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Il l'aime : mais enfin, cette veuve inhumaine 1)
N'a payé jufqu'ici fon amour que de haine;
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir fa captive, ou pour l'épouvanter.
De fon fils, qu'il lui cache, il menace la tête ; 2)
Et fait couler des pleurs qu'auffi-tôt il arrête.
Hermione elle-même a vu, plus de cent fois,
Cet amant irrité revenir fous fes loix;
Et de fes vœux troublés lui rapportant l'hommage,
Soupirer à fes pieds, moins d'amour que de
Ainfi, n'attendez pas que l'on puiffe aujourd'hui
Vous répondre d'un cœur fi peu maître de lui.
Ilpeut, Seigneur, il peut, dans ce défordre extrême,
Épouser ce qu'il hait, & perdre ce qu'il aime. 3)

rage.

1) Il l'aime : mais enfin cette veuve inhumaine. ] Ici le fens & la grammaire, dit M. l'abbé d'Olivet, ne s'accordent point, car le fens veut que ce lui du troifieme vers soit rapporté à Pyrrhus, & la grammaire, qu'il le foit à cette veuve inhumaine. Mais le fens eft trop clair, pour qu'il y ait ici la moindre équivoque.

2) De fon fils, qu'il lui cache, il menace la tête.]

On peut voir, dans cette réponse de Pylade, tous les sentiments qui animent les acteurs de la piece.

Il y avoit dans la premiere édition :

» Il lui cache fon fils, il menace fa tête ».

3) Époufer ce qu'il hait, & perdre ce qu'il aime.]

Avec quel art Pylade infinue à Oreste que Pyrrhus peut

OREST E.

Mais, dis-moi, de quel oil Hermione peut voir
Son hymen différé, fes charmes fans pouvoir? 1)
PY LAD E.

Hermione, Seigneur, au moins en apparence,
Semble de fon amant dédaigner l'inconstance,
Et croit que, trop heureux de fléchir fa rigueur, 2)
Il la viendra preffer de reprendre fon cœur ;

époufer ce qu'il hait, & perdre ce qu'il aime. Ainfi Oreste flotte toujours entre l'efpérance & la crainte.

"

VARIANTE.

Époufer ce qu'il hait, & punir ce qu'il aime ». 1) Mais, dis-moi, de quel œil Hermione peut voir Son hymen différé, fes charmes fans pouvoir?] Ces vers font ainfi dans les premieres éditions:

» Mais, dis-moi, de quels yeux Hermione peut voir » Ses attraits offenfes, & fes yeux fans pouvoir » ? Subligny reprit, de quels yeux Hermione peut voir ses yeux. Racine fentit fa faute, & changea ces deux vers. Le vrai talent est docile à la critique.

2) Et croit que, trop heureux de fléchir sa rigueur,

Il la viendra presser de reprendre fon cœur.]

Il faut remarquer ici, que les caracteres des quatre principaux personnages font annoncés dans cette premiere scene. Pyrrhus tentera tout pour fléchir une veuve inhumaine, ou pour l'épouvanter. Orefte fera toujours incertain s'il doit chercher la vie ou la mort. Hermione dédaignée, fe flattera toujours que Pyrrhus la viendra preffer de reprendre fon cœur ;

Mais je l'ai vue enfin me confier fes larmes:
Elle pleure en fecret le mépris de ses charmes;
Toujours prête à partir, & demeurant toujours,
Quelquefois elle appelle Oreste à fon fecours.
OREST E.

Ah! fi je le croyois, j'irois bientôt, Pylade,
Me jetter..

PY LAD E.

Achevez, Seigneur, votre ambaffade. Vous attendez le roi. Parlez, & lui montrez Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés. Loin de leur accorder ce fils de fa maîtreffe, Leur haine ne fera qu'irriter fa tendresse. Plus on les veut brouiller, plus on va les unir. Preffez. Demandez tout, pour ne rien obtenir. Il vient.

OREST E.

Hé bien, va donc difpofer la cruelle 1) A revoir un amant qui ne vient que pour elle.

& l'on verra que les caracteres une fois annoncés, ne se démentiront point dans la piece.

On lit ainfi le premier de ces deux vers dans la premiere édition :

» Et croit que, trop heureux d'appaiser fa rigueur, &c. » Hé bien, va donc difpofer la cruelle. ]

1)

Les acteurs ne viennent & ne s'en vont point fans fujet; ils font même chargés de foins qui les occupent hors de la fcene.

SCENE II.

PYRRHUS, ORESTE, PHENIX.

OREST E.

AVANT que tous les Grecs vous parlent par ma voix,

Souffrez que j'ofe ici me flatter de leur choix; 1) Et qu'à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie De voir le fils d'Achille & le vainqueur de Troye. Oui, comme fes exploits, nous admirons vos coups: Hector tomba fous lui, Troye expira sous vous ; 2) Et vous avez montré, par une heureuse audace, Que le fils feul d'Achille a pu remplir fa place. Mais ce qu'il n'eût point fait, la Grece, avec douleur, Vous voit du fang Troyen relever le malheur;

1) Souffrez que j'ofe ici me flatter de leur choix.] Ce vers étoit ainfi dans la premiere édition :

>> Souffrez que je me flatte en fecret de leur choix ». Subligny reprocha à Racine que cet en fecret étoit un galimatias; il demanda auffi à qui fe rapportoit le mot de choix. Racine profita de la premiere observation, & dédaigna la feconde.

2) Hector tomba fous lui, Troye expira fous vous. ]

Subligny vouloit qu'on mît: Hector expira fous lui, Troye tomba fous vous. Il ne fentit pas que c'étoit par cette heureuse transposition que l'on donnoit de la vie à la poésie.

Et

33

Et vous laiffant toucher d'une pitié funefte,
D'une guerre fi longue entretenir le refte.
Ne vous fouvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector? 1)
Nos peuples affoiblis s'en fouviennent encor.
Son nom feul fait frémir nos veuves & nos filles;
Et, dans toute la Grece, il n'eft point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils,
D'un pere, ou d'un époux, qu'Hector leur a ravis.
Et qui fçait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre? 2)
Peut-être dans nos ports nous le verrons defcendre,

1) Ne vous fouvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector? &c.] Séneque, dans fa Troade, fait ainfi parler Ulyffe : Je ne fuis, dit-il, que l'interprete de la volonté des Grecs, qui demandent la mort du fils d'Hector, arrêtée depuis long-temps par les décrets du deftin; tant qu'il vivra, ils ne croiront pas pouvoir compter fur une paix durable. L'inquiétude les forcera d'être toujours fur leurs gardes. A&te III. fcene 1.

2) Et qui fçait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre?

Peut-être dans nos ports nous le verrons defcendre, &c.] Pradon, qui fe félicitoit, dans fes préfaces, d'avoir traité les mêmes fujets que Racine, a beaucoup imité l'Andromaque de ce poëte dans fa Troade. On y voit une scene entre Ulyffe & Pyrrhus très-femblable à celle-ci. Ulyffe dit à peu près les mêmes chofes qu'Orefte. Dans cet endroit, par exemple :

Cet enfant peut un jour reffembler à fon pere;

Tout ce qu'Hector a fait, fon fils le pourroit faire.

C'eft la crainte des Grecs; ils demandent ce fils.

Pour le facrifier au repos du pays.

Tome II.

C

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