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héros parfaits. Je trouve leur intention fort bonne de vouloir qu'on ne mette fur la fcene que des hommes impeccables; mais je les prie de fe fouvenir que ce n'est point à moi de changer les regles du théâtre. Horace nous recommande de peindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu'il étoit, & tel qu'on dépeint fon fils. Ariftote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-àdire, ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne foient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils foient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciteroit plus l'indignation que la pitié du fpectateur; ni qu'ils foient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un fcélérat. Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire, une vertu capable de foibleffe, & qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les faffe plaindre fans les faire détefter.

SECONDE PRÉFACE

DE L'AUTEUR.

VIRGILE,

AU TROISIEME LIVRE DE L'ÉNÉIDE.

C'EST ÉN É E QUI PARL E.

LITTORAQUE

QUE Epiri legimus, portuque fubimus Chaonio, & celfam Buthroti afcendimus urbem

Solemnes tum fortè dapes, & triftia dona

Libabat cineri Andromache, manefque vocabat
Hectoreum ad tumulum, viridi quem cespite inanem
Et geminas, caufam lacrymis, facraverat aras.

le

Ayant rangé les côtes de l'Épire, nous relâchâmes dans port de Chaonie, & nous prîmes le chemin de Buthrote... Ce jour là même, Andromaque offroit des dons funebres... à la cendre d'Hector fon premier époux. C'est là qu'elle appelloit les manes de fon cher Hector, à qui elle avoit élevé un tombeau de gazon au milieu de deux autels; trifte objet qui entretenoit fa douleur, & faifoit

$

Dejecit vultum, & demiffà voce locuta eft:
O felix una ante alias Priameïa virgo,
Hoftilem ad tumulum, Troja fub manibus altis
Juffa mori, que fortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile!

Nos, patria incenfa, diverfa per æquora vectæ,
Stirpis Achillea faftus, juvenemque fuperbum,
Servitio enixa tulimus, qui deinde fecutus
Ledaam Hermionem, Lacedemoniofque hymenæos,

Aft illum, ereptæ magno inflammatus amore
Conjugis, & fcelerum furiis agitatus Oreftes
Excipit incautum, patriafque obtruncat ad aras.

fans ceffe couler fes larmes..... Elle baiffa les yeux, & d'une voix languiffante elle répondit : « Heureuse la fille de Priam, » immolée fur le tombeau d'Achille au pied des murs de Troye! » Elle n'a été le partage d'aucun ennemi, & n'eft point » entrée, comme captive, dans le lit d'un fuperbe vainqueur. » Mais moi, après la ruine de Troye, traînée fur toutes les » mers de la Grece, je me fuis vue l'objet de l'infolente » ardeur du fils d'Achille, dont j'étois la malheureuse » efclave; épris enfuite des charmes d'Hermione, il m'a» bandonna pour l'époufer.... Cependant le furieux Oreste » brûlant pour cette même Hermione, qui lui avoit été » promife, & que Pyrrhus lui enlevoit, furprit fon rival » dans le temple, & l'affaffina au pied de l'autel ». Liv. 111. Traduction de l'abbé Desfontaines.

Voilà

Voilà, en peu de vers, tout le fujet de cette tragédie; voilà le lieu de la scene, l'action qui s'y paffe, les quatre principaux acteurs, & même leurs caracteres, excepté celui d'Hermione, dont la jalousie & les emportements font affez marqués dans l'Andromaque d'Euripide.

C'eft prefque la feule chofe que j'emprunte ici de cet auteur: car, quoique ma tragédie porte le même nom que la fienne, le fujet en eft pourtant très-différent. Andromaque, dans Euripide, craint pour la vie de Moloffus, qui eft un fils qu'elle a eu de Pyrrhus, & qu'Hermione veut faire mourir avec fa mere. Mais ici il ne s'agit point de Moloffus; Andromaque ne connoît point d'autre mari qu'Hector, ni d'autre fils qu'Aftyanax. J'ai cru en cela me conformer à l'idée que nous avons maintenant de cette princeffe. La plupart de ceux qui ont entendu parler d'Andromaque, ne la connoiffent gueres que pour la veuve d'Hector & pour la mere d'Aftyanax. On ne croit point qu'elle doive aimer ni un autre mari, ni un autre fils; & je doute que les larmes d'Andromaque euffent fait für l'efprit de mes fpectateurs l'impreffion qu'elles y ont faite, fi elles avoient coulé pour un autre fils que celui qu'elle avoit d'Hector.

Il est vrai que j'ai été obligé de faire vivre Aftyanax un peu plus qu'il n'a vécu. Mais j'écris dans un pays où cette liberté ne pouvoit pas être mal

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reçue. Car, fans parler de Ronfard, qui a choifi ce même Aftyanax pour le héros de fa Franciade, qui ne fçait que l'on fait defcendre nos anciens rois de ce fils d'Hector, & que nos vieilles chroniques fauvent la vie à ce jeune prince, après la défolation de fon pays, pour en faire le fondateur de notre monarchie?

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Combien Euripide a-t-il été plus hardi dans fa tragédie d'Hélene? Il y choque ouvertement la créance commune de toute la Grece. Il suppose qu'Hélene n'a jamais mis le pied dans Troye; & qu'après l'embrafement de cette ville, Ménélas trouve fa femme en Egypte, d'où elle n'étoit point partie : tout cela fondé fur une opinion qui n'étoit reçue que parmi les Egyptiens, comme on le peut voir dans Hérodote.

Je ne crois pas que j'euffe befoin de cet exemple

d'Euripide pour justifier le peu de liberté que j'ai prise. Car il y a bien de la différence entre détruire le principal fondement d'une fable, & en altérer quelques incidents, qui changent prefque de face dans toutes les mains qui les traitent. Ainfi Achille, felon la plupart des poëtes, ne peut être bleffé qu'au talon, quoiqu'Homere le faffe bleffer au bras, & ne le croie invulnérable en aucune partie de fon corps. Ainfi Sophocle fait mourir Jocafte auffi-tôt après la reconnoiffance d'Edipe; tout au contraire

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