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que Sophocle en ufe prefque par-tout: c'eft ainfi que dans l'Antigone il emploie autant de vers à repréfenter la fureur d'Hémon & la punition de Créon après la mort de cette princeffe, que je n'en ai employés aux imprécations d'Agrippine, à la retraite de Junie, à la punition de Narciffe, & au désespoir de Néron, après la mort de Britannicus.

Que faudroit-il faire pour contenter des juges fi difficiles? La chofe feroit aifée, pour peu qu'on voulût trahir le bon fens. Il ne faudroit que s'écarter du naturel pour fe jetter dans l'extraordinaire. Au lieu d'une action fimple, chargée de peu de matiere telle que doit être une action qui fe paffe en un feul jour, & qui, s'avançant par degrés vers sa fin, n'est foutenue que par que par les intérêts, les fentiments & les paffions des perfonnages; il faudroit remplir cette même action de quantité d'incidents qui ne se pourroient paffer qu'en un mois, d'un grand nombre de jeux de théâtre d'autant plus surprenants qu'ils fe¬ roient moins vraisemblables, d'une infinité de déclamations où l'on feroit dire aux acteurs tout le contraire de ce qu'ils devroient dire. Il faudroit, par exemple, repréfenter quelque héros yvre, qui se voudroit faire haïr de fa maîtreffe de gaîté de coeur, un Lacédémonien grand parleur 1), un conquérant

1) Lyfander dans l'Agéfilas de Corneille, & Agéfilas luimême. Tiij

qui ne débiteroit que des maximes d'amour 1), une femme 2) qui donneroit des leçons de fierté à des conquérants. Voilà fans doute de quoi faire récrier tous ces Messieurs. Mais que diroit cependant le petit nombre de gens fages auxquels je m'efforce de plaire? De quel front oferois-je me montrer, pour ainfi dire, aux yeux de ces grands hommes de l'antiquité que j'ai choifis pour modeles? Car, pour me fervir de la penfée d'un ancien, voilà les véritables fpectateurs que nous devons nous propofer; & nous devons fans ceffe nous demander: Que diroient Homere & Virgile, s'ils lifoient ces vers? que diroit Sophocle, s'il voyoit repréfenter cette scene? Quoi qu'il en foit, je n'ai point prétendu empêcher qu'on ne parlât contre mes ouvrages; je l'aurois prétendu inutilement. Quid de te alii loquantur ipfi videant, dit Cicéron, fed loquentur tamen.

Je prie feulement le lecteur de me pardonner cette petite préface que j'ai faite pour lui rendre raifon de ma tragédie. Il n'y a rien de plus naturel que de fe défendre, quand on fe croit injuftement attaqué. Je vois que Terence même femble n'avoir fait des

1) Céfar dans la Mort de Pompée, & Pompée dans Ser

torius.

2) Viriate dans Sertorius, & Cornélie dans la Mort de Pompée.

prologues que pour fe juftifier contre les critiques d'un vieux poëte mal intentionné, malevoli veteris poëta, & qui venoit briguer des voix contre lui jufqu'aux heures où l'on représentoit fes comédies. Occepta eft agi:

Exclamat, &c.

On me pouvoit faire une difficulté qu'on ne m'a point faite. Mais ce qui eft échappé aux fpectateurs pourra être remarqué par les lecteurs. C'est que je fais entrer Junie » dans les vestales, où, felon Aulu» Gelle, on ne recevoit perfonne au deffous de fix » ans, ni au deffus de dix. Mais le peuple prend ici » Junie fous fa protection; & j'ai cru qu'en confi» dération de fa naiffance, de fa vertu & de fon mal>>heur, il pouvoit la dispenser de l'âge prescrit par » les loix, comme il a difpenfé de l'âge pour le con»fulat tant de grands hommes qui avoient mérité ce » privilége ».

Enfin, je fuis très-perfuadé qu'on me peut faire bien d'autres critiques, fur lesquelles je n'aurois d'autre parti à prendre que celui d'en profiter à l'avenir. Mais je plains fort le malheur d'un homme qui travaille pour le public. Ceux qui voient le mieux nos défauts, font ceux qui les diffimulent le plus volontiers; ils nous pardonnent les endroits qui leur ont déplu, en faveur de ceux qui leur ont donné du plaifir. Il n'y a rien au contraire de plus injufte qu'un

ignorant; il croit toujours que l'admiration eft le partage des gens qui ne fçavent rien; il condamne toute une piece pour une fcene qu'il n'approuve pas; il s'attaque même aux endroits les plus éclatants, pour faire croire qu'il a de l'efprit; & pour peu que nous réfiftions à fes fentiments, il nous traite de préfomptueux qui ne veulent croire perfonne, & ne fonge pas qu'il tire quelquefois plus de vanité d'une critique fort mauvaise, que nous n'en tirons d'une affez bonne piece de théâtre.

Homine imperito numquam quidquam injuftius.

SECONDE PRÉFACE

DE L'AUTEUR.

Voici celle de mes tragédies que je puis dire

que j'ai le plus travaillée. Cependant j'avoue que le fuccès ne répondit pas d'abord à mes efpérances, A peine elle parut fur le théâtre, qu'il s'éleva quantité de critiques qui fembloient la devoir détruire. Je crus moi-même que fa deftinée feroit à l'avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette piece ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté; les critiques fe font évanouies, la piece eft demeurée. C'est maintenant celle des miennes que la cour & le public revoient le plus volontiers. Et fi j'ai fait quelque chofe de folide, & qui mérite quelque louange, la plupart des connoiffeurs demeurent d'accord que c'est ce même Britannicus.

A la vérité j'avois travaillé fur des modeles qui m'avoient extrêmement foutenu dans la peinture que je voulois faire de la cour d'Agrippine & de Néron. J'avois copié mes perfonnages d'après le plus grand peintre de l'antiquité, je veux dire d'après Tacite, & j'étois alors fi rempli de la lecture de cet excellent historien, qu'il n'y a prefque pas

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