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ÉPITRE DÉDICATOÍRĖ.

mille belles connoiffances que vous ne sçauriez cacher à vos amis particuliers, vous ayez encore cette fage retenue que tout le monde admire en vous : c'eft fans doute une vertu rare en un fiecle où l'on fait vanité des moindres chofes. Mais je me laiffe emporter infenfiblement à la tentation de parler de vous; il faut qu'elle foit bien violente, puifque je n'ai pu y réfifter dans une lettre où je n'avois autre deffein que de vous témoigner avec combien de refpect je fuis,

MONSEIGNEUR,

Votre très-humble, très

obéiffant, & très

fidelle ferviteur,

RACINE.

PREMIERE

PREMIERE PRÉFACE

DE L'AUTEUR.

DE tous les ouvrages que j'ai donnés au public

il n'y en a point qui m'ait attiré plus d'applaudiffements ni plus de cenfeurs que celui-ci. Quelque foin que j'aie pris pour travailler cette tragédie, il femble qu'autant que je me fuis efforcé de la rendre bonne, autant de certaines gens fe font efforcés de la décrier; il n'y a point de cabale qu'ils n'aient faite, point de critique dont ils ne se foient avisés. Il y en a qui ont pris même le parti de Néron contre moi; ils ont dit que je le faifois trop cruel. Pour moi, je croyois que le nom feul de Néron faifoit entendre quelque chofe de plus que cruel. Mais peutêtre qu'ils raffinent fur fon histoire, & veulent dire qu'il étoit honnête homme dans fes premieres années: il ne faut qu'avoir lu Tacite, pour fçavoir que, s'il a été quelque temps un bon empereur, il a toujours été un très-méchant homme. Il ne s'agit point, dans ma tragédie, des affaires du dehors; Néron eft ici dans fon particulier & dans fa famille; & ils me difpenferont de leur rapporter tous les paffages qui pourroient aifément leur prouver que je n'ai point de réparation à lui faire.

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D'autres ont dit au contraire que je l'avois fait trop bon. J'avoue que je ne m'étois pas formé l'idée d'un bon homme en la perfonne de Néron; je l'ai toujours regardé comme un monftre. Mais c'eft ici un monstre naissant. Il n'a pas encore mis le feu à Rome; il n'a pas encore tué fa mere, fa femme >>fes gouverneurs » : à cela près, il me femble qu'il lui échappe affez de cruautés, pour empêcher que perfonne ne le méconnoiffe.

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Quelques-uns ont pris l'intérêt de Narciffe, & fe font plaints que j'en euffe fait un très-méchant homme, & le confident de Néron. Il fuffit d'un paffage pour leur répondre. » Néron, dit Tacite, » porta impatiemment la mort de Narciffe, parce » que cet affranchi avoit une conformité merveil» leufe avec les vices du prince encore cachés : » cujus abditis adhuc vitiis mirè congruebat ». 1)

Les autres fe font fcandalisés que j'euffe choifi un homme auffi jeune que Britannicus pour le héros d'une tragédie. Je leur ai déclaré, dans la préface d'Andromaque, le fentiment d'Ariftote fur le héros de la tragédie; & que, bien loin d'être parfait, il faut toujours qu'il ait quelque imperfection. Mais je leur dirai encore ici » qu'un jeune prince de dix-fept

1) Racine a confervé dans fa feconde préface tout ce que nous avons marqué dans la premiere avec des guillemets.

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» ans, qui a beaucoup de cœur, beaucoup d'amour,
beaucoup de franchise & beaucoup de crédulité
» qualités ordinaires d'un jeune homme », m'a femblé
très-capable d'exciter la compaffion. Je n'en veux
pas davantage.

Mais, difent-ils, ce prince n'entroit que dans fa quinzieme année lorsqu'il mourut. On le fait vivre, lui & Narciffe, deux ans plus qu'ils n'ont vécu. Je n'aurois point parlé de cette objection, si elle n'avoit été faite avec chaleur par un homme qui s'eft donné la liberté de faire régner vingt ans un empereur qui n'en a régné que huit, quoique ce changement foit bien plus confidérable dans la chronologie, où l'on fuppute les temps par les années des empereurs.

Junie ne manque pas non plus de cenfeurs. Ils difent que d'une vieille coquette, nommée Junia Silana, j'en ai fait une jeune fille très-fage. Qu'auroient-ils à me répondre, fi je leur difois que cette Junie est un personnage inventé, comme l'Émilie de Cinna, comme la Sabine d'Horace ? Mais j'ai à leur dire que s'ils avoient bien lu P'hiftoire, ils y auroient trouvé une » Junia Calvina, de la famille » d'Augufte, foeur de Silanus, à qui Claudius avoit >> promis Octavie. Cette Junie étoit jeune, belle, &, >> comme dit Séneque, feftiviffima omnium puellarum. >> Elle aimoit tendrement fon frere; & leurs ennemis

1

» dit Tacite, les accuferent tous deux d'inceftè, quoi» qu'ils ne fuffent coupables que d'un peu d'indifcrétion ». Si je la préfente plus retenue qu'elle n'étoit, je n'ai pas oui dire qu'il nous fût défendu de rectifier les mœurs d'un perfonnage, fur-tout lorsqu'il n'est pas

connu.

L'on trouve étrange qu'elle paroiffe fur le théâtre après la mort de Britannicus. Certainement la délicateffe eft grande de ne pas vouloir qu'elle dife en quatre vers affez touchants qu'elle paffe chez Octavie. Mais, difent-ils, cela ne valoit pas la peine de la faire revenir, un autre l'auroit pu raconter pour elle. Ils ne fçavent pas qu'une des regles du théâtre eft de ne mettre en récit que les chofes qui ne fe peuvent paffer en action; & que tous les anciens font venir fouvent fur la fcene des acteurs qui n'ont autre chose à dire, finon qu'ils viennent d'un endroit, & qu'ils s'en retournent en un autre.

Tout cela eft inutile, difent mes cenfeurs; la piece eft finie au récit de la mort de Britannicus, & l'on ne devroit point écouter le refte. On l'écoute pourtant, & même avec autant d'attention qu'aucune fin de tragédie. Pour moi, j'ai toujours compris que la tragédie étant l'imitation d'une action complette, où plufieurs perfonnes concourent, cette action n'eft point finie, que l'on ne fçache en quelle fituation elle laiffe ces mêmes personnes. C'est ainfi

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