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justifier fur les violences qu'il fait à fon pere; il prétend que c'eft pour le rendre plus heureux qu'il veut l'empêcher d'aller juger. Cette difcuffion fe convertit en une espece de plaidoyer; le pere exalte les avantages de fa profeffion, le fils combat fes raifons par des raifons plus fortes, enfin le chœur lui donne gain de cause. Philocléon, convaincu que fa profeffion n'eft pas auffi excellente qu'il fe l'étoit perfuadé, n'en eft pas plus difpofé à renoncer à fa manic de juger. Le fils lui propofe de la fatisfaire fans fortir de chez lui; le pere, après quelques éclairciffements, y confent. Dans le même inftant on crie après un chien qui emporte un fromage de Sicile; Philocléon faifit cette occafion pour exercer l'office de juge. Deux chiens paroiffent, l'un est accufateur, l'autre fe défend. Bdélycléon fe fait l'avocat du chien accufé; il commence par un exorde féricux & comique, & continue fur le même ton, en imitant sans doute quelqu'orateur du temps. Le juge demande les témoins; ce font les uftenfiles de la cuifine; enfin on préfente au juge les petits du coupa

ble: Philocléon feint d'être attendri, il demande cependant le vase de condamnation; mais, trompé par celui qui le lui apporte, & qui lui donne l'un pour l'autre, il absout le coupable en croyant le condamner. Honteux & défefpéré de cette méprife, il en demande pardon aux dieux, & renonce à sa profession. Philocléon s'abandonne enfuite aux excès de la débauche la plus crapuleufe, & devient enfin un criminel digne des châtiments qu'il prononçoit contre les autres.

Ce tiffu n'eft qu'une fatyre allégorique contre le gouvernement d'Athenes. Il n'y a pas un trait, prefque pas un mot dans cette picce, qui ne foit une allufion aux plus illuftres perfonnages de la Grece. La fatyre qui n'est que perfonnelle, perd tout fon mérite, lorsque ceux qui en font l'objet n'exiftent plus. Racine n'a point imité cette licence d'Aristophane; il s'eft contenté de prendre le caractere du juge entêté de fa profeffion: il a cru que ce caractere, présenté avec de certains ménagements, pourroit paroître auffi ridicule à Paris qu'il l'avoit paru à Athenes.

PRÉFACE

DE L'AUTEUR.

QUAND je lus les Guêpes d'Aristophane, je ne

fongeois guere que j'en duffe faire les Plaideurs. J'avoue qu'elles me divertirent beaucoup, & j'y trouvai quantité de plaifanteries qui me tenterent d'en faire part au public; mais c'étoit en les mettant dans la bouche des Italiens, à qui je les avois destinées, comme une chofe qui leur appartenoit de plein droit. Le juge qui faute par les fenêtres, le chien criminel, & les larmes de fa famille, me sembloient autant d'incidents dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur interrompit mon deffein, & fit naître l'envie à quelques-uns de mes amis de voir fur notre théâtre un échantillon d'Aristophane. Je ne me rendis pas à la premiere propofition qu'ils m'en firent; je leur dis que, quelqu'efprit que je trouvaffe dans cet auteur, mon inclination ne me porteroit pas à le prendre pour modele, fi j'avois à faire une comédie; & que j'aimerois beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre & de Térence, que la liberté de Plaute & d'Aristophane. On me répondit que ce n'étoit pas une comédie qu'on me demandoit, & qu'on vouloit

feulement voir fi les bons mots d'Aristophane auroient quelque grace dans notre langue. Ainfi, moitié en m'encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l'œuvre, mes amis me firent commencer une piece qui ne tarda guere à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne fe foucie point de l'intention ni de la diligence des auteurs. On examina d'abord mon amufement comme on auroit fait une tragédie. Ceux même qui s'y étoient le plus divertis, eurent peur de n'avoir pas ri dans les regles, & trouverent mauvais que je n'euffe pas fongé plus férieufement à les faire rire. Quelques autres s'imaginerent qu'il étoit bienféant à eux de s'y ennuyer, & que les matieres de palais ne pouvoient pas être un fujet de divertissement pour les gens de cour. La piece fut bientôt après jouée à Versailles; on ne fit point de fcrupule de s'y réjouir, & ceux qui avoient cru fe deshonorer de rire à Paris, furent peut-être obligés de rire à Versailles pour fe faire honneur.

Ils auroient tort, à la vérité, s'ils me reprochoient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est une langue qui m'eft plus étrangere qu'à perfonne, & je n'en ai employé que quelques mots barbares, que je puis avoir appris dans le cours d'un procès que ni mes juges ni moi n'avons jamais bien entendu.

Si j'appréhende quelque chofe, c'est que des perfonnes un peu férieufes ne traitent de badineries le procès du chien, & les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane, & l'on doit se souvenir qu'il avoit affaire à des fpectateurs affez difficiles. Les Athéniens fçavoient apparemment ce que c'étoit que le fel attique : & ils étoient bien fûrs, quand ils avoient ri d'une chofe, qu'ils n'avoient pas ri d'une fottife.

Pour moi, je trouve qu'Ariftophane a eu raison de pouffer les chofes au-delà du vraisemblable. Les juges de l'Aréopage n'auroient pas peut-être trouvé bon qu'il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours de leurs fecretaires, & les forfanteries de leurs avocats. Il étoit à propos d'outrer un peu les personnages pour les empêcher de fe reconnoître. Le public ne laiffoit pas de difcerner le vrai au travers du ridicule, & je m'affure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux orateurs autour d'un chien accusé, que fi l'on avoit mis fur la fellette un véritable criminel, & qu'on eût intéreffé les fpectateurs à la vie d'un homme.

Quoi qu'il en foit, je puis dire que notre fiecle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le fien; & que fi le but de ma comédie étoit de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé fon but. Ce n'est

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