & particulierement Racine. C'eft ce charme inexprimable, qu'il répand fur tout ce qu'il écrit, qui fait qu'on ne fe laffe point de la lecture de fes ouvrages.

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