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Que d'excufer Céfar d'une feule action.
Mais puifque, fans vouloir que je le justifie,
Vous me rendez garant du refte de fa vie
Je répondrai, Madame, avec la liberté
D'un foldat qui fçait mal farder la vérité.

Vous m'avez de Céfar confié la jeuneffe;
Je l'avoue, & je dois m'en fouvenir fans ceffe.
Mais vous avois-je fait ferment de le trahir?
D'en faire un empereur qui ne fçût qu'obéir?
Non. Ce n'est plus à vous qu'il faut que j'en réponde;
Ce n'est plus votre fils, c'est le maître du monde.
J'en dois compte, Madame, à l'empire romain,
Qui croit voir fon falut ou fa perte en ma main.
Ah! fi dans l'ignorance il le falloit instruire,
N'avoit-on que Séneque & moi pour le féduire?
Pourquoi de fa conduite éloigner les flatteurs?
Falloit-il dans l'exil chercher des corrupteurs?
La cour de Claudius, en esclaves fertile,
Pour deux l'on cherchoit, en eût préfenté mille,
Qui tous auroient brigué l'honneur de l'avilir;
Dans une longue enfance ils l'auroient fait vieillir. 1)

que

1) Dans une longue enfance ils l'auroient fait vieillir.] Vieillir dans l'enfance, expreffion heureuse qui appartient à Racine; ce qu'il a tourné d'une autre maniere dans Bajazet: L'imbécille Ibrahim, fans craindre fa naissance,

Traine, exempt de péril, une éternelle enfance.

Acte I. fcene 1.

De quoi vous plaignez-vous, Madame ? On vous

révere ;

Ainfi que par Céfar, on jure par fa mere.
L'empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l'empire, & groffir votre cour.
Mais le doit-il, Madame? Et fa reconnoiffance
Ne peut-elle éclater que dans fa dépendance?
Toujours humble, toujours le timide Néron
N'ofe-t-il être Augufte & Céfar que de nom?
Vous le dirai-je enfin? Rome le justifie.
Rome, à trois affranchis fi long-temps affervie, 1)
A peine refpirant du joug qu'elle a porté,
Du regne de Néron compte fa liberté.
Que dis-je ? La vertu femble même renaître.
Tout l'empire n'eft plus la dépouille d'un maître.
Le peuple, au champ de Mars, nomme fes magiftrats;
Céfar nomme les chefs fur la foi des foldats.
Thraféas, au fénat; Corbulon, dans l'armée, 2)

1) Rome, à trois affranchis, fi long-temps affervie.] Ces affranchis étoient Pallas, Calliftus & Narciffe, qui eurent fous Claude le plus grand crédit.

2) Thraféas, au fénat; Corbulon, dans l'armée.]

Ce Thraféas Poetus étoit le plus honnête homme du fénat. Son extrême franchise & fa probité le rendirent fufpe&t; Néron lui fufcita des accufateurs; il dédaigna d'y répondre, & fe fit ouvrir les veines.

Corbulon fe rendit célebre par fes exploits & par la

Sont encore innocents, malgré leur renommée. Les déferts, autrefois peuplés de fénateurs, 1) Ne font plus habités que par leurs délateurs. Qu'importe que Céfar continue à nous croire, Pourvu que nos confeils ne tendent qu'à fa gloire; Pourvu que, dans le cours d'un regne floriffant, Rome foit toujours libre, & Céfar tout-puiffant? Mais, Madame, Néron fuffit pour fe conduire. J'obéis, fans prétendre à l'honneur de l'inftruire; Sur fes aïeux, fans doute, il n'a qu'à fe régler; Pour bien faire, Néron n'a qu'à se ressembler. Heureux fi fes vertus, l'une à l'autre enchaînées, Ramenent tous les ans fes premieres années!

AGRIPPIN E.

Ainfi, fur l'avenir n'ofant vous affurer ;
Vous croyez que, fans vous, Néron va s'égarer.

difcipline févere qu'il rétablit parmi les troupes. Son méritè le rendit fufpect à la cour de Claude. Il fut chef des troupes fous Néron. Entre autres actions d'éclat, Corbulon vainquit Tiridate, roi d'Arménie.

1) Les déferts, autrefois peuplés de fénateurs,

Ne font plus habités que par leurs délateurs.]

Peut-on peindre avec des couleurs plus favorables les commencements du regne de Néron?

Ces deux vers font une traduction du paffage fuivant du panégyrique de Trajan : Infulas quas modo fenatorum, jam delatorum turba compleverat.

Mais

Mais vous, qui, jufqu'ici content de votre ouvrage,
Venez de fes vertus nous rendre témoignage,
Expliquez-nous pourquoi, devenu raviffeur,
Néron de Silanus fait enlever la four?
Ne tient-il qu'à marquer de cette ignominie
Le fang de mes aïeux qui brille dans Junie
De quoi l'accufe-t-il? Et par quel attentat,
Devient-elle en un jour criminelle d'État?
Elle qui, fans orgueil jufqu'alors élevée,
N'auroit point vu Néron, s'il ne l'eût enlevée ?
Et qui même auroit mis au rang de fes bienfaits
L'heureuse liberté de ne le voir jamais?

BURRHU S.

Je fçais que d'aucun crime elle n'eft soupçonnée¿
Mais jufqu'ici Céfar ne l'a point condamnée
Madame. Aucun objet ne bleffe ici fes yeux;
Elle est dans un palais tout plein de fes aïeux.
Vous fçavez que les droits qu'elle porte avec elle,
Peuvent de fon époux faire un prince rebelle;
Que le fang de Céfar ne fe doit allier

1) Expliquez-nous pourquoi, devenu ravisseur
Néron de Silanus fait enlever la fœur?]

C'étoit Junia Calvina, qui ne fut point enlevée par Né

ron,

comme Racine l'a fuppofé; mais rappellée par cet empereur de l'exil où elle avoit été envoyée fous le regne de Claude. Tacite, annal. liv. XII.

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Qu'à ceux à qui Céfar le veut bien confier;
Et vous-même avoûrez qu'il ne feroit pas juste
Qu'on difpofât, fans lui, de la niece d'Augufte. 1)

AGRIP PINE.

Je vous entends. Néron m'apprend par votre voix
Qu'en vain Britannicus s'affûre fur mon choix;
En vain, pour détourner fes yeux de fa mifere,
J'ai flatté fon amour d'un hymen qu'il efpere:
A ma confufion, Néron veut faire voir
Qu'Agrippine promet par-delà fon pouvoir.
Rome de ma faveur eft trop préoccupée;
Il veut, par cet affront, qu'elle foit détrompée;
Et que tout l'univers apprenne, avec terreur,
A ne confondre plus mon fils & l'empereur.
Il le peut. Toutefois j'ofe encore lui dire,
Qu'il doit, avant ce coup, affermir son empire;
Et qu'en me réduifant à la néceffité
D'éprouver contre lui ma foible autorité

1) Et vous-même avoûrez qu'il ne feroit pas juste Qu'on difpofât, fans lui, de la niece d'Augufte. ] Niece eft ici poétiquement pour arriere-petite-fille; car Junie ne pouvoit appartenir de plus près à Augufte qu'Agrippine, mere de Néron, qui n'étoit que la fille d'une petite-fille d'Augufte. Tacite dit expreffément que Silanus, frere de Junie, étoit arriere-petit-fils d'Augufte. Divi Augufti ab-nepos. Annal, liv. XI.

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