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Quand les ambaffadeurs de tant de rois divers
Vinrent le reconnoître au nom de l'univers,
Sur fon trône, avec lui, j'allois prendre ma place:
J'ignore quel confeil prépara ma difgrace;

Quoi qu'il en foit, Néron, d'auffi loin qu'il me vit,
Laiffa fur fon vifage éclater fon dépit.

Mon cœur même en conçut un malheureux augurę.
L'ingrat, d'un faux refpect colorant fon injure,
Se leva par avance; &, courant m'embraffer,
Il m'écarta du trône où je m'allois placer.
Depuis ce coup fatal, le pouvoir d'Agrippine
Vers fa chûte, à grands pas, chaque jour s'achemine. 1)
L'ombre feule m'en refte; & l'on n'implore plus
Que le nom de Séneque, & l'appui de Burrhus. 2)

1) Depuis ce coup fatal, le pouvoir d'Agrippine

Vers fa chûte, à grands pas, chaque jour s'achemine ] Tacite dit précisément la même chofe : Le crédit d'Agrippine commença dès-lors à diminuer, Néron ayant conçu une paffion violente pour une affranchie nommée Acté. Annal. liv. XIII.

2)

Et l'on n'implore plus

Que le nom de Séneque, & l'appui de Burrhus.]

Les plaintes qu'Agrippine fit à Néron au fujet de fon amour pour l'affranchie Acté, ayant produit un effet tout contraire à celui qu'elle s'en étoit promis; Néron ceffa, dit Tacite, d'avoir des égards pour fa mere, & fe livra entiérement aux confeils de Séneque. Annal. liv. XIII.

ALBIN E.

Ah! fi de ce foupçon votre ame eft prévenue,
Pourquoi nourriffez-vous le venin qui vous tue?
Allez, avec Céfar, vous éclaircir du moins. 1)
A GRIP PINE.

Céfar ne me voit plus, Albine, fans témoins.
En public, à mon heure, on me donne audience.
Sa réponse eft dictée, & même fon filence.
Je vois deux furveillants, fes maîtres & les miens,
Préfider l'un ou l'autre à tous nos entretiens.
Mais je le pourfuivrai d'autant plus qu'il m'évite;
De fon défordre, Albine, il faut que je profite.
J'entends du bruit, on ouvre. Allons fubitement
Lui demander raifon de cet enlevement;
Surprenons, s'il fe peut, les fecrets de fon ame.
Mais quoi, déjà Burrhus fort de chez lui?

1) Allez, avec Cefar, vous éclaircir du moins.]

VARIANTE.

» Daignez, avec Céfar, vous éclaircir du moins ».

***

SCENE I I.

AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE.

BURRHU S.

MADAME,

Au nom de l'empereur, j'allois vous informer
D'un ordre qui d'abord a pu vous allarmer
Mais qui n'eft que l'effet d'une fage conduite,
Dont Céfar a voulu que vous foyez instruite.
AGRIP PINE.

Puifqu'il le veut, entrons, il m'en instruira mieux.

BURRH U S.

Céfar
, pour quelque temps, s'eft fouftrait à nos yeux.
Déjà par une porte au public moins connue,
L'un & l'autre conful vous avoient prévenue,
Madame. Mais fouffrez que je retourne exprès....

AGRIP PINE.

Non, je ne trouble point fes auguftes fecrets. Cependant voulez-vous qu'avec moins de contrainte L'un & l'autre une fois nous nous parlions fans feinte?

BURRHU S.

Burrhus pour le menfonge eut toujours trop d'horreur.

AGRIP PINE.

Prétendez-vous long-temps me cacher l'empereur?
Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune?
Ai-je donc élevé fi haut votre fortune

Pour mettre une barriere entre mon fils & moi?
Ne l'ofez-vous laiffer un moment fur fa foi ?
Entre Séneque & vous, difputez-vous la gloire
A qui m'effacera plutôt de fa mémoire ?
Vous l'ai-je confié pour en faire un ingrat;
Pour être, fous fon nom, les maîtres de l'État?
Certes, plus je médite, & moins je me figure
Que vous m'ofiez compter pour votre créature; 1)
Vous, dont j'ai pu laiffer vieillir l'ambition
Dans les honneurs obfcurs de quelque légion.2)
Et moi, qui fur le trône ai fuivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, four & mere de vos maîtres: 3)

1) Que vous m'ofiez compter pour votre créature.]

C'eft peut-être la premiere fois que le mot de créature ait été employé en ce fens avec autant de noblesfe. 2) Vous, dont j'ai pu laiffer vieillir l'ambition

Dans les honneurs obfcurs de quelque légion.]

Laisser vieillir l'ambition dans les honneurs obfcurs, quelle foule d'expreffions heureuses! Toute cette tirade est écrite fupérieurement; ce font des pensées fortes, exprimées par des images & par les vers les plus élégants & les plus harmonieux.

3) Moi, fille, femme, four & mere de vos maîtres. ] Agrippine la jeune, fille de Germanicus affocié à l'empire,

Que prétendez-vous donc ? Penfez-vous que ma voix Ait fait un empereur pour m'en imposer trois ? Néron n'eft plus enfant. N'est-il pas temps qu'il regne ? Jufqu'à quand voulez-vous que l'empereur vous craigne ?

Ne fçauroit-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux? 1)
Pour fe conduire enfin n'a-t-il pas fes aïeux?

Qu'il choififfe, s'il veut, d'Augufte ou de Tibere,
Qu'il imite, s'il peut, Germanicus mon pere.
Parmi tant de héros je n'ofe me placer;
Mais il eft des vertus que je lui puis tracer.
Je puis l'instruire, au moins, combien fa confidence,
Entre un fujet & lui, doit laiffer de distance.

BURRH U S.

Je ne m'étois chargé, dans cette occafion,

fœur de Caligula, femme de Claude, & mere de Néron, eft, jufqu'à préfent, le feul exemple d'une femme qui ait été fille, fœur, épouse & mere d'un empereur. Tacite, annal, liv. XII.

On trouve ce vers de Racine imité, dans la comédie du Procureur arbitre, d'une maniere affez plaisante:

Moi, fille, femme, mere & fœur de procureur.

1) Ne fçauroit-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux?
Pour fe conduire enfin n'a-t-il pas fes aïeux?]

Tacite fait dire à Agrippine que Néron pouvoit renoncer à fes maîtres, qu'il trouveroit dans la conduite de fes ancêtres des leçons bien plus propres à le former que les préceptes de Séneque & de Burrhus. Annal. liv. XIII.

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