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Mais fa feinte bonté fe tournant en fureur,
Les délices de Rome en devinrent l'horreur.
Que m'importe, après tout, que Néron plus fidelle,
D'une longue vertu laiffe un jour le modele ?
Ai-je mis dans fa main le timon de l'État,
Pour le conduire au gré du peuple & du sénat ?
Ah! que de la patrie il foit, s'il veut, le pere ;
Mais qu'il fonge un peu plus qu'Agrippine eft fa mere.
De quel nom cependant pouvons-nous appeller
L'attentat que le jour vient de nous révéler?
Il fçait, car leur amour ne peut être ignorée,
Que de Britannicus Junie eft adorée.
Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit !
Que veut-il? Est-ce haine, eft-ce amour qui l'infpire?
Cherche-t-il feulement le plaifir de leur nuire?
Ou plutôt n'est-ce point que fa malignité
Punit fur eux l'appui que je leur ai prêté?

dans le fang de fes fujets, fut d'abord un très-bon empereur; il affecta au commencement de fon regne une douceur & une clémence finguliere il porta même la diffimulation jufqu'à jetter au feu un libelle qu'on lui présentoit, en disant qu'il ne prêteroit jamais l'oreille aux délateurs. Il ne fe contraignit pas long-temps. Suetone paffse ainfi au récit des excès auxquels il fe porta : J'ai parlé, dit-il, jufqu'à préfent d'un prince, je vais maintenant parler d'un monftre. Liv. IV, ch. 22.

ALBIN E.

Vous, leur appui, Madame?

AGRIP PINE.

Arrête, chere Albine;

Je fçais que j'ai moi feule avancé leur ruine ;
Que du trône, où le fang l'a dû faire monter,
Britannicus par moi s'est vu précipiter.
Par moi feule, éloigné de l'hymen d'O&avie
Le frere de Junie abandonna la vie,

Silanus, fur qui Claude avoit jetté les yeux,
Et qui comptoit Augufte au rang de fes aïeux. 1)
Néron jouit de tout; & moi, pour récompenfe,

1) Par moi feule, éloigné de l'hymen d'Octavie, Le frere de Junie abandonna la vie,

Silanus, &c.

Lucius Silanus étoit fils d'Émilia Lépida, petite-fille de Julie, fille d'Augufte & d'Appius Silanus, que Meffaline fit périr pour se venger du refus qu'il lui avoit fait de fe rendre à fes follicitations inceftueufes. Suetone, liv. V, 29, 38. Il jouit d'abord de la faveur de Claude, & la perdit enfuite par les intrigues de Vitellius, ayant été accufé d'avoir un commerce illicite avec fa fœur. Sur cette imputation qui n'avoit aucun fondement, ce jeune Romain fut dégradé de la dignité de fénateur, & forcé d'abdiquer la préture. Cette note d'infamie fit rompre le mariage qui devoit l'unir avec Octavie.

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Tacite, annal. liv. XII.

Il faut qu'entr'eux & lui je tienne la balance; 1) Afin que, quelque jour, par une même loi, Britannicus la tienne entre mon fils & moi.

Quel deffein!

ALBIN E.

AGRIP PINE.

Je m'affûre un port dans la tempête.

Néron m'échappera, fi ce frein ne l'arrête.

ALBIN E.

Mais prendre contre un fils tant de foins fuperflus?.... AGRIP PINE.

Je le craindrois bientôt, s'il ne me craignoit plus.
ALBIN E.

Une injufte frayeur vous allarme peut-être.
Mais fi Néron pour vous n'eft plus ce qu'il doit être,

1) Il faut qu'entr'eux & lui je tienne la balance.]

Voilà donc toute la politique d'Agrippine découverte ; elle n'a confervé la vie à Britannicus que pour l'opposer à Néron, s'il devenoit ingrat.

Tacite obferve à ce fujet qu'Agrippine ne parut fâchée de la mort de Britannicus que parce qu'elle crut avoir perdu le feul moyen qui lui reftoit de conferver fon crédit. Annal. liv. XIII. Le caractere de cette femme ambitieuse fe développe dans cette fcene avec beaucoup d'art & de naturel.

Du moins fon changement ne vient pas jufqu'à nous;
Et ce font des fecrets entre Céfar & vous.
Quelques titres nouveaux que Rome lui défere,
Néron n'en reçoit point qu'il ne donne à sa mere. 1)
Sa prodigue amitié ne fe réserve rien.

Votre nom eft, dans Rome, auffi faint que le fien. 2)
A peine parle-t-on de la trifte Octavie.
Augufte, votre aïeul, honora moins Livie.
Néron, devant fa mere, a permis le premier
Qu'on portât les faisceaux couronnés de laurier.
Quels effets voulez-vous de fa reconnoiffance?
AGRIPPIN E.

Un peu moins de refpect, & plus de confiance.

1) Quelques titres nouveaux que Rome lui défere,

Néron n'en reçoit point qu'il ne donne à fa mere. ] La premiere fois, dit Tacite, que le tribun vint prendre l'ordre de Néron, le nouvel empereur lui donna pour mot OPTIMA MATER, très-bonne mere, titre fingulier qui ne pouvoit rien ajouter à celui d'Augufte qu'Agrippine avoit porté du vivant même de Claude, mais bien propre à balancer dans fon cœur le nom de PERE DE LA PATRIE, qu'on avoit donné à fon fils. Le fénat, dans le même temps, décerna à cette princeffe deux licteurs, & d'autres marques de distinction. Annal. liv. XIII.

2) Votre nom eft, dans Rome, auffi faint que le fien.} C'est ce que Burrhus va bientôt dire à Agrippine: » Ainfi que par Céfar, l'on jure par fa mere ».

Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit :
Je vois mes honneurs croître, & tomber mon crédit.
Non,non, le temps n'eft plus que Néron, jeune encore,
Me renvoyoit les voeux d'une cour qui l'adore;
Lorsqu'il fe repofoit fur moi de tout l'état;
Que mon ordre au palais affembloit le sénat; 1)
Et, que derriere un voile, invifible & préfente,
J'étois de ce grand corps l'ame toute-puiffante.
Des volontés de Rome, alors mal affuré,
Néron de fa grandeur n'étoit point enivré.
Ce jour, ce trifte jour frappe encor ma mémoire, 2)
Où Néron fut lui-même ébloui de fa gloire,

1) Non, non, le temps n'est plus, &c.

Que mon ordre au palais assembloit le fénat ;

Et que, derriere un voile, invifible & préfente, &c.] Agrippine, au rapport de Tacite, obtint, au commencement du regne de Néron, que le fénat s'affembleroit dans fon palais; elle s'y tenoit cachée derriere une tapisserie pour entendre, fans être vue, tout ce qui fe difoit. Annal. liv. XIII.

2) Ce jour, ce trifle jour frappe encor ma mémoire,

Où Néron fut lui-même ébloui de fa gloire, &c.] Ceci eft encore emprunté de Tacite : Un jour que Néron donnoit audience aux ambaffadeurs d'Arménie, Agrippine s'avança pour s'affeoir à ses côtés, & préfider avec lui à cette cérémonie; Séneque confeilla à Néron d'aller au devant de sa mere, & fauva l'honneur de la république par cette apparence de refpect. Annal liv. XIII.

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